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Questions d'échelle

Publié le 13 février 2008 par Victorclaass
Lors d'une promenade en nature, réelle ou rêvée, n'a-t-on jamais été écrasé par la vision d'un mont rocheux se dessinant au loin? Bien que de l'autre côté de la vallée et masquée par une majestueuse brume, il semble enfin accessible à l'homme simple et humble. Ne s'est-on jamais demandé si ce mont ne semblait pas d'autant plus majestueux qu'il était distant et que c'était notre infime présence qui le faisait sembler immense, par comparaison?

Pauvre homme, n'ayant que lui-même comme instrument de mesure!

Le peintre de paysage utilise abondamment cette méthode d'échelles pour ancrer sa célébration de la nature dans un sujet connu, susceptible d'attirer l'oeil de son spectateur. Provoqué par un sujet commun ou mythologique excitant notre imaginaire, on cherche à accoler l'image qui est offerte à nos propres considérations sur le sujet.

Chez Poussin, une foule d'anonymes ne servent qu'à souligner l'unicité et la signification fondamentale de la nature en regard de leur insignifiance. Plus paysagiste, les peintures de Thomas Cole ou de Frederick Church accueillent toujours un groupe d'humain livrés à l'ire et la joie d'être en Arcadie. Mais ces être sont toujours minuscules, semblant souligner à quel point la nature qui leur fournit tout ce dont ils ont besoin, y compris leur bonheur moral, ne tolère aucune comparaison d'échelle avec eux.

L'oeil s'y promène, d'abord attiré par les formes dominantes. Monts, arbres et couleurs offertes par le paysage semblent lui offrir un sujet d'intérêt. Puis l'on distingue des formes et teintes qui se démarquent du sujet paysager. Quelques habits, des tons de chair, des yeux qui percent, une farandole d'été joyeuse, nous amènent vers une autre partie du cadre. Nous portons alors le nez plus près de la toile et apercevons nos semblables.

Homme, toi mon frère, toi que je vois sur cette peinture, toi aussi tu aimes te perdre dans la nature? Toi aussi tu sais apprécier une promenade suivie d'une station glorieuse et contemplatoire sur un promontoir rocheux?

Puis, la jalousie: homme, mon frère, pourquoi vis-tu dans ce paysage idyllique alors que je ne connais de la nature primitive que ses représentations mythiques, succédanés brièvement aperçus lorsque toute présence humaine s'est effacée de mon champ de vision, l'espace d'un instant, au cours d'une de mes nombreuses déambulations forestières? Homme, pourquoi suis-je moi en train de te regarder dans ce tableau? Ne vois-tu donc pas que tu es minuscule, que tu ne pèse rien dans ce tableau? Ne vois-tu donc pas que je te domine complètement? Je te contemple, chose infime, et il faut que je tombe au sol ou que je m'abîme le nez contre la toile pour te distinguer!

Si l'homme est petit et la nature est grande, ce jeu d'échelle semblant injuste fournit à merveille un moyen de les représenter. Sans homme, la nature n'est pas exprimée, elle ne devient pas paysage. Sans nature, l'homme ne trouve aucune histoire à raconter. L'homme et son échelle sont en peinture de paysage comme la préface pour un roman: toujours utile, servant à créer un relief. Mais il convient à chacun de décider si l'on préfère la lire avant l'argument principal, après, ou bien jamais.

Nicolas Poussin, Effets de la peur: Paysage avec homme tué par un serpent

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