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De sciences-po à sciences-potes

Publié le 26 décembre 2011 par Metamag

 

 

De Sciences-po à Sciences-potes  - L'oligarchie cadenasse les esprits et castre les caractères

L'oligarchie cadenasse les esprits et castre les caractères 


 

Au moment où l’atelier sciences-politiques d’un lycée des Antilles Françaises, préparant des élèves de terminale et de première au concours Sciences-po par la voie de l’éducation prioritaire, décidait de participer à l’opération Nuntius Belli pour le Noël de nos soldats en Afghanistan, on apprenait, le 12 décembre, la suppression de l’épreuve de culture générale au concours de Sciences-po, pour l’année 2013. Au motif que cette épreuve serait « un frein au recrutement d’élèves issus de la diversité ».

La décision de Richard Descoings, directeur de l’IEP, proche de Nicolas Sarkozy et souvent pressenti pour remplacer Luc Chatel au Ministère de l’Education, a suscité de nombreuses réactions sur les forums et les réseaux sociaux de la droitesphère. Toutes paraissent s’expliquer par la crainte inexpliquée de voir "la racaille" investir Sciences-po. Mais, est-ce vraiment la question ? Et, comment être populiste et, en même temps, s’opposer à l’entrée des minorités visibles dans les grandes écoles de la République française ?

N’en déplaise aux nombreux sites identitaires et conservateurs, le peuple, le populaire d’aujourd’hui, est basané et métissé. Il vit en banlieue. Et la plupart de ces jeunes ont tous, dans leurs poches, une carte d’identité française. Qui a donc peur de voir les banlieues débouler à St-Germain des Près ? Comment peut-on rêver d’un grand soir socialiste, d’un sursaut nationaliste contre l’oligarchie financière et les banquiers, sans en inclure  la « racaille » des banlieues, seule capable d’amorcer les luttes de demain et de faire trembler les politiques ?
La racaille n’est pas le danger, mais l’armée de réserve de la révolution 
Excusez-moi, mais jamais les culs bénis de St-Nicolas de Chardonneret n’oseront, par exemple, sans prendre aux caméras de surveillance que, dans l’insurrection à venir, il faudra, dès les premières manifestations de rue, comme en Grèce, démanteler avec violence et sans ménagement. Croyons-nous que les manifestations et protestations viendront des quartiers « blancs » anesthésiés ou qu’elles se feront par des pétitions ou des déclarations syndicales ? Ne tombons pas dans l’effet pervers de l’immigration, armée de réserve du capital, relégué au "lumpen" et ne divisons pas le peuple français sur des critères ethniques. Ce serait le meilleur moyen de l’endormir, plus encore, et de le conforter dans ce qu’il paraît être aujourd’hui: un peuple de résignés, pas même d’indignés et surtout pas de révoltés.
Ceci étant, la décision de Descoings est plus pernicieuse qu’on ne le pense. Elle participe du formatage de l’esprit, inauguré par la réforme du « nouveau lycée » de Luc Chatel. La réforme, qui a suscité très peu de contestation, sera pourtant, à notre avis et le temps passant, la réforme la plus corrosive du quinquennat Sarkozy. Prenons qu’un seul exemple. Dans le lycée"light" de Luc Chatel, pour la première fois, les horaires de cours ont été diminués mais le contenu des programmes est resté inchangé. Pourquoi ? 
C’est que le leitmotiv des rectorats est de nous répéter que le métier d’enseignant a changé; qu’en somme, il n’y a plus de programmes ou que le programme n’est plus l’essentiel. Bref, en tant qu’enseignant, vous ne vous focaliserez plus sur la transmission des connaissances, mais élaborerez des grilles de compétences. En fait, la suppression de l’épreuve de culture générale de Sciences-po anticipe les futurs arrivants du lycée "light" de Chatel. D’ailleurs, au même moment, le Bulletin officiel de l’Education nationale incorporait des questions à choix multiples pour la future épreuve de biologie du baccalauréat; c’est-à-dire supprimait l’argumentation rédigée d’une épreuve, afin, on le devine, de ne pas avoir à pénaliser les fautes d’orthographe et de syntaxe des élèves, d’occulter leur défaut de rédaction. 
Il se trouve que, par hasard, cette semaine, j’ai feuilleté deux cahiers d’élèves de primaire. Dans les deux cahiers, les lettres étaient mal formées, les fautes d’orthographe quasiment présentes, non pas à chaque ligne, mais à chaque mot. Il y a pire : dans les deux écoles, elles n’avaient pas été corrigées par les deux instituteurs !
Le nouveau profil du bon élève formaté par Big Brother 
Supprimer l’épreuve de culture générale de Sciences-po, c’est donc s’adapter à l’école et au lycée "light" . C’est aussi rationaliser l’examen, privilégier la tête bien pleine à la tête bien faite, faire retour sur le dogmatique. En effet, l’épreuve de culture générale était jusqu’alors préparée et corrigée par des enseignants de philosophie. Autrement dit, le savoir, l’érudition, la répétition mécanique n’y étaient pas décisifs. Le concours, tel qu'il était structuré, permettait, de façon objective, de sélectionner des candidats maîtrisant les fondamentaux tels que l'expression écrite, la maîtrise d'un fil logique de pensée et d'argumentation, la hiérarchisation des concepts. Elle permettait de déceler les capacités de problématisation et, ce qui avait toujours compté dans cette épreuve, c’est la qualité de la réflexion personnelle et le raisonnement, pas la répétition de fiches apprises par cœur. 
Le prochain candidat Sciences-po sera, lui, recruté pratiquement sur profil (d’ailleurs, l’entrée des meilleurs élèves de lycée, fruits de l’ancienne méritocratie, ceux qui rentraient sur dossier avec la mention "très bien" a, elle-aussi, été supprimée !). Mais alors, quel est le profil souhaité ? 
Comme pour les concours d’enseignants qui ont inauguré l’année dernière une  nouvelle épreuve de questionnaire sur le métier et ses valeurs, le profil est celui de l’humanitaire, de l’humaniste, de l’engagé associatif, un homophile si possible, un laïcard de surcroît, tolérant et bonne poire ! Il devra savoir parler, c’est-à-dire n’être jamais à court, même si ce n’est pour rien dire puisque tout reposera en partie sur l’entretien ; il devra savoir gesticuler puisque, effectivement, la vie politique est un spectacle. Il devra aussi avoir le bon faciès, un peu coloré, puisqu’il s’agit de discrimination positive larvée. 
Il devra en tout cas, comme le font de nombreux étudiants britanniques et américains, se dévouer pendant les vacances, accepter l’escroquerie du bénévolat dans les ONG. Non pas par fibre "charité chrétienne" ou "solidaire", mais parce qu’il "faut" le faire, pour être de ceux qu’on retiendra, puisque plus on s’impliquera dans la vie associative, politique, caritative, plus on passera pour le parfait petit soldat ! Bref, le futur candidat Sciences-po devra être capable de pouvoir prétendre que ce qui est rond est carré, brillant en verve et bien au courant des pommades idéologiques qu’il faudra servir aux jurys, ravis de la nouvelle crèche globale et de l’esprit couche-culotte d’un écologisme ou d’un réchauffement climatique mal compris ! 
Pour le chef: exit la vertu et l'humanité, place au profilé tendance

Indéniablement, c’est vrai qu’en prenant une telle décision, Richard Descoings avalise le processus général de "dégradation" de la culture générale (avec l’évacuation des langues anciennes, la renonciation à l'orthographe, le  déclin de la lecture, l’oubli des classiques etc..). Il accrédite l’inanité et l’inculture présente des hommes politiques. Or, depuis l’Antiquité, depuis Platon en particulier, toute la réflexion sur l’art de gouverner insiste sur la vertu, sur le juste et la justesse des gouvernants. Que pourra-t-on, en effet, attendre comme distanciation critique, comme vertu de prudence et d’abnégation de futurs gouvernants qui, dès le début de leurs études, se seront pliés au moule collectif et à l’esprit de mode, auront, dès leur plus jeune âge, appris à soigner leur profil ? 

L’épreuve ancienne de culture générale permettait, par exemple, à des élèves timides et extrêmement réservés, de manifester des qualités d’intériorisation invisibles à l’oral. Dans les critiques adressées à cette réforme, comme à toutes les réformes de l’éducation et de son recrutement, cette dimension de l’intériorité est ignorée et esquivée, comme si la personnalité humaine n’était pas une personnalité en construction, une personnalité dont la valeur n’est justement pas extérieure, mais intérieure. Or, un élève jeune et introverti peut, souvent, par la seule culture livresque, se révéler peu à peu et seulement en fin de formation (à la condition bien sûr qu’il ait pu entrer à l’école !) manifester des qualités de décision politique qu’aucun fanfaron "trendy" ne pourra lui envier. 
S’il s’agit d’apprendre à gouverner les hommes, il importe en effet d’abord, d’apprendre à forger des âmes qui savent dire non. L'essentiel n'est pas de former des spécialistes, mais avant tout des hommes capables de réflexion et de compréhension pour des sujets sortant du cadre étroit d'une discipline particulière. L’essentiel est de former des hommes capables de décision humaine et non technocratique, des hommes capables du repli sur soi, de conscientisation. L’essentiel est de former des esprits critiques. Au lieu de soutenir et de réhabiliter, du coup, la philosophie, Descoings comme Chatel et d’autres préfèrent lui donner le coup de grâce, la cantonner à de l’accompagnement personnalisé, en supprimer toutes ses exigences intellectuelles et ses devoirs éthiques, la réduire à une sorte de soutien à la conversation mondaine.
Une non-sélection toujours discriminante
Or, d’un autre côté, rien ne dit que les épreuves de langue et d'histoire ou les entretiens sur profil, favoriseront moins les "héritiers" (au sens de Bourdieu) et seront  moins discriminants pour les jeunes "défavorisés" ou pour la racaille.
Les « héritiers » auront toujours les moyens  (dans tous les sens de ce terme) de se préparer à ce type d'épreuves. 
Mais, peut-être, plus grave, juge-t-on, en fait, que la racaille n’a pas le droit à l’intériorité, que provenant des bas-fonds, elle est incapable de se replier sur elle-même ou de saisir les subtilités de la culture française (de St-Thomas à Villon, de Descartes à Hugo, de Maine de Biran à Genet). Ou peut-être, croit-on, qu’il n’y a pas de racailles timides, que tous les jeunes de banlieue sont des fiers à bras ou des grandes gueules ? Ou bien, plus sournoisement, cherche-t-on à opérer une nouvelle sélection, la sélection de la racaille conforme, de la racaille bien pensante ? Et si en définitive, le désir diversitaire de Descoings était de "blanchir" les banlieues, en leur interdisant de penser, de ne pas trop penser, par exemple, aux immenses inégalités à l’œuvre dans le pays, à sa sociologie réelle, à ses atouts et à ses faiblesses ? Car, enfin, si l'immigration est une chance pour la France, pourquoi alors devoir baisser le niveau des concours ?
En fait, la décision de Richard Descoings est à l’image de nos élites gauchisantes et de tout le système éducatif français qui a décidé, dans un déni du populaire sans précédent, de s'adapter à la nouvelle France c'est-à-dire de revoir les choses " à la baisse"... Comme si le peuple n’était pas capable de hauteur ! Or, hier, de nombreux maghrébins et africains, qui sont aujourd'hui médecins et chirurgiens en France, avaient réussi leurs concours de médecine sans la discrimination positive. Comment avaient-ils faits? Ils avaient tout simplement bossé comme des dingues, jusque très tard dans la nuit, en se concentrant et en ne pensant qu'à ça. 
Certes, ceux qui tiennent les murs dans les halls d'immeubles en vendant des barrettes de shit ou des sacs de poudre, ne peuvent effectivement avoir les mêmes résultats ! Mais, enfin, supprimer l'épreuve de culture générale à Sciences Po est-il une manière de nous faire croire que les barres d’immeubles rejoindront les couloirs ministériels ? C’est franchement se moquer de nous ! La décision de Decoings n’est donc pas seulement une  erreur. C'est surtout une lâcheté, par la posture d’abaissement qu’elle suppose en amont de toute l’éducation, par cette honte et ce déni du populaire qu’on souhaite surtout ne pas voir s’élever. 
Sauve qui peut: l'éducation nationale est morte 
Au fond, Descoings a sans doute raison. N’a-t-il pas fondé sa décision monarchique sur le constat que l'épreuve de culture -aussi générale soit-elle- ne peut plus avoir lieu, par manque même de substance? Mais alors la décision de Descoings serait le plus bel aveu de la disparition de toute culture dans l'Education nationale, là où, dans les copies de français, l'orthographe n'est plus sabrée, où, dans les copies de philosophie, toute référence à l'étymologie d'un mot, à ses parentés ou à des lectures précises ne se fait plus et, où les énonces de sujets analytiques ont disparu, exemple insigne de la superficialité très éphémère du savoir acquis de nos élèves... Ne jamais creuser vers les racines, ne jamais interroger le génie de la langue, ne jamais approfondir et supprimer l’histoire dans sa version héroïque. 


Ainsi, la décision de Descoings est novatrice. Elle supprime ce qui, de facto, fait désormais défaut dans l’Education nationale, la culture dans l'intention sournoise de se soumettre au pédagogisme pragmatique ambiant, aux acquis de l’expérience et autres compétences néo-urbaines. Que cette posture soit arrivée, maintenant, à l’échelon universitaire, dans une grande école, en dit forcément très long sur ce qui se passe, par ailleurs, en sourdine dans les universités : l’augmentation des remises à niveau élémentaire, les licences bradées, les mémoires de maîtrise plagiés, les fautes syntaxiques plus corrigées, le niveau des cours rabaissé d’année en année. Alors que les « élites » identitaires et jésuitiques de la nation et les forums sociaux se rassurent : la réforme du concours de Sciences-Po ne signifie pas, loin de là, la fin de l’exclusion, de la reproduction scolaire et des classes sociales. 
Si la proportion d'enfants d'origine populaire dans les formations élitistes s'est fortement affaiblie en 30 ans et si celle des enfants issus de l’immigration n’a jamais décollée, la discrimination positive n’y changera pas grand-chose. Hier,  dans les années 50, l’école faisait des miracles d’élévation méritocratique avec 30% de fils d’ouvriers et de paysans dans les classes prépas ; elle est devenue, depuis les années 80, avec l’égalitarisme pédagogique prônée par les syndicats, le champ clos d’expérimentations idéologiques diversitaires qui, en visant à changer la sociologie de la France, l’ont tourné effrontément non pas vers un système républicain, mais vers un système oligarchique. 
Aujourd’hui encore, les enfants des milieux populaires restent, pour la plupart, dans leurs universités de province ou, au mieux, dans leurs lycées professionnels, à l’usine ou aux caisses du supermarché. Souvent, ils ne vont même plus à l’école et désertent, par l’absentéisme scolaire ou l’indiscipline en cours, la scolarité obligatoire malgré les reconquêtes ministérielles du mois de juin et pour demain, la réduction des vacances d’été. Ils ne remettent pas le moins du monde en péril les institutions, à moins que… A moins que nous ne les formions à tout autre chose qu’à la soumission ou aux petits fours. A moins que nous ne les formions justement, demain, par un plan mûrement concerté et intellectualisé, à la rébellion… 
En fait, les jeunes d’hier, issus des classes populaires, qui parvenaient à intégrer des grandes écoles, n’ont jamais intéressé vraiment les politiques. Pourquoi ? Ils échappaient souvent à leur formatage pour se sauver tous seuls, pour être justement ce que nous sommes devenus, des êtres libres, des social-traîtres, des légionnaires de la culture. D’ailleurs, ceux qui ont lancé mai 68 (mis à part une épave devenu député européen) étaient souvent des étudiants biberonnés aux "humanités", au grec et au latin. Car c’est, en effet, la culture générale qui mène à la réflexion, éventuellement au refus et, parfois, à la résistance. En fait, vous avez oublié une chose au passage, Monsieur Descoings, c’est qu’une élite se reconstitue toujours sur les cendres d''une précédente, incendiée de l'intérieur.

 
Pour aller plus loin : 

Revue de presse de la réforme du concours sciences-po mais aussi de l’affaire des bonus et dividendes très conséquentes touchées par Descoings et consorts :http://www.liberation.fr/societe/01012377928-lettre-aux-prophetes-de-la-fin-des-temps  

http://blogs.mediapart.fr/edition/observatoire-des-reformes-des-systemes-de-formation-enseignement-et-recherche/article/1 

http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2011/12/la-deculturation-en-cours-est.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/14/l-institut-d-etudes-politiques-de-lille-passeport-pour-le-monde_1618313_3232.html
http://lemonde-educ.blog.lemonde.fr/2011/12/15/sciences-po-paris-les-super-bonus-des-cadres-dirigeants/ 

http://www.lemonde.fr/education/article/2011/09/28/sciences-po-le-diplome-qui-fait-rever_1578811_1473685.html 

et pour rappel instructif, le mémo du cable Wikileaks de l’Ambassade Us sur les banlieues françaises :

http://www.scribd.com/doc/49644978/Wikileaks-US-Minority-Engagement-Strategy-in-France

http://metamag.fr/metamag-552-De-Sciences-po-a-Sciences-potes--L-oligarchie-cadenasse-les-esprits-et-castre-les-caracteres-.html


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