Mariano Rajoy vient de prendre jeudi dernier les rênes d’une Espagne en pleine crise.
Un article d’open Europe
Le roi Juan Carlos serre la main du nouveau Premier ministre Mariano Rajoy lors de la cérémonie officielle de passation du pouvoir.
Les élections générales d’il y a quelques semaines en Espagne ont vu le Partido Popular de centre-droit remporter une victoire écrasante et sécuriser une majorité absolue dans les deux chambres du parlement espagnol (avec 186 des 350 députés et 130 sénateurs sur 208). La victoire était largement attendue, bien que même les sondages n’avaient pas vraiment prévu une telle contre-performance du parti socialiste sortant, qui a perdu à l’assemblée, au moins de 5 à 10 sièges en deçà des attentes.
Malgré la vague de protestations contre l’establishment politique en Espagne organisé par le mouvement indignados, le taux de participation était resté assez élevé (71,69%, en baisse par rapport aux 75,32% de 2008), bien que le nombre de bulletins nuls avaient doublé, passant de 0,64% à 1,29%.
Malheureusement pour l’Espagne, qui fait face à des taux d’emprunt record et à des niveaux insoutenables, le gouvernement s’installe juste avant Noël, en raison d’un calendrier précis énoncé dans la constitution espagnole. La spéculation avait déjà démarré sur les noms des personnes qui devaient figurer dans le cabinet dirigé par le leader du Partido Popular, l’impénétrable Mariano Rajoy âgé de 56 ans (voir photo). En particulier, deux noms flottaient dans la presse espagnole pour ce qui concerne le poste clé de ministre de l’Économie: Cristóbal Montoro (un politicien, qui a déjà servi sous José Maria Aznar) et José Manuel González Páramo (plutôt un bureaucrate, qui détient actuellement un siège au Conseil exécutif de la BCE). Finalement, Mariano Rajoy a arrêté son choix sur un troisième, Luis de Guindos, ancien président de la banque Lehman & Brother pour l’Espagne et le Portugal.
Comme avec le nouveau gouvernement italien, la réponse des marchés à l’issue des élections en Espagne avait été tiède, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est sans doute parce que, pour le moment, c’est franchement très difficile de voir de grandes différences entre ce que le gouvernement socialiste a fait durant son dernier mois en poste et ce que le Partido Popular a promis de faire au cours de sa campagne électorale. Après tout, les deux grands partis Espagnols semblaient prêts à jouer un air similaire eu égard à l’austérité quand ils ont tous deux accepté d’introduire un frein à l’endettement dans la constitution espagnole en début d’année.
Toutefois, il se pourrait bien que les Espagnols commencent à entendre le mot recortes (austerité) plus souvent. Rajoy en a clairement parlé dans une longue interview accordée au quotidien El País il y a quelques temps:
Ma première priorité est de préserver le pouvoir d’achat des pensions. À partir de cette prémisse, il y aura beaucoup d’autres coupures [budgétaires]. Dans notre programme électoral nous envisageons un examen de tous les postes budgétaires. À partir de là, nous aurons à faire des coupes dans chacun d’eux… Nous aurons à réduire les dépenses là où nous le pourrons.
Dans la même interview, Rajoy avait également insisté sur le fait que, contrairement à son rival socialiste, Alfredo Pérez Rubalcaba, il n’avait pas l’intention de demander à l’UE de repousser les échéances pour atteindre les objectifs de l’Espagne concernant la réduction du déficit, car une telle demande « enverrait le mauvais signal dans les circonstances actuelles. »
Très controversé, Rajoy a également fait allusion à la réduction des prestations de chômage, en ajoutant:
Je pense que les allocations de chômage vont diminuer, non pas parce que les gens vont arrêter de les percevoir, mais parce qu’il y aura moins de personnes en droit de les obtenir.
Mais ce programme massivement orienté vers l’austérité laisse au moins trois grandes questions (reliées les unes aux autres) sans réponse. Premièrement, comment Rajoy permettra-t-il à l’Espagne d’effectuer un retour vers des niveaux élevés de croissance économique? Deuxièmement, que fera le nouveau gouvernement dirigé par Rajoy pour faire regagner de la compétitivité à l’Espagne dans la zone euro? Et troisièmement, quel est le plan exact de Rajoy pour s’attaquer aux niveaux ahurissants de chômage en Espagne? Les idées exposées sur le site web du Partido Popular semblent bien vagues, ce dont les marchés se sont aperçus.
En ce qui concerne le rôle de l’Espagne dans l’Europe, Rajoy, avait répété lors de son élection à la foule en liesse à la Calle de Génova (le siège du Partido Popular à Madrid) qu’il voulait que l’Espagne soit « mise en avant en l’Europe, à la place qu’il lui revient. » Un éditorial dans Le Figaro avait déjà pressenti un nouvel axe franco-espagnol:
Le soutien de Madrid sera précieux dans le dialogue, parfois vigoureux, avec Berlin… Si [le président français] Nicolas Sarkozy se met à l’écoute des attentes de Mariano Rajoy pour ne pas se trouver marginalisé dans la nouvelle Europe en construction, il peut se trouver un nouvel allié précieux en lui, à la fois en Europe et en Méditerranée.
Cependant, il semble que Rajoy ne partage pas vraiment la vision de Sarkozy d’une Europe à plusieurs vitesses. Dans la même interview mentionnée ci-avant, Rajoy avait déclaré :
Je suis radicalement contre l’existence de deux ou trois vitesses [en Europe], parce que cela voudrait dire que certains pays se financent très bien et dès lors se montreraient plus compétitifs, tandis que d’autres traineraient loin derrière. Ça serait mauvais pour tout le monde.
La vérité est que Rajoy a toujours ressenti une plus grande sympathie pour David Cameron et sa politique économique. Et en fait, un porte-parole de Downing Street avait confirmé que, quand Cameron avait appelé Rajoy pour le rituel de félicitations lors de son élection, le Premier ministre espagnol lui avait dit qu’il était « prêt à établir un partenariat étroit » avec son homologue britannique en personne. Comme nous l’avons déjà dit ici, ce sont certainement de très bonnes nouvelles, notamment parce que Rajoy serait un nouvel allié pour le Royaume-Uni sur l’échiquier centre-droit en Europe, au moment où il semble probable que la France et l’Allemagne pourraient être gérées par le centre gauche après les prochaines élections dans ces deux pays, prévue pour 2012 et 2013 respectivement. Le soutien de l’Espagne pourrait être particulièrement utile pour faire passer, par exemple, une directive plus libérale concernant les services.
Rajoy va très vite faire face à certaines questions difficiles sur la crise de la zone euro, et plus particulièrement : est-il pour ou contre des euro-obligations? Que pense-t-il de la BCE comme prêteur de dernier recours de la zone euro?
Ce qui semble plus certain, pour le moment, c’est que Rajoy fera face à d’importantes pressions externes dans les prochaines semaines/mois venant de la France, de l’Allemagne, de la BCE et de la Commission qui exerceront leurs pressions pour obtenir des réponses plus claires sur ce que son gouvernement envisage de faire pour sortir l’Espagne de la crise.
Le moment est proche où Don Mariano devra abandonner ses ambiguïtés galiciennes un peu curieuses et devra jouer cartes sur table avec ses homologues européens.
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Sur le web
Traduction : JATW pour Contrepoints.