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Notation, nucléaire et incertitude

Publié le 05 janvier 2012 par Egea

Le rapport de l'autorité de sûreté nucléaire vient d'être rendu. Il en ressort qu'il faut penser l’impensable, et qu'il y a eu un effet "Fukushima". Cela nous amène à reposer la question de cet "impensable", et donc de la prise de décision. Donc de la stratégie de l'incertitude.

Notation, nucléaire et incertitude
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Le lecteur scientifique pardonnera les nombreuses imprécisions d'un vague littéraire qui s'aventure en ces matières, mélange de stratégie mais aussi d'épistémologie... Il voudra bien corriger les nombreuses erreurs qui doivent persister....

1/ Effet Fukushima : le rapport a intégré des "cas exceptionnels" qui sortaient des abaques habituelles : autrement dit, il cherche à prévoir l'imprévu. En cela, au moins pour le secteur de l'énergie, Fukushima constitue une "surprise stratégique" : ce n'était pas "naturellement" prévisible, et pourtant c'est advenu. Cela remet en cause les lois de probabilités dont on usait jusqu'à présent : elles sont valables la plupart du temps, mais en matière de sécurité, elles ne sont pas assez solides.

2/ Cela ne signifie pas que ces lois de probabilités soient toujours insuffisantes. Qu'on pense en effet aux normes de sécurité aérienne : l'opinion courante croit en effet qu'elles doivent être durcies, et pour cela admettre une "erreur" de 0,01 %, ce qui, vu de notre expérience individuelle, nous semble suffisant (car cela signifie que dans 99, 99 % des cas, ça passe). Or, si on multiplie ce taux par le nombre de trajets aériens dans le monde chaque année, on s'aperçoit qu'il y aurait alors statistiquement des centaines de morts par an. Comme il n'y en a pas autant, et que les accidents sont exceptionnels, cela signifie qu'on a durci les normes prudentielles à 1 pour 10.000 ou 100.000 ou un million (chiffres donnés au hasard : un spécialiste pourra peut-être les confirmer ou nous donner des détails). Ce durcissement radical permet aux avions de voler. On a réduit l'aléa en dessous d'un seuil qui est tolérable.

3/ La conclusion partielle qu'on tire de ces deux exemples nucléaire et aérien, c'est que la sécurité coûte: car le rapport de sûreté nucléaire annonce des travaux (on parle de 10 à 20 milliards d'euros), tout comme les normes aériennes induisent des coûts. L'exceptionnel a un coût. Prévenir la surprise stratégique a un coût. C'est donc aussi valable pour les affaires de défense, soi-dit en passant.....

4/ Et pourtant, ce système "statistique" est-il satisfaisant ? pas totalement, n'en déplaise à notre côté scientifique et ingénieur. Les séries statistiques et les probabilités ne suffisent pas à prendre toutes les décisions. Qu'on pense ici aux robots qui interviennent sur les marchés financiers : on sait que leur vitesse de calcul est telle (nanoseconde, nous expliquait Charles au colloque sur la cyberdéfense) que l'esprit humain ne peut les concurrencer. Ils exploitent les moindres différences de taux de change ou de cotation, pour faire des micro-bénéfices qui, multipliés par leur rythme d'intervention, permet d'atteindre de grandes sommes. Et pourtant, il paraît que justement leur rapidité est déstabilisatrice : au lieu de réguler les marchés, la mise en batterie de ces robots les affoleraient et augmenteraient les volatilités alors qu'elles devraient s'apaiser. Au point que les traders seraient obligés de les couper régulièrement, pour laisser un chaos "normal" s'installer. Ainsi, une automatisation maximale serait créatrice d'aléas.

5/ Les agences de notation utilisent également des probabilités. Mais de la même façon qu'elles n'ont pas su prévoir les "événements de marché" (ces cas hors des normes statistiques) au cours des années 2000 (Enron, Subprimes, Lehman-brothers), elles ont en 2011 "durci" leur analyse du risque étatique, au point de vouloir tout et son contraire, et d'assassiner le malade aux cris d'une recherche de sécurité absolue : tout aléa étant désormais banni, il est logique que pas un dispositif ne trouve grâce à leurs yeux.

6/ Il est intéressant de remarquer ce lien implicite entre "sécurité" et "certitude", notamment en matière d’anticipation. En matière stratégique, je ne connais qu'une loi : la sécurité absolue des uns signifie l'insécurité absolue des autres : mais il s'agit là de comparaisons spatiales, entre acteurs simultanés. Or, nous parlons ici de comparaisons inter-temporelles, entre aujourd'hui (connu : donc sûr ?) et demain (inconnu : donc incertain ?). Comme si on voulait avoir une sécurité absolue aussi bien aujourd'hui que demain. Mais j'ai bien envie de paraphraser la loi stratégique : sécurité absolue d'aujourd'hui entraîne une insécurité absolue de demain...

7/ Cela m'évoque tel scientifique dont on me parlait récemment : passionné par le "hasard", il expliquait qu'il est absolument impossible de créer un hasard artificiel. Autrement dit, artificiellement, on n'arrive à atteindre ni la prévision absolue, ni l'imprévision absolue.

Cela nous amène à une belle conclusion : La seule certitude absolue qui reste est que nous vivons dans une incertitude absolue. Je suis sûr qu'E. Morin l'adorerait....

Ce qui renvoie à la discussion sur la décision.

Références : je renvoie à deux sites que j'ai furetés aujourd’hui :

  • le premier traite d'un livre de Robert Branche, qui donne des leçons de management en partant de ce principe d'incertitude : la meilleure façon de survivre serait alors de ne pas avoir de plan, et de faire confiance au hasard, afin de saisir les opportunités. L'opportunisme comme stratégie. Voir ici une présentation de son livre (il a un blog aussi)
  • le second est anglophone (je l'ai découvert car il s'est abonné à mon compte twitter : ce qui est une bonne façon aussi de suivre l'actualité d'égéa : je note au passage la progression des Anglo-saxons, puisque les Américains constituent 10% des lecteurs du blog, et les Anglais presque 5 %!). Or donc, ces deux consultants partent un peu du même point de vue. A preuve leurs deux derniers billets : Making strategic decisions under uncertainty: The case for non-predictive strategy, et Start with Geostrategy, or call it Tactics

O. Kempf


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