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Dynamique hertzienne

Publié le 14 janvier 2008 par Steven Petitpas
Chez soi, quand on a rien à faire, bien souvent, on allume la télé. Histoire de passer le temps. Histoire de dompter un peu l'ennui ou d'animer la pièce. Un geste anodin, quotidien, souvent devenu (mauvais ?) réflexe.
Seulement voilà, à l'étranger, tout est différent. Il n'y a plus d'automatisme. Ou plutôt, l'automatisme devient dangereux. Le familier devient bizarre. Les habitudes à fuir.
En France, la télé n'est pas extraordinaire. Soyons honnêtes : elle présente un intérêt restreint. Fagocitée par des programmes abêtissants et globalisés, envahie à tout niveau par la vraie fausse télé-réalité, attaquée par le verbe crétin d'Arthur et de Cauet, elle est au centre du salon un outil bizarre ouvrant sur un monde qu'on gagnerait la plupart du temps à ne pas connaître. Mais voilà, on la regarde. Parce que c'est devenu une habitude. Parce qu'on a rien de mieux à faire. Parce que souvent (et j'ose à peine le dire) elle nous divertit. Elle nous amuse. C'est fou comme on s'attache à ne plus penser !
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Angleterre. Autre pays. Autres moeurs. Autre télé ?
Mettons tout de suite les choses au clair : non, la télé britannique, malheureusement, n'est pas épargnée par les Big Brother, Star ac' et autres immondices télévisuels. Loin s'en faut. Ces programmes, cependant, ne sont pas diffusés sur les chaînes basiques. Il faut disposer de Sky TV (ou assimilé) pour accéder à toute la richesse de leur contenu. On s'en plaindrait presque.
Si les programmes anglais sont eux-aussi pris dans la vague de l'américanisme audiovisuel primaire, pourquoi la télé m'apparait-elle ici si bizarre, si particulière, si "so British" ? Parce que ça parle anglais ? Non, ce doit être autre chose...
Prenons donc une journée type comme terrain d'analyse. Ça rendra tout plus clair.
Alors que se passe-t-il quand, un vendredi après-midi, après un bon fish&chips, je décide d'allumer la télévision ? La réponse est très simple : il ne se passe rien. Pourtant, la télé est branchée. Il y a des piles dans la télécommande. Il y a même une image sur l'écran. En fait, un programme est bel et bien diffusé. Mais quel programme ? C'est tout le problème : un programme inanimé. Sur telle chaîne, j'aurai droit à une émission de jardinage. Sur telle autre, à un concours de billard. Le concours de billard, éternel rival du trépidant championnat de fléchettes (chacun d'entre eux pouvant être retransmis pendant deux jours de suite sur BBC 1). Pour une bonne petite sieste, après un repas local, j'avoue que c'est l'idéal : une télé figée dans l'atonie.
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Un peu plus tard dans la journée. Vendredi soir, première partie de soirée. Tv : mode on. Oh tiens, Heroes ! Ah, dommage, c'est le même épisode que mardi dernier. Et que dimanche dernier. En fait, c'est encore le 8e épisode de la première saison qui a elle-même déjà été diffusée 3 fois depuis que je suis arrivé. Intéressant.
Vendredi soir, encore. Deuxième partie de soirée. Le moment où il ne faut pas se tromper de chaîne. BBC 1 a en effet la fâcheuse habitude de délivrer, sans en avoir l'air, des images assez insoutenables, telles que le détail d'interventions chirurgicales fort ragoûtantes (qui a parlé de ravissantes émasculations ?) ou bien d'autopsies de (vrais) cadavres humains.
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Je précise qu'il s'agit là des images les plus horribles, voire traumatisantes, qu'il m'ait été donné l'occasion de voir dans toute ma vie. Je rappelle aussi que je me trouve dans un pays où la moindre goutte de sang suffit à rendre un film interdit aux moins de 18 ans (cf. l'article "Have you got your ID ?"). Paradoxal. Anglais.
Vendredi, toujours. La nuit. Peut-être le moment le plus étrange, le plus hypnotique. Le moment où la télé anglaise se pare d'un pouvoir proprement surnaturel... Ce qui devrait être un programme télé mute en une chose composite... inqualifiable... La chose monstrueuse prend vie... Elle est intitulée "Make your play"...
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Au cours de cette émission, des présentateurs (préférablement blondes à forte poitrine ; à défaut on se contentera d'un brun aux dents blanchies) sont payés pour pousser les téléspectateurs nocturnes un poil ingénus à répondre à des questions enfantines via un petit coup de téléphone surtaxé... A la clef, de 100£ à 1000£... Promettre de l'argent : décidément le meilleur moyen de gagner du fric.
Il faut bien s'imaginer la chose : le présentateur (pauvre de lui), malgré son entraînement d'athlète, n'a jamais rien à dire ; pendant plusieurs minutes, il improvise maladroitement autour de la question posée et rappelle aux idiots qui le regardent la somme tout à fait extravagante qu'il y a à gagner. Il répète toujours les mêmes phrases, toujours sur le même ton, et des blancs interminables, oppressants, associés à un sourire franc, bright mais idiot, "rythment" le tout.
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Toute la magie de la chose vient de ce que je me suis retrouvé plusieurs fois comme hapé par la vacuité totale du concept, restant des heures à chercher les réponses de questions trop évidentes, à écouter la voix lancinante et nasillarde du présentateur, à attendre de découvrir qui allait perdre et qui allait gagner. Allongé dans mon lit, les yeux grand ouverts, je suis comme fasciné. Comment... est-ce possible ? Je me le demande encore moi-même. J'essaie d'analyser la construction du truc, le mécanisme d'ensemble, mais je ne trouve pas la réponse. Je suis incapable de comprendre pourquoi ça marche, pourquoi il m'est possible, alors même qu'aucune lobotomie n'a été pratiquée récemment sur mon être, de regarder ça sans bouger... Une chose est sûre, néanmoins, dans tout ce fatras intellectuel : anglais ou pas, ce programme terrible, manipulateur, pourri et vénal touche à l'essence de la télé actuelle. Impénétrablement abrutie.

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