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Baise m’encor, rebaise moy et baise…

Publié le 22 décembre 2011 par Les Lettres Françaises

Revue culturelle et littéraire les lettres françaises - Belinda Cannone

Le baiser peut-être de Belinda Cannone

De tous les baisers concevables, Belinda Cannone en a omis en tout cas un : le baiser de la mort. C’est celui de la Salomé d’Oscar Wilde, qui rend la pièce soudain si effroyable : « Ah ! J’ai baisé ta bouche, Iokahan, j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Est-ce la saveur du sang ?… Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour ? On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? » Cet oubli n’en est peut-être pas un car sa quête n’a rien d’encyclopédique. Elle n’a pas écarté toutes les ombres qui entourent le sujet digne d’être examiné de fond en comble. C’est ainsi qu’elle nous remet en mémoire le baiser fatal (létal) du comte Dracula et l’étrangeté de celui du tableau d’Edvard Munch où le couple s’embrasse avec une effusion morbide. Elle n’est pas non plus allée sonder les tréfonds de l’érotisme. Le baiser, tel qu’elle l’entend (ou plutôt le reçoit et le donne), est la manifestation d’un transport, plus du tout chaste, mais encore loin des débordements de l’éros. Si je l’ai bien comprise, il serait le véhicule d’une esthétique de l’épicurisme.

On ne sera donc pas surpris de la voir choisir pour guides Dante (avec la terrible histoire de Paolo et Francesca, que Rossetti a peinte et que Rodin a sculptée ensuite et qui a été rebaptisée le Baiser), Louise Labé, avec ses sonnets sulfureux, et puis Constantin Brancusi, qui a représenté la fusion absolue, éternelle, intemporelle. Elle choisit enfin Marcel Proust, en lisant surtout « le Côté de Guermantes ». Là, le narrateur explique à n’en plus finir ce que déposer un baiser sur la joue d’Albertine peut comporter d’émotions et de résonances sentimentales. Son narrateur expose une philosophie du baiser. Si elle nous invite à nous pénétrer des écrits de Jean Second, qui a publié en 1539 un essai intitulé le Baiser, et aussi de ceux de Francesco Patrizi, qui est l’auteur de Du baiser, paru au début des années 1560, elle évoque aussi les jeux de l’enfance et de la prime adolescence. La connaissance se mêle aux réminiscences. Et elle est loin d’épuiser le thème, préférant butiner dans sa mémoire et dans sa culture ce qui pourrait alimenter sa curiosité sensuelle, lui donner de l’amplitude et surtout un attrait sans cesse croissant. Le Cantique des cantiques lui a apporté une intensité luxurieuse qui va de pair avec l’intensité mystique et Lucrèce lui a fait don de sa vision du baiser qui imprime parfois sa trace indélébile sur le corps, comme le rouge à lèvres sur la tasse à thé dans les Belles Endormies, de Kawabata. Ce qui séduit dans ce livre, c’est bien sûr cette pensée divagante de l’auteur, qui obéit à ses intuitions et à ses gourmandises pour découvrir ce que baiser veut dire. Mais c’est aussi une initiation à la littérature qui permet de poursuivre sa quête charnelle par une quête spirituelle, de l’inscrire dans l’expérience d’une civilisation et de lui offrir de nouvelles consonances et des conséquences imprévues – en cette matière, on n’est censé rien ignorer, et pourtant beaucoup reste à apprendre.

Gérard-Georges Lemaire

Le baiser peut-être, de Belinda Cannone. Alma Éditeur, 168 pages, 17 euros.



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