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"De Marceau à Déon - De Michel à Félicien - Lettres 1955-2005"

Publié le 31 décembre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Que peuvent donc bien s'écrire deux académiciens français dans la correspondance qu'ils échangent pendant un demi-siècle ? Des histoires d'académiciens ? Oui, mais pas seulement. Dabord parce qu'ils ne l'ont pas toujours été.

La première chose que je me demande quand je lis des échanges de lettres entre deux écrivains ? S'ils avaient un jour l'intention de les publier. En l'occurrence rien n'est moins sûr, puisqu'il est souvent question de banalités qui, sous leur plume, prennent cependant une tout autre couleur.

Il est possible que cette correspondance entre Michel Déon et Félicien Marceau ne soit pas exhaustive, même si la fille de l'un des deux, Alice Déon, ne fait état que de lettres "égarées au fil des déménagements et des voyages".

Morceaux choisis ou pas, leurs lettres ou cartes postales sont au nombre de quatre-vingts. Je ne les ai pas comptées. Je fais confiance à Alice qui a annoté le recueil et le présente. Elle a sans doute pris le pseudo patronymique de son père pour qu'il n'y ait pas d'ambiguité sur leur filiation, comme l'ont fait, par exemple, avant eux, Pierre et Claude Brasseur... 

Comme, en bon disciple de Proust, je ne me préoccupe guère de la vie des écrivains que j'aime et dont font partie Déon et Marceau, j'ignorais qu'ils fussent amis depuis leur rencontre chez Plon au début des années cinquante. C'est Alice qui nous l'apprend dans sa présentation. Dans le milieu littéraire ils sont même appelés "les duellistes". Ne serait-ce pas plutôt des duettistes ?

Leurs lettres et cartes postales nous révèlent que ces deux écrivains, que six années séparent, sont très proches de coeur et d'esprit, et qu'ils ont une admiration réciproque pour leurs livres respectifs. Ils se réjouissent des succès rencontrés par l'un ou par l'autre, et, finalement, sont très heureux d'exercer le même métier d'écrire. 

Leur amitié s'étend aux conjoints et descendants. Ce ne sont donc qu'embrassades et affections épistolaires, qui comprennent Chantal, Alice et Alexandre Déon d'une part, Bianca Marceau et Gianni de l'autre. Pourquoi, devant cette amitié qu'aurait loué Cicéron, la chanson de Brassens, Les copains d'abord, qui évoque Castor et Pollux, Montaigne et La Boétie, m'a-t-elle trotté dans la tête pendant une bonne partie de ma lecture ?

A trois ans d'intervalle les deux amis sont élus à l'Académie française, Marceau en 1975, Déon en 1978. Au cours des années 1980, qui occupent la moitié des pages du livre, en l'absence de meilleurs moyens de communication, tandis qu'ils sont toujours par monts et par vaux, surtout Déon, les deux amis s'écrivent et se racontent, entre autres, des histoires d'académiciens.

Ils nous parlent ainsi des compte-rendus de lectures qu'ils font, ou ne font pas, pour l'attribution de prix décernés par la vénérable institution du quai Conti. Ils nous parlent également, avec humour et ironie, des élections aux sièges rendus vacants par trépas de leurs titulaires, des candidats à leur succession, des discours de réception. Ils nous parlent inévitablement des manoeuvres qui caractérisent ces événements et qui agacent davantage Déon que Marceau.

Dans cette correspondance Déon apparaît plus coquin peut-être que dans ses livres. Il envoie, par exemple, à Marceau des cartes postales représentant des femmes peu vêtues, voire pas vêtues du tout, assorties de commentaires où il affiche une prédilection pour les seins nus, à condition qu'ils soient beaux, bien entendu. Sa langue, de temps en temps, se fait plus verte, ce qui prouve que les académiciens savent vivre et peuvent être des jeunes hommes, éternellement. 

Marceau serait plus facétieux, porté qu'il est sur le pastiche et les calembours. Il envoie à son compère des poèmes ou des textes "à la manière de" qui sont irrésistibles et qui ne peuvent que dérider les plus pisse-froid. Tandis que Déon reste très païen, Marceau a gardé un fond très chrétien, qui ne l'étouffe pas et lui fait confier l'ami Déon et sa famille à la sainte garde de Dieu. Cela ne l'empêche pas d'être le plus potache des deux et de rivaliser de jeunesse avec son destinataire préféré.

Par une journée pluvieuse et froide, une telle lecture de lettres et de cartes postales ne peut que faire chaud au coeur. Car, elles sont écrites, sans l'air d'y toucher, par nos deux épistoliers, dans une langue superbe, dénuée de coquetteries. On sent bien que cette langue fait tellement partie d'eux-mêmes qu'ils l'utilisent avec naturel dans leur quotidien, pour notre plus grand bonheur.

Francis Richard 


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