Magazine Côté Femmes

L’autre côté du miroir [Des histoires de filles]

Par Poulettenela

Et si vous faisiez une petite pause entre ces repas copieux ?

Installez-vous confortablement, je vous propose de lire ma petite nouvelle préférée.

Une jolie histoire d’amour…

Et pour répondre à vos premières interrogations : non, je ne me suis jamais retrouvée bloquée dans un ouragan !!

L’autre côté du miroir [Des histoires de filles]

 

L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR.

Encore une journée de dingue.

Licenciements à gérer, nouvelle équipe à former, budgets à clôturer…

Pas une minute à mois depuis des semaines.

Et ce téléphone qui sonne encore et encore.

Par réflexe, je jette un œil distrait à l’écran avant de laisser la messagerie se déclencher.

C’est Elle.

Habituellement je ne décroche pas quand elle appelle.

Lui parler en public, au milieu des regards inquisiteurs de cet open space, ce n’est pas mon truc.

Mais surtout, elle a une façon de me reprocher ma distance et mon silence, même involontairement, qui me met mal à l’aise.

Je n’ai pas la tête à ça, je n’ai pas envie de ça.

Pourtant, depuis plusieurs jours, elle ne me donne pas de signe de vie…

Et c’est donc avec une certaine appréhension que je décide de prendre l’appel.

- « Stéphane… »

Sa voix est étouffée et essoufflée.

La ligne est mauvaise, ses mots sont hachurés.

- « Je n’en ai pas pour longtemps. »

Un bruit de foule couvre sa voix et m’empêche de l’entendre distinctement.

- « Ça va ? Où es-tu ? »

J’ai parlé plus fort que je n’aurai du.

Les visages de mes voisins se tournent vers moi.

Des sanglots se mêlent au bruit de fond.

- « Je suis à Punta Cana. Laisse-moi parler. Il y a une alerte. Un ouragan approche de l’hôtel. »

J’entends des portes qui claquent, des gens qui crient.

- « Il approche…  Nous sommes en train d’évacuer. J’ai peu de temps.»

Un crissement terrifiant de tôle froissée résonne dans mon téléphone.

Sa voix déraille.

- « S’il devait m’arriver quelque chose… »

Je n’ose imaginer la suite…

Un ouragan… Est-elle seule ? Que fait-elle là-bas ?

- « Stéphane, s’il devait m’arriver quelque chose… ne m’oublie pas… pas tout de suite… »

Elle tente de prendre un ton léger mais je sens la panique dans sa voix.

J’essaye de prononcer un mot, mais aucun son ne sort de ma bouche.

- « Je t’… »

Une cassure se fait dans sa voix.

Elle se reprend soudain.

- « Je t’embrasse fort. »

Elle me lance ces derniers mots dans un souffle et la communication est interrompue.

Elle a raccroché.

Mon cœur bat plus vide que je ne le voudrais.

J’ai l’impression d’être dans un mauvais film.

C’est quoi cette histoire ?

Je rappelle instinctivement le dernier numéro, SON numéro.

Les secondes d’attente semblent ne jamais se terminer.

J’entends enfin un déclic, mais l’appel passe directement sur messagerie.

J’inspire un grand coup avant de parler.

Je tente de garder mon calme, de rester détaché et de m’exprimer posément.

C’est forcément une mauvaise blague.

- « Appelle-moi quand tu auras ce message. Je n’ai pas tout compris. »

Une alerte s’affiche alors sur mon écran d’ordinateur.

« Réunion marketing – Salle Pierre et Marie Curie – 15 heures. »

J’ai 15 minutes pour reprendre mes esprits et relire mes notes.

Elle me fera un texto dans quelques minutes, j’en suis certain.

Quelles sont les probabilités qu’elle soit à Punta Cana, qu’un ouragan se forme à proximité et qu’il se dirige vers son hôtel ?

Moins d’une sur un million !!

Je regarde nerveusement mon écran de portable.

Pas de message.

Un collègue me fait signe du bout du couloir.

Il est temps d’y aller.

Je me saisis rapidement du téléphone et compose à nouveau son numéro.

Cette fois, ce n’est plus sa voix qui m’accueille, mais un message en espagnol.

L’opérateur local m’informe que le réseau est momentanément indisponible.

- « Ils ont choisi leur jour !! »

 

Mon collègue s’approche de moi, l’air soucieux.

- « Tu es prêt ? Quelque chose ne va pas ? »

Je lève les yeux, passablement irrité.

Je n’aime pas ces situations de doute, je n’aime pas ne pas savoir.

J’attrape violemment mes notes et quitte le bureau.

- « Tout va bien. Allons-y. »

La salle de réunion est déjà pleine.

L’équipe marketing n’attendait que moi.

Les prestataires sont prêts : présentation affichée sur écran géant et sourire aux lèvres.

Je m’assieds face à eux et confirme de la tête que nous pouvons commencer.

Les minutes s’égrainent sans que je prête la moindre attention aux discussions.

Je me passe en boucle ses mots, ses phrases…

Je me remémore sa peur, ses sanglots étouffés…

Mon téléphone n’affiche toujours aucun message.

Cela fait plus d’une heure que je n’ai pas de nouvelles.

Je me lève brusquement.

Un silence soudain se fait dans la pièce et l’assistance me voit quitter la salle sans dire un mot.

Je m’assieds brutalement à mon bureau et enfouis mon visage dans mes mains.

Me calmer… je dois avant tout me calmer…

Cette heure passée me semble surréaliste.

Pourtant, une idée me traverse soudainement l’esprit.

Je dois savoir si tout cela est réel.

Je tape frénétiquement sur mon clavier d’ordinateur.

« Alerte ouragan Punta Cana ».

Le résultat de Google ne se fait pas attendre.

Je clique sur le premier lien.

Des photos et des vidéos d’apocalypse inondent mon écran.

Arbres arrachés, immeubles éventrés, corps flottants au milieu des débris.

Je cherche une légende, une date…

Il s’agit des témoignages du dernier ouragan.

Force 3, il y a 2 ans.

Je retourne à la page de recherche et tape « Informations en direct Punta Cana ».

Les principaux journaux nationaux affichent la réponse tant redoutée.

« Un ouragan de catégorie 4 touche actuellement la Mer des Caraïbes et plus particulièrement Haïti et la République Dominicaine qui constituent l’île d’Hispaniola.

L’alerte a été donnée beaucoup trop tardivement en raison de l’extrême rareté d’un ouragan à cette période de l’année.

La ville de Punta Cana, à la pointe Est de la République Dominicaine, est particulièrement touchée par des pluies torrentielles et des vents soufflants à plus de 200 km/h.

De nombreuses victimes sont d’ores et déjà à déplorer.

Nous avons une pensée émue pour tous les touristes français séjournant dans les hôtels de la côte. »

J’ai inconsciemment cessé de respirer.

Une boule d’angoisse s’est formée dans ma poitrine à la lecture de ces mots.

Et si elle était bel et bien là-bas…

Si son hôtel était touché…

Je revois les images prises il y a 2 ans…

Je prends soudain conscience de la réalité.

Et si elle ne revenait pas…

Mon nœud de cravate m’étouffe, ma veste me comprime…

Il me faut de l’air.

Je descends les étages en trombes et me retrouve sur le parvis.

Un froid glacial me brûle la gorge et accentue mes sueurs.

J’allume frénétiquement une cigarette et m’effondre contre le mur.

Tout me revient en mémoire, le moindre détail de nos rencontres, de nos discussions, de nos rires…

L’odeur de sa peau alors que je la prenais dans mes bras la toute première fois.

Les boucles de ses cheveux noirs que je faisais glisser entre mes doigts.

La tristesse de son regard quand elle prenait conscience que mon cœur était à une autre.

La rage dont elle tempérait ses discours en me parlant des injustices de notre monde.

Le supplice dans sa voix quand elle m’avouait que je lui manquais.

Et ses déceptions…

Combien de fois a-t-elle été déçue par ma faute ?

Je me souviens de lui avoir dit « Je ne veux pas voir de larmes sur tes joues par ma faute… Ce sont des rires qui doivent illuminer ton visage. »

Ai-je tenu ma promesse ?

Ai-je été capable de la faire sourire plus que pleurer ?

Je n’en suis pas certain.

Et si je ne la revoyais plus ?

Si plus jamais je n’étais en mesure d’entendre sa voix et de me plonger dans son regard sombre ?

Si seuls me restaient les souvenirs de ces trop rares moments partagés ?

Qu’adviendrait-il de moi ?

Je réalise soudain qu’elle pourrait ne jamais revenir.

Cette pensée m’est insupportable et les regrets me dévorent.

Je n’ai pas pris soin d’elle.

Parce que j’étais incapable de panser mes blessures passées, elle a été contrainte de subir mon éloignement, mes incertitudes et mes tourments.

Que de regrets face à ce vide qui s’installe.

Que craignais-je alors ?

Qu’elle ne s’accroche à moi ?

Que sa présence se fasse plus fréquente ?

Ce sont les risques et les bonheurs des rapports humains !

Alors que les cigarettes s’égrainent entre mes doigts, je réalise qu’une foule s’est constituée à quelques mètres de moi.

Des visages m’observent : j’en reconnais certains, d’autres me sont inconnus.

Ils me dévisagent, émettent des hypothèses, viennent alimenter les ragots.

Mais aucun n’a conscience de mon désarroi.

Je ne la reverrais probablement pas.

Jamais.

Lorsqu’elle me proposait de l’accompagner au cinéma, je refusai.

Si elle m’invitait à un concert, je ne prenais même pas la peine de répondre.

Quand elle me demandait de l’emmener à New York, j’acceptais sans en penser un mot.

Mes craintes me semblent tellement dérisoires et ridicules à présent.

Comment aurais-je réagi si j’avais su que nous n’avions plus que quelques mois à partager ?

Je repense aux romans, aux poèmes qu’elle m’a offerts et que je n’ai pas pris la peine de lire.

Je me remémore les listes de morceaux sélectionnés pour moi et auxquels je n’ai prêté aucune attention.

Et ce dernier message vocal… celui où elle m’avouait avoir envie de moi et me demandait de bloquer un moment dans mon agenda…

N’aurais-je pas pu l’appeler pour en discuter ?

Méritait-elle une telle indifférence ?

Etait-elle insignifiante et sans intérêt à mes yeux ?

La nausée s’empare de moi.

J’ai tout gâché.

Et malgré mes erreurs, elle a tenu à m’appeler… elle a souhaité me dire au revoir… une dernière fois…

Bon sang…

BON SANG !!

J’ai envie de hurler !

Les larmes me brûlent les yeux.

Elle est partie à tout jamais.

Je n’aurai plus jamais l’occasion de m’excuser, de m’expliquer, de la consoler.

Elle semblait tellement malheureuse, ces derniers temps.

C’est certainement pour cette raison qu’elle est partie à l’autre bout du monde.

Prendre le large comme elle disait.

C’était avec moi qu’elle voulait le faire, mais je n’étais pas là.

Ma vie était ailleurs.

J’aurai dû prendre le temps de…

Si j’avais su, j’aurai…

Mon corps se fait lourd à présent…

Mes jambes ne me portent plus…

Je me sens partir…

Le Docteur Gérard lève un sourcil et pose son bloc notes.

Il inspire profondément et m’observe un instant.

- « Depuis combien de temps faites-vous ce cauchemar ? »

Je tente de reprendre mes esprits.

Les souvenirs de ce rêve mouvementé me blessent et me rendent émotifs.

- « Depuis plusieurs semaines. Depuis que je n’ai plus de nouvelles. »

Il enlève ses lunettes et me regarde avec curiosité.

- « Et l’avez-vous contactée ? Avez-vous donné de VOS nouvelles ?

- J’ai tenté, oui. Mes mails et mes SMS restent sans réponse. Mes appels sonnent dans le vide et elle ne répond pas à mes messages vocaux. »

Il m’est douloureux de repenser à cette distance et à ce silence qui me sont imposés.

Je ne comprends pas ce qui a pu provoquer un éloignement si brutal.

- « La question à laquelle vous devez tenter de répondre est si oui ou non vous souhaitez partager quelque chose avec cette jeune femme. Du temps, de la tendresse… peu importe le mot. Souhaitez-vous qu’elle fasse partie de votre vie ? »

S’il m’avait posé cette question il y a 3 mois, je lui aurai répondu qu’elle faisait déjà partie de ma vie… en quelque sorte.

Même si nous ne nous voyions que 5 ou 6 fois par an, nous prenions des nouvelles, restions en contact et avions plaisir à nous revoir.

Mais depuis ce cauchemar récurrent, mes certitudes sont bien faibles.

Je me réveille en pleine nuit, le cœur battant, la bouche sèche et le corps tendu.

Et, tentant de me rendormir, je me pose inlassablement la même question « Si elle venait à disparaître à tout jamais, me manquerait-elle ? Aurais-je des regrets ? »

Le Docteur Gérard attend patiemment que je me sorte de mes pensées et que je formule une réponse.

Ne voyant rien venir, il prend les devants.

- « Si, effectivement, vous ne souhaitez rien de plus, vous pourriez profiter de cette distance qu’elle met entre vous et laisser faire le temps.

Si vous estimez que sa présence vous est désagréable, laissez-la s’éloigner et passez à autre chose. »

Je prends en considération sa remarque et me contente de hocher bêtement la tête.

- « Toutefois, si vous me permettez une remarque plus personnelle… il me semble que ce cauchemar et sa fréquence sont déjà des réponses aux questions que vous vous posez. Et ils expriment clairement la crainte de la perdre. »

Un bip léger retentit dans la pièce.

L’heure de consultation est écoulée.

J’enfile ma veste sans un mot.

Le Docteur Gérard s’approche de moi en me tendant la main.

Alors que sa poigne se referme, il plante son regard dans le mien et me murmure

- « Les moments partagés avec cette personne doivent vous être bien précieux pour que votre subconscient vous rappelle à l’ordre aussi brutalement.

Profitez de la vie… vous êtes jeune !

Laissez les regrets aux vieilles personnes comme moi ! »


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