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Ron Paul et les libéraux français

Publié le 06 janvier 2012 par Copeau @Contrepoints

Ron Paul est-il un modèle à suivre pour les libéraux français et francophones au plan de l’action politique ?

Par Daniel Tourre

Ron Paul et les libéraux français
Cet article s’adresse à des libéraux (si vous n’êtes pas libéral, vous pouvez vous arrêter là, cela ne vous concerne pas vraiment) qui pensent que l’action militante peut être utile en France (Là, je ne veux pas perdre 80% de mes lecteurs, donc vous pouvez continuer à lire, mais ne venez pas vous plaindre ensuite que l’on parle stratégie militante comme si l’action pouvait servir à quelque chose alors que tout le monde sait très que la France est génétiquement socialiste, même que c’est vrai, les socialistes le disent et ils ne se trompent jamais.)

L’émergence de Ron Paul dans les primaires républicaines a capté l’attention des libéraux dans toute l’Europe. Beaucoup de militants suivaient déjà avec intérêt depuis plusieurs années la trajectoire de cet OVNI politique défendant avec constance un libéralisme classique (1) très pur et la vision de l’École Autrichienne en économie.

Aujourd’hui, qu’il perde ou qu’il gagne, Ron Paul et le mouvement qu’il a initié marqueront durablement le libéralisme classique aux USA.

En dehors de son discours sur la politique étrangère, responsable lui-aussi de son succès actuel, mais qui n’est pas directement lié à la doctrine libérale – le libéralisme n’est pas une théorie géopolitique -, au-delà des particularités de la politique américaine et de l’homme lui-même, y a-t-il des leçons à tirer du succès de Ron Paul pour nous libéraux français ?

Quels sont les éléments, sur le fond et sur la forme, dont nous pourrions nous inspirer en France pour la défense du libéralisme ?

1. S’appuyer sur le libéralisme classique plutôt que sur un libéralisme « utilitariste »

(Très) schématiquement, le libéralisme peut se diviser en deux branches, qui bien que se rejoignant largement sur les conclusions, partent de deux visions différentes : le libéralisme classique et le libéralisme utilitariste. Historiquement, le libéralisme classique ouvre le bal en s’appuyant sur le droit naturel. Selon le libéralisme classique, le libéralisme c’est bien parce que c’est juste. Il est juste que les lois posées par les États respectent un certain nombre de grands principes (protection des droits naturels – liberté, propriété, sécurité -, respect des contrats, responsabilité) , principes découverts grâce à une réflexion sur la nature humaine. Et il se trouve dans un second temps que le respect de ces grands principes est utile, puisqu’il permet à la société de se développer de manière harmonieuse.

Le libéralisme « utilitariste » affirme lui, que le libéralisme, c’est d’abord bien, parce que c’est utile. C’est utile afin que les individus puissent « maximiser » leur bonheur et c’est utile pour que la société puisse croître et se développer.

Les deux libéralismes partagent une grande partie des conclusions sur la place de l’État dans la société et dans la vie des individus, mais la teinte de leur discours peut sensiblement changer. Or depuis plusieurs décennies, c’est le libéralisme utilitariste qui mène la danse en France.

Et cela a plusieurs effets négatifs sur la défense du libéralisme :

a) D’abord, les adversaires du libéralisme, bien que déclinant aussi leurs propositions sur un mode utilitaire, continuent de s’appuyer sur des grands principes : « Il n’est pas juste que la société ne soit pas égalitaire. » « Il n’est pas juste que chacun ne dispose pas des mêmes capacités. » « Il n’est pas juste que certains gagnent dix fois plus que d’autres. » « La justice sociale exige que.. » En refusant de s’appuyer sur les principes déontologiques du libéralisme classique, les défenseurs du libéralisme s’exposent à défendre leurs idées sur le terrain de l’adversaire. Le libéralisme est alors jugé au tribunal des principes de la social-démocratie ou du socialisme, et l’incroyable se produit : sur ce terrain, le socialisme est supérieur moralement au libéralisme. Le débat politique se réduit alors à « Accusé libéral, levez vous. Vous ne répondez pas aux exigences du socialisme, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? ». Et l’accusé libéral, bonne pâte, explique que c’est son efficacité qui permet le mieux de remplir certaines exigences socialistes. C’est parfaitement exact, mais d’une part c’est admettre que les grands principes socialistes sont ceux devant lesquels toute doctrine politique doit être évaluée et cela empêche d’autre part en retour les militants libéraux de s’appuyer sur leurs principes pour défendre leur vision du monde.

b) Le discours utilitaire donne au libéralisme une teinte « manager », « chef d’entreprise ». Puisque le libéralisme est utile, et que l’utilité passe par la croissance économique, tout doit être fait pour augmenter la croissance économique. Ce discours est d’ailleurs parfois teinté de petits relents de Saint-simonisme : l’État est chargé de diriger l’usine France, en favorisant tel grand groupe ou telles PME pour augmenter la production. Même s’il peut séduire un certain nombre de cadres, ce discours est anxiogène pour une immense partie de la population pour qui le libéralisme devient alors une sorte de complément politique aux ressources humaines de leur propre entreprise.

Le discours de Ron Paul est à des années lumière de ce discours managérial tout en affirmant les libertés de produire, de travailler, d’entreprendre et d’échanger de manière bien plus radicale que ne le font les plus libéraux des commentateurs actuels. Cela est d’autant plus vrai que Ron Paul défend aussi avec beaucoup de cohérence toutes les libertés, en particulier la liberté d’expression et les autres libertés civiles.

Ce discours doit bien sûr ensuite être décliné sur des propositions concrètes, mais le libéralisme classique est beaucoup plus séduisant pour une large partie de la population. Personne ne va militer avec enthousiasme pour abaisser de 2,23% le taux marginal de l’impôt sur les sociétés afin d’augmenter le PIB et la productivité. Par contre défendre le liberté – y compris la liberté d’épargner, de produire et d’échanger – parce que c’est juste peut intéresser beaucoup de gens.

L’enthousiasme, en particulier des jeunes, pour Ron Paul s’explique en grande partie par ce discours construit autour du libéralisme classique.

Nous avons toutes les raisons de suivre cette voie, d’autant que nous disposons d’une impressionnante bibliothèque d’auteurs classiques français, à commencer par Frédéric Bastiat. Le libéralisme classique ne serait pas un produit d’importation chez nous.

2. L’École Autrichienne, la monnaie, les grandes banques et la théorie des cycles

L’autre grand atout de Ron Paul, c’est sa connaissance approfondie de l’École Autrichienne de Hayek, Rothbard et Mises.

Nous vivons une crise d’une ampleur considérable dont l’École Autrichienne et sa théorie des cycles offre une explication très convaincante.

Elle a permis à un certain nombre de commentateurs (dont Ron Paul) de dénoncer, très en amont de l’explosion de cette crise, l’existence d’une bulle. Elle offre aussi un regard très critique sur les institutions encadrant l’activité bancaire et financière (banque centrale, soutien aux grandes banques trop grosses pour faire faillite).

Elle s’appuie sur une vision littéraire et rigoureuse de la science économique beaucoup plus accessible (et juste) que la dérive mathématique et comptable qui est aujourd’hui le lot d’une large partie de la science économique.

En dehors du fait qu’elle est beaucoup plus convaincante dans ses principes que les autres écoles économiques, elle a, à mon avis, aujourd’hui une place essentielle dans la défense du libéralisme.

D’abord parce qu’une large partie de la population, y compris les personnes sensibles à nos idées, sont choquées par ces entreprises soit disant « privées », les grandes banques, aux profits considérables dans les périodes fastes et soutenues par la banque centrale dans les périodes de vaches maigres. Cette vision est aujourd’hui assimilée à du libéralisme car tout ce qui touche à la finance et au monde bancaire est vu comme la quintessence du libéralisme. C’est bien sûr faux, ce secteur économique est sans doute, avec l’agriculture, l’un de ceux qui dépendent le plus de l’interventionnisme direct ou indirect de l’État. Les intérêts croisés des grandes banques privées et des États surendettés sont aujourd’hui tellement emberlificotés qu’une seule chose claire émerge de ces pelotes de laine : il est vital de retourner à des principes libéraux.

Ensuite parce que la crise monétaire que nous vivons – et les USA ne sont pas loin derrière – n’a pas d’autres issues qu’une stagnation de plusieurs décennies à la japonaise, ou un effondrement rapide et douloureux. Seules les solutions préconisées par l’École Autrichienne nous permettront de sortir de cette nasse (retour à la monnaie saine par l’abolition des banques centrales, retour des banques dans l’économie de marché, fin d’une économie basée sur le crédit fictif, retour aux investissements basés sur l’épargne réelle).

Là encore, le discours de Ron Paul est taillé au diamant. Certaines de ses interventions institutionnelles ou grand public posent en moins de cinq minutes les lignes de la théorie des cycles de l’école autrichienne de manière rigoureuse tout en étant parfaitement compréhensible du grand public.

Ron Paul en s’appuyant très tôt sur l’école autrichienne a ainsi gagné sur plusieurs tableaux : d’abord l’image de celui qui a compris avant les autres, ensuite une image anticapitalisme de connivence.

Là encore, nous avons toutes les raisons de suivre l’exemple de Ron Paul. Soutenir à tout prix le système actuel interventionniste (en plus d’être à mon avis à côté de la plaque) est le meilleur moyen d’empêcher toute défense efficace du libéralisme pour de nombreuses années et de laisser les souverainistes comme les socialistes préconiser leur planche à billets, le protectionnisme ou leurs réglementations.

Et si on essayait la méthode « Ron Paul » ?

Quelle que soit la suite de la campagne américaine (sauf miracle, Ron Paul ne va sans doute pas gagner), le parcours de Ron Paul est très réjouissant bien sûr pour les Américains eux-mêmes, mais aussi pour l’avenir du libéralisme classique en Europe dans la prochaine décennie.

La crise des États-nounou surendettés est une opportunité historique pour faire avancer les idées libérales. D’ici 10 ans, il est probable que des concepts liés au libéralisme classique et l’école autrichienne comme l’ordre spontané, la monnaie saine, l’absence de banque centrale, l’État minimal ou les droits naturels, aujourd’hui totalement inconnus du grand public seront au moins identifiés par une large partie de la population, en particulier les journalistes – sans bien sûr pour autant être acceptés par tous.

Après des décennies de recul, les libéraux français ont appris à considérer que leurs idées en France perdent de toute manière au final. Et si on essayait la méthode « Ron Paul » ?


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