L'objet du mardi : l'oeil

Ce matin, après avoir enduré une nuit agitée par le mauvais oeil, j'ai pris ma voiture, abandonnant ainsi mes coutumes écolos en évitant le bus. Dommage, je ne me suis donc pas rincé l'oeil, en flirtant du regard avec les jeunes étudiantes qui partagent ma ligne. Sûr qu'un jour mes regards incessants me vaudront un oeil au beurre noir, déjà que certaines commencent à m'avoir à l'oeil ! Il faut que je fasse attention et adopte d'autres techniques, comme observer du coin de l'oeil, sinon, les problèmes vont s'accumuler à vue d'oeil !
Vous l'avez compris, aujourd'hui, nous allons parler des yeux, ou plutôt de l'oeil. Ce qui, à l'unité, est parfois triste vous en conviendrez, mais parfois, avantageux.
Triste, parce que lorsque nous nous rinçons l'oeil - que nous observons une situation coquine (c'est du voyeurisme ça !) - l'autre n'a pas le droit d'en profiter. De quel oeil vous servez-vous lorsque vous vous le rincez ? Peut-être aussi que cette expression a trait au voyeurisme discret, par le trou d'une serrure par exemple, et regarder avec les deux yeux semble plutôt difficile... Imaginer un voyeurisme cyclopéen me donne la larme à l'oeil.
Avantageux car certaines expressions, prisent littéralement, obéissent au doigt et à l'oeil à des actes de barbaries. Il vaut mieux donc que l'on s'en prenne qu'à un seul de nos yeux plutôt qu'aux deux. Nous avons par exemple, se mettre le doigt dans l'oeil, ou encore, (pire !) avoir le compas dans l'oeil. Difficile par la suite d'être bon pied bon oeil ; en bonne santé. Que celui qui me met le compas dans l'oeil soit attentif : se sera oeil pour oeil et dent pour dent. S'il veut se racheter, qu'il m'offre un repas à l'oeil.
Dans notre recherche de la violence dans la langue française, je me suis arrêté spécialement sur une expression que vous apprécierez sûrement et que je vais vous expliquer : "donner dans la vue". Cette expression signifie plaire à quelqu'un.
En fait, plus personne n'utilise cette expression. "Donner dans la vue", c'est faire un don à nos yeux. Or, quelqu'un qui nous plaît, par exemple, une jolie jeune fille, par sa plastique sublime, nous fait un cadeau de se présenter devant nous, à notre vue. Qu'il est plaisant de recevoir un tel cadeau !
Mais faire un cadeau pour la vue est un peu niant-niant, face à l'effet qu'une jolie demoiselle peut avoir sur nous, qui nous éblouie. Du coup, entre un bon sentiment guilleret et un peu enfantin et un sentiment si fort et si violent qui nous anime, il y a, à vue d'oeil, un monde ! Violent ! Ca y est ! Je l'ai lâché ! Car l'expression aujourd'hui n'est plus utilisée mais a été remplacée par quelque chose de plus fort, de plus violent. Vous voyez laquelle ? Au XIXe siècle, l'expression "donner dans la vue" s'est transformée en "taper dans l'oeil" ! Ah oui ! Vous l'aviez trouvée ? Mon oeil !
Une fois de plus, les expressions que nous utilisons couramment ne peuvent se limiter à exprimer joliment ou poétiquement nos sentiments ou pensées. Nous replongeons inlassablement dans la violence, et ce de plus en plus au travers des siècles jusqu'à aujourd'hui.
Sauf ma dernière expression du jour : tourner de l'oeil. Aujourd'hui, nous l'utilisons pour évoquer une personne qui s'est évanouit. A l'origine, on disait plutôt "tortiller de l'oeil", et signifiait "mourrir".
Alors, demain, évidemment je reprendrai le bus. Non pas pour me rincer l'oeil, c'était une boutade à apprécier avec le contexte de mon article du jour, mais pour repérer. C'est avec un oeil vif, un oeil de lynx, que j'effectuerai mon répérage, recherchant blessés, personnes âgées, alcooliques et autres miséreux. Je suis horrible ? Ca crève les yeux...