" Au ciel, il y a le paradis. Sur terre, il y à Hangzhou et Suzhou ". Avec un prélude pareil, l'arrivée dans chacune de ces 2 villes s'annonçait grandiose. D'un côté, Hangzhou, son charme campagnard (les Shanghaien y vont en WE), son lac au coeur de la ville, ses carrés de rizière et autres plantations de thé tout autour. De l'autre, Suzhou, la « ville musée », avec ses vieilles maisons basses, sa vie au bord des canaux et ses jardins - parmi les plus beaux de Chine - classés au patrimoine de l'UNESCO. Mais tout voyage comporte, tôt ou tard, sa part d'impondérables et de frustrations…. Le Nouvel An provoquant de grosses perturbations dans les transports (nombreux touristes chinois coincées ici, faute de trains disponibles), tout aller-retour express - susceptible de satisfaire un emploi du temps serré - devient proprement utopique. Il m'a donc fallu abandonner Hangzhou, la mort dans l'âme, et reporter tous mes rêves d'évasion sur celle que les explorateurs occidentaux de l'époque ont surnommée la « Venise de l'Orient »....
Après Shanghai, l'entropique, place à Suzhou, lent tropique...

Comme toujours, il ne faut pas s'arrêter aux toutes premières images d'une ville en pleine mutation. Dans le reflet des fenêtres du train se dessinent déjà les zones industrielles, banlieues anonymes et autres tristes paysages d'une occidentalisation menée au pas de course. En ville, les larges avenues à angle droit envahies par la foule, les embouteillages monstres aux heures de pointes et les artères commerçantes - où Mac Do, Haagen Dazs, Pizza Hut et tous leurs équivalents chinois se sont déjà installés - composent le tableau habituel d'une immense cité moderne, en marche

A moins d'une heure de train de Shanghai, Suzhou réclame aussi - et c'est bien naturel - sa part de gâteau capitaliste.


Car ce beau décor sert aussi d'écrin aux joyaux naturels de Suzhou : les jardins. Avant même d'y pénétrer, la simple évocation de leur nom constitue déjà, à elle seule, une véritable invitation à la méditation et à la rêverie : jardin du Maître des Filets, jardin de la Forêt du Lion, jardin de l'Humble Administrateur, jardin du Pavillon des Vagues, jardin de la Montagne Etreinte de Beauté,... A se demander si les empereurs chinois de l'époque ne disposaient pas d’une armada de « brain stormers » exclusivement vouée à la recherche de noms poétiques. Vous en voulez encore ? Voici le jardin de l'Harmonie, le jardin du Couple de Retraités, le jardin de la Colline du Tigre, le jardin des Petites Constructions pour les Pas entre des Fleurs... Entre 2 visites de ces fabuleux univers d'harmonieuse végétation, on déambule de l'un à l'autre en cyclo-pousse - encore une résurgence du passé ! - ou même, lorsque c'est possible, en barque à godille, naviguant paisiblement sous les vieux ponts en pierre pour vous amener à destination...














Et puis, si l'on souhaite vraiment s'affranchir de ce tourisme de masse, il y a ces quelques jardins qui, pour être moins connus, n'en constituent pas moins de fantastiques echapées du réel... Mon moment préféré à Suzhou restera ainsi - en plus d'une errance matinale le long des canaux brumeux - ces deux bonnes heures dans ce petit coin de verdure que les créateurs (de l'époque des Ming) ont sobrement intitulé « Jardin de la Culture ». Vous trouvez ce nom un peu court ? Moi aussi.


Sorti de ces véritables aquarelles végétales, on déambule alors au hasard, essayant de se remettre du choc esthétique que peut provoquer la contemplation durable d'une forme de perfection. On débouche alors presque au hasard sur ces rues commerçantes animées, où néons multicolores, enseignes lumineuses et écrans géants complotent soudain pour vous arracher brusquement



L'impression d'osciller d'un tableau à l'autre, en empruntant de nouveau ces chemins en zigzag que, ivresse des sens aidant, les milles images féeriques de la journée viennent alors égayer.

A Suzhou se vérifie sans cesse ce proverbe chinois, mystérieusement émergé d'une lecture oubliée : « Celui qui plante un jardin plante le bonheur »...
Suite du Carnet : AU COEUR DES TENEBRES (6/7)
(Musique : "Jonques de pêcheurs au crépuscule" - J.M. Jarre - Les concerts en Chine)
