Aujourd’hui, de bonne heure et de bonne humeur, enfin, je serais bien restée au chaud dans mon lit un peu plus longtemps, je file en rickshaw vélo, ces engins à trois roues et deux places en moleskine brillante et quelquefois trouée qui se faufilent dans les petites rues de Delhi, pour aller à « l’international tourist bureau » à la gare de New Delhi. Il faut arriver à 8 h à l’ouverture car je voudrais obtenir un billet de train pour demain pour aller de Delhi à Jaisalmer ou Jodhpur et il n’y a plus rien de disponible jusqu’au 9 janvier. Les Indiens se déplacent en masse pendant les fêtes pour visiter leurs amis et leur famille et cela fait quelques centaines de millions de personnes… Mais il y a le billet « tatkal » pour les touristes non indiens qui peut sauver la mise ou au moins avoir une place… mais les élus sont rares et il convient de se présenter au bureau exclusivement la veille du départ, ce que je fais. Je suis déjà au moins trentième dans la queue et prends mon mal en patience quand la dame qui s’occupe de renseigner sur les horaires, numéro du train, etc. à mettre sur votre formulaire me signale que les billets « tatkal » c’est terminé pour aujourd’hui et qu’il faut revenir demain matin. Je retourne en flânant en direction de la « german backery » pour prendre un petit déj qui me fait déjà saliver, une bonne crêpe au miel accompagnée d’un « hot-lemon-ginger-honey » ma boisson préférée depuis des années et qui remplace avantageusement thé ou café. Trois Français, parents et leur fils adulte qui travaillait à Delhi, sont invités à partager ma table et nous discutons sur nos impressions indiennes, sympathique moment de partage comme il en est souvent en voyage. Le fils, il y a deux ans s’est pris de sympathie pour le jeune chauffeur qu’ils avaient eu lors de leur premier voyage en Inde et lui avait créé un site Internet pour lui faire de la publicité et le faire connaître. Deux ans après, ce chauffeur a acheté cinq véhicules et a une agence qui marche bien grâce à l’essor donné par le site ! La chance sourit aux audacieux qui ont eu un petit coup de pouce au bon moment. C’est aussi ça le boum économique, mais il y a quelques conditions de base… Vouloir s’en sortir mais aussi avoir, même de façon innée une façon rationnelle de gérer, connaître l’anglais parlé et écrit (ce qui est une catastrophe en Inde pour l’orthographe, l’anglais est la plupart du temps phonétique ici pour l’écriture) et un bon contact commercial avec les étrangers, ce qui signifie répondre aux courriers rapidement.
Je file prendre le métro pour aller chez mon ami Shyam (une heure et demie de transport) et en descendant du bus brinquebalant dont j’ai déjà quelquefois écrit sur les tribulations improbables
Dans le minibus, la roue de secours est sortie, de même la plaque du capot
et il y en a un qui tripote là-bas dessous
Grande promenade digestive le soir dans le « Main Bazar » de Pahar Ganj, petite rue tout en longueur bordée d’innombrables boutiques de vêtements, colifichets, livres et cartes postales, statues diverses, encens et CD de mantras qui se répètent à l’envi, épiceries pleines de biscuits pour occidentaux qui ne supportent plus les épices, de rouleaux de papier toilette et de bouteilles d’eau minérale qui trônent au soleil dans la journée. A cela vous rajoutez tous les klaxons des motos qui font vroum vroum pour épater les copains, les sonnettes des rickshaws vélos qui vous frôlent sans jamais vous toucher, mais qui, en arrivant derrière vous, vous font sursauter plus d’une fois, une génisse affolée qui caracole entre deux voitures plein phares et qui n’ont pas le droit d’être là, plus la voiture de police avec gyrophare qui s’impose en klaxonnant de plus belle, les femmes mendiantes avec leur minuscule gamin engoncé dans une couverture et jeté sur l’épaule et qui vous demande d’un air suppliant « chapati madam » en tendant la main, le touriste exaspéré qui se retourne en hurlant en anglais contre l’une d’entre elles et qui lui dit qu’il en a marre d’être suivi chaque fois qu’il sort de son hôtel.
Etre piéton ici c’est être en danger permanent, c’est apprendre à slalomer comme tout le monde avec les yeux derrière la tête et les oreilles bouchées si on veut survivre, en mettant son foulard devant la bouche sinon c’est la quinte de toux assurée pour la soirée. Et dire qu’il y en a qui reste là et qui aime ça… De retour dans la chambre de mon hôtel situé dans une ruelle minuscule d’une rue annexe on ne peut plus sale, où les chiens et les vaches se disputent l’énorme tas d’ordures entassé sous un porche, mais l’hôtel lui est dans une aire magique de silence, hors du temps et de l’espace, dans un encart de petite verdure et de calme à une vingtaine de mètres de tout ça et on oublie tout… et là je déplie mon dernier achat, un beau duvet doublé d’une sorte de polaire à l’intérieur, toute douce comme les nounours en peluche et qui va me permettre de dormir dans le bus couchette réservé pour demain soir pour Jodhpur. Passer la nuit au douillet et presque en suçant son pouce, pour 500 roupies soit 7 euros cinquante, n’est-ce pas aussi du bonheur ? Et pour terminer la journée en tapant mon article, la cerise sur le gâteau ou plutôt le carré de chocolat noir Valrhona « Caraïbe » sur la langue, boite offerte par Yvette que je remercie du fond du cœur, car c’est rajouter du bonheur à du bonheur. Ca donne quoi ?