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Autour d'une tentative d'évasion

Publié le 29 octobre 2007 par Jjplm5

 

   Alors que je relisais "La folie du jour", j'ai rouvert "Maurice Blanchot, partenaire invisible", ouvrage de Christophe Bident. A popos du texte de Blanchot, il écrit notamment : "Il est conduit à la première personne et s'offre, amusement ou malaise, comme un alliage tour à tour plaisant et obscur d'autoportrait fictif et d'éclats autobiographiques, comme si parler de soi ne pouvait passer que par une telle parole oblique" (p. 283). Je dirai de suite et sans m'y attarder que j'interroge toujours ces lignes qui ne me satisfont pas pleinement. Je serais tenté de suggérer que parler ne passe que par une parole oblique - même si je n'aime pas trop oblique, il peut être gardé à titre de repère provisoire (je précise tout de même rapidement que je n'aime pas trop "oblique" parce qu'il implique d'office au moins une direction, ce qui me paraît discutable). Et si l'on précise que l'on suppose l'oblique incontournable... que reste-t-il... de l'oblique? Si ce n'est une généralisation où il se noie? Enfin - hormis le fait qu'il n'est pas conduit à la première personne - les quelques lignes de Bident, à leur manière, concernent "Le verdict" de Franz Kafka. J'ai relu ce court récit - "une histoire" -  écrit durant une nuit, récit remarquable à tous égards, récit par lequel Kafka est devenu écrivain et qui est resté l'oeuvre préférée de l'auteur (avec, probablement, "Un médecin de campagne") quant tout le reste de ce qu'il avait écrit devait être détruit. (Je signale, en Folio classique, l'édition par Claude David de tous les textes parus du vivant de Kafka, deux minces petits volumes. Surtout, de loin, la meilleure traduction).

   Bien sûr, je ne résumerai pas ici "Le verdict". Je me bornerai à signaler qu'un père âgé et tyrannique y condamne son fils à la noyade. Surtout - et sans reprendre les éléments auxquels il faudrait s'attarder - je signalerai que, son travail d'écriture terminé, Kafka opère tous les rapprochements qu'il peut entre celui-ci et sa vie. Rapprocher sa vie de son oeuvre, Kafka le fera constamment. Plus d'une fois il constatera que sa littérature a précédé ce qu'il lui fallait vivre.

   Un père condamne son fils à la noyade et ce fils exécute la sentence. N'est-ce pas étonnant? N'est-ce pas étonnant lorsque l'on sait que Kafka voulait donner  à son oeuvre ce titre : "Tentative d'évasion hors de la sphère paternelle"? Mais, à ma connaissance il s'agit là du témoignage du seul Max Brod. Et le fait que dans la "Lettre à son père" (qu'il n'a jamais reçue), Kafka "parle" continuellement de fuite, de libération, d'indépendance, de quitter le cercle paternel n'invite pas à authentifier l'affirmation de Brod.

   Dans le but de rendre plus palpable ce dont il est ici question et ce qui joue, voici tout d'abord une citation du "Verdict" (Georg vient de mettre son père au lit et de le couvrir) : "'Non!', s'écria le père si vivement que la réponse parut rebondir sur la question ; il rejeta sa couverture avec une telle force qu'elle sembla voler et se déploya tout entière et il se dressa debout sur le lit. Il ne se tenait que d'une main, appuyée contre le plafond. 'Tu voulais me couvrir, je le sais bien, mon lardon, mais je ne suis pas encore entièrement recouvert. Et même si ce sont les dernières forces dont je dispose, c'est encore bien assez, c'est plus qu'il n'en faut pour toi.'" "La lettre au père" : Tu as touché plus juste en concevant de l'aversion pour mon activité littéraire, ainsi que pour tout ce qui s'y rattachait et dont tu ne savais rien. Là, je m'étais effectivement éloigné de toi tout seul sur un bout de chemin, encore que ce fût un peu à la manière du ver qui, le derrière écrasé par un pied, s'aide du devant de son corps pour se dégager et se traîner à l'écart. J'étais en quelque façon hors d'atteinte, je recommençais à respirer. (...). Dans mes livres, il s'agissait de toi, je ne faisais que m'y plaindre de ce dont je ne pouvais me plaindre sur ta poitrine. C'était un adieu que je te disais, un adieu intentionnellement traîné en longueur, mais qui, s'il m'était imposé par toi, avait lieu dans la direction déterminée par moi". Il faut aussi évoquer, partie intégrante de la même problématique, le mariage. Si la tentative d'évasion reste, on tombe sur une double contrainte qui en ruine d'avance la réalisation (cette double contrainte n'a-t-elle pas également joué du côté de la littérature? Je le pense) : " Le principe de mes deux projets de marige était tout à fait correct : fonder un foyer, me rendre indépendant. C'est une idée qui t'est sympathique, sauf que les choses se passent en réalité comme dans ce jeu d'enfants où l'un tient la main de l'autre, la serre même et s'écrie en même temps : 'Mais va-t'-en donc, va-t'-en donc, pourquoi ne pars-tu pas?' Ce qui, dans notre cas se compliquait encore de la sincérité avec laquelle tu disais depuis toujours : 'Va-t'-en donc!' alors que, depuis toujours, c'est uniquement en vertu de ta nature que tu m'as tenu, ou plus exactement retenu sous ta coupe". Et enfin, proche de tel passage du "Verdict" : "Il m'arrive d'imaginer la carte de la terre déployée et de te voir étendu transversalement sur toute sa surface. Et j'ai alors l'impression que seules peuvent me convenir pour vivre les contrées que tu ne recouvres pas ou celles qui ne sont pas à ta portée. Etant donné la représentation que j'ai de ta grandeur, ces contrées ne sont ni nombreuses ni très consolantes, et surtout le mariage ne se trouve pas parmi elles".

   Oblique? Et seule la littérature serait oblique? Qu'est-ce donc qui peut ne pas fonctionner obliquement?

   (Pour la "Lettre à son père", j'ai utilisé la traduction de Marthe Robert in La Pléiade, Gallimard)

   Attention : "Le verdict" a été écrit en 1912, la "Lettre à son père", en 1919.


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