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Larmes de Corée

Publié le 01 janvier 2012 par Copeau @Contrepoints

Le chagrin national de la Corée du Nord relève de la mise en scène ; mais comment obtient-on l’acquiescement des foules à jouer ce rôle ?

Par Guy Sorman

Larmes de Corée

Quand Staline mourut, en 1953, je vis enfant, les Russes pleurer sur la Place Rouge: notre seule source d’informations était alors les Actualités Pathé, projetées au cinéma avant le « grand » film. Pas un instant, ma famille qui était de gauche dans une banlieue communiste de Paris, ne douta de l’authenticité de ce chagrin démonstratif. Quand Mao Zedong disparut, en 1976, je me souviens de la Porte Ste Antoine dans l’Est de Paris, voilée de Noir et ornée d’un portrait gigantesque du défunt Timmonier: Place Tian Anmen, des Chinois pleuraient. Imaginons Hitler mort en 1938: sans aucun doute, aurions nous vu des Allemands pleurer et aussi quelques Français, comme pour Mao.

L’hystérie vue à la télévision – sanglots, se frapper la poitrine, crier Père au passage du cercueil de Kim Jong-Il à Pyongyang – n’est donc pas tout à fait inédite. Elle n’affecte que les dictatures, dans toutes les civilisations: les obsèques de Nasser au Caire en 1970 déchaînèrent des réactions similaires. Il s’est trouvé cependant des journalistes et commentateurs qui n’étaient pas sur place, pour expliquer à la télévision française que les larmes de Corée du Nord devaient tout à la tradition Confucéenne. Pauvre Confucius qui est tout aussi respecté en Corée du sud ; mais du côté de Séoul, le Confucianisme n’incite au chagrin, discret, qu’envers le père de famille, pas envers le soi-disant père de la nation. Quelques observateurs sur place ont tout de même rapporté que seuls les premiers rangs pleuraient face à la caméra.

Il me revient un conseil que me donna Norodom Sihanouk qui, en exil du Cambodge, vécut en Corée du Nord et y conserve une résidence: « Ne croyez, me dit-il,  rien de ce que vous verrez à Pyongyang, les Nord Coréens sont des as de la mise en scène. » Bon conseil que j’ai souvent appliqué sur place. Kim Jong-il était d’ailleurs cinéaste, Norodom Sihanouk aussi et la Corée du Nord est un producteur significatif de dessins animés.

Le chagrin national de la Corée du Nord relève donc de la mise en scène; mais comment obtient-on l’acquiescement des foules à jouer ce rôle? On se posa naguère la même question pour l’URSS : était-ce culturel (L’Homme russe), idéologique (Homo sovieticus) ou tout bonnement l’effet de la terreur sur les foules ? La terreur évidemment comme celà devint clair pour tous après la chute du régime: les Russes qui soudain n’avaient plus peur ont cessé de pleurer sur leurs dirigeants, morts et vivants. Un Nord-Coréen qui pleure le Grand leader disparu n’a pas de chagrin: il a peur. Quant aux Français chagrinés par la mort de Staline ou Mao, je n’ai pas d’explication rationnelle à proposer.

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