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Interview de Tarek par Karim Boukercha, auteur de Descente Interdite

Par Paristonkar @ParisTonkar

Karim B. // Quand et pourquoi avez-vous décidé de faireParis Tonkar ?

Tarek : L’idée de faire un livre sur les graffes et les tags vient de moi… En 1985-86, j’ai découvert des graffes et des tags à Londres puis sur la Petite ceinture, au niveau de la Porte de Vanves. J’ai commencé à en faire dans mon coin, en imitant surtout le style anglais puis j’ai créé les NSI avec un ami. En 1987, j’ai acheté Subway art etSpraycan art. En lisant ces deux livres, j’ai eu le déclic : « Et si j’écrivais un bouquin sur le même sujet, mais sur la France ?! »… Dès 1988, j’en ai parlé aux copains en leur proposant de l’écrire à plusieurs. Personne n’a souhaité participer directement, mais aucun de mes amis ne m’a découragé dans cette drôle d’entreprise.

Sylvain était une connaissance de collège : il habitait pas très loin de ma cité (« PV » pour les initiés, un endroit plutôt sordide avec une mauvaise réputation et qui craignait pas mal sauf pour ceux qui y habitaient comme moi). Bref, j’ai appris qu’il était assez actif au niveau du tag par des amis en commun. Au bout de quelques rencontres, je lui ai proposé de travailler avec moi. Il a accepté sans trop se poser de questions…

Je suis convaincu, avec les années, que cette folle aventure a été possible parce qu’il m’a suivi jusqu’au bout. Nous sommes devenus réellement amis à ce moment-là et nous avons commencé à bosser en 1989.

Karim B. // Comment se fait le choix des photos de métros que tu mets dans le livre (majoritairement les AEC et les VEP) ?

Tarek : Le choix des images a été dicté par les circonstances (mes rencontres et la période où je prenais des photos dans le métro) ainsi que les moyens à notre disposition (nous étions au début des années 90 : il n’y avait pas les outils de communication d’aujourd’hui et l’ère du numérique n’en était qu’à ses balbutiements). Ce sont les deux explications de la présence « importante » de ces deux crews dans Paris Tonkar. Il ne faut pas en chercher d’autres ou encore s’imaginer que j’avais dans l’idée de promouvoir untel plus qu’untel… Dans le feu de l’action, je n’imaginais pas l’impact qu’aurait ce livre des années plus tard !

J’ai donc croisé Oeno et Nasty dans le métro et ils m’ont aidé dans mes démarches en me présentant à d’autres writers, des proches forcément… J’avais 18 ans et eux 16 ou 17 ans, nous étions de la même génération…

En parallèle, j’ai rencontré des pionniers du mouvement comme Bando, Darco ou Blitz, mais ils ne peignaient déjà plus dans le métro à cette époque. En plus, ils ne souhaitaient pas forcément que je m’attarde sur cette période de leur vie. D’autres anciens ne voulaient pas entendre parler de mon projet et certains très actifs durant cette période préféraient rester dans l’ombre pour ne pas attirer l’attention sur eux. Tout cela pour dire que la partie métro est plus factuelle qu’exhaustive parce que je n’avais pas ce désir de montrer tous les métros qui avaient été peints depuis 1984 !

Enfin, mes moyens financiers étaient très limités (je me suis endetté pour écrire Paris Tonkar !) et il faut se rappeler qu’il n’y avait ni portables, ni Internet et pas d’appareils photos numériques. Nous étions obligés de faire avec…

Cette question m’a souvent été posée et je dirais ceci :Paris Tonkar est un éclairage sur le graffiti parisien au début des années 90 et nous n’avions pas l’intention de mettre tel ou tel crew en avant, mais l’envie sincère de parler du plus de monde possible… Un seul regret : j’ai laissé la banlieue de côté alors que j’y habitais et que mes références dans ce domaine étaient plutôt celles du sud de Paris. Avais-je la conscience d’écrire un livre « culte » en 1990 ? Non, bien sûr que non !

Dans la nouvelle édition de Paris Tonkar, je compte bien rééquilibrer le contenu et, cette fois-ci, mon objectif est d’écrire un ouvrage plus exhaustif et moins factuel. La partie métro sera surprenante car je suis souvent allé dans des dépôts et des endroits insolites, mais pas avec ceux que l’on imagine ! Un proverbe arabe dit ceci en substance : ta langue est ton destrier, si tu la retiens, elle t’apportera du Bien et si tu la lâches, elle ne t’apportera que du Mal… Depuis 20 ans, je suis resté muet sur cette période et je pense qu’il est temps de clarifier les choses et de réparer les « vrais oublis ».

Karim B. // Il y a majoritairement des photos de graffes et peu de tags, était-ce un choix ? Eresy me disait c'était un livre « d'actu » avant tout et que du coup l'actu était aux graffes qui commençaient à fleurir...

Tarek : Sylvain a raison : Paris Tonkar est une émanation de son époque tout comme les deux livres de Chalfant qui ont su capter des moments de l’histoire du graffiti. Nous avons écrit un livre avec notre regard et la connaissance que nous avions du sujet par notre pratique… C’est un livre empirique et certainement pas un catalogue pour de l’autopromotion ! Si certaines personnes ont su utiliserParis Tonkar pour mieux vivre ou se faire connaître, tant mieux ! Pour ma part, je n’ai tiré que très peu de bénéfices de mon livre… Peut-être un seul : celui de l’avoir fait !

Concernant la partie tag, je trouve qu’elle est assez conséquente malgré tout sachant que nous avions tous les deux une attirance plus pour les tags que les graffes. Mais au début des années 90, c’est aussi l’explosion des murs peints et des grandes fresques dans les terrains vagues et dans quelques espaces autorisés : Stalingrad n’est plus l’unique endroit où les writers se retrouvent.

Je pense que nous avons réussi à parler de tout le monde dans cette partie car il ne faut pas oublier qu’au moment où nous écrivions notre livre, deux photographes travaillaient sur le même type d’ouvrage pour le compte d’un grand éditeur avec un budget de 200 000 francs. En février 1991, lorsque j’ai croisé l’un d’eux à Quai de la Gare, il me dit avoir rencontré une dizaine de writers et que son éditeur se contentera d’une trentaine au plus… À cette époque, j’avais plus ou moins croisé entre 150 et 200 writers (old timers et moins jeunes), pris dix fois plus de photos qu’eux sans avoir signé de contrat avec un éditeur et avec une dette de 60 000 francs… Que dire de plus ?!

Je peux l’affirmer maintenant : si Paris Tonkar n’était pas sorti en 1991, nous aurions eu un premier livre sur le graffiti français très consensuel qui aurait pour le coup mis à l’écart presque tout le monde ! Avec peu de tags et un ou deux métros histoire de dire !

Karim B. // Y'avait il un soucis de représenter toute la scène parisienne sur ce support ?

Tarek : Oui, sincèrement oui ! Mais j’avais 19 ans, Sylvain également, et nos moyens étaient assez limités. Je ne suis pas en train de me plaindre, mais il est important de juger les choses à l’aune de cette époque où émerge la seconde génération de writers en Ile de France et la première en Province. J’ajouterai que quatre raisons expliquent l’absence de certains writers dans notre livre : le refus de certains d’y figurer (ils sont assez peu nombreux), ceux qui voulaient être payés pour figurer dans le livre, l’oubli tout bêtement et surtout la difficulté de retrouver certaines personnes ! C’est aussi simple que cela.

Je comprends les questions que certains se sont posés et les regrets de ceux qui n’y sont pas, mais en 1991 je n’imaginais pas écrire le seul livre qui a aborderait le graffiti en France d’une manière globale et analytique. D’autres livres excellents sont sortis des années plus tard… Des années plus tard !

Karim B. // Intox…

Tarek : Le magazine 1Tox est, à l’origine, une idée lancée par Sylvain, Florent Massot et moi lors d’une soirée dans un bar parisien après avoir bossé sur la maquette de notre livre. Paris Tonkar sort en librairie et le succès est au rendez-vous, mais comme je suis occupé à rembourser mes dettes et à étudier, Florent Massot développe cette idée avec d’autres personnes en me tenant au courant et en me demandant mon avis le cas échéant. Durant la même période, Romain Pillement (l’autre éditeur et marchand d’art) me propose de monter une grande exposition sur le graffiti avec des writers français et américains (je connaissais Jon et Futura) : j’ai participé en le mettant en contact avec les Français, en trouvant l’idée de l’affiche et en la réalisant ! Une fois l’exposition ouverte au public, je suis plus ou moins remercié et l’on me fait comprendre que cela ne me concerne plus. J’ai perdu 4 toiles dans cette histoire, comme d’autres… La seule personne qui sache où elles se trouvent est Romain Pillement.

Concernant le magazine… Avant la sortie du premier numéro, Sylvain a été écarté par ceux qui y bossaient et qui gravitaient autour de Florent Massot. J’ai résisté jusqu’au 4e numéro ! Pour le 5e numéro, ils ont utilisé mes photos en oubliant de me citer… J’ai été bénévole sur l’exposition et sur le magazine : on m’a remercié en me dénigrant et en me dégageant de ces deux projets. C’est pourquoi, j’ai préféré prendre mes distances avec certaines personnes en 1993 pour garder une relation amicale avec Florent. C’est toujours un de mes amis.


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