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Conte soufi : L’histoire du thé

Publié le 09 janvier 2012 par Unpeudetao

   En des temps très anciens, le thé était inconnu hors de Chine. Des sages et des fous d’autres pays avaient eu vent de son existence. Et chacun essayait de découvrir ce que c’était en fonction de ses désirs ou de l’idée qu’il s’en faisait.
   Le roi d’Inja envoya en Chine une ambassade extraordinaire. L’empereur offrit du thé aux envoyés du roi. Mais quand les envoyés s’aperçurent que les paysans en buvaient aussi, ils en conclurent que ce n’était pas digne de leur maître. Ils allèrent jusqu’à penser que l’empereur tentait de les duper en faisant passer une substance quelconque pour le breuvage céleste.
   Le plus grand philosophe d’Anja recueillit toutes les informations disponibles sur le thé. Il en conclut que le thé existait bel et bien, mais que c’était une substance rare, essentiellement différente de toutes les substances connues. N’en parlait-on pas tantôt comme d’une herbe, tantôt comme d’un liquide, de couleur verte, de couleur noire, amer, délectable ?…
   Dans les pays de Koshish et de Bebinem, les gens, de siècle en siècle, essayèrent toutes les herbes qu’ils purent trouver. Beaucoup s’empoisonnèrent, tous furent déçus. Personne n’avait introduit l’arbre à thé dans leurs contrées. Comment auraient-ils pu le découvrir ? Ils burent aussi toutes sortes de potions, mais sans succès.
   Dans le territoire de Mazhab, un petit sac de thé était porté en tête des processions sur le chemin des lieux de culte. Personne n’eut jamais l’idée d’y goûter : d’ailleurs, personne n’aurait su comment faire. Tous lui conféraient un caractère magique.
   Un sage dit à ces gens : « Versez de l’eau bouillante dessus, ignorants ! » Ils le pendirent, car ils étaient convaincus qu’infuser le thé équivalait à le détruire : le sage s’attaquait à leur religion. Avant de mourir, il avait confié son secret à des amis. Ceux-ci réussirent à se procurer du thé et le burent en cachette. Si quelqu’un les surprenait et leur demandait ce qu’ils faisaient, ils répondaient : « C’est un remède que nous prenons pour traiter une maladie dont nous sommes atteints. »
   Il en était ainsi partout dans le monde. Certains avaient vu le thé pousser sans le reconnaître. D’autres, à qui on l’avait donné à boire, pensaient que c’était la boisson des gens du commun. D’autres encore, qui en avaient en leur possession, l’idolâtraient. Hors de Chine, rares étaient les buveurs de thé, et ils le buvaient en secret.
   Alors vint un homme de connaissance. Il dit aux marchands de thé, et aux buveurs de thé, et aux autres :
   « Qui goûte, connaît. Qui ne goûte pas, ne connaît pas. Au lieu de parler du breuvage céleste, ne dites rien, offrez-le à vos convives. Ceux qui l’aimeront en demanderont davantage. Ceux qui ne l’aimeront pas indiqueront par là qu’ils ne sont pas en état de le boire. Fermez la boutique des palabres et du mystère. Ouvrez la maison-de-thé de l’expérience. »
   Les caravanes apportèrent le thé d’étape en étape sur la route de la soie. Chaque fois qu’un marchand, acheminant du jade ou des pierres précieuses ou des soieries, s’arrêtait pour se reposer, il faisait du thé et en offrait à ceux qui se trouvaient là, qu’ils en aient ou non entendu parler. C’est ainsi qu’apparurent les premiers chaikhana, les maisons-de-thé qui s’échelonnèrent bientôt le long de la route qui mène de Beijing à Boukhara et à Samarcande.
   Et ceux qui goûtaient, connaissaient.
   D’abord, notez-le bien, seuls les grands personnages et les prétendus sages cherchaient la boisson céleste, et s’exclamaient : « Mais ce n’est que des feuilles séchées ! » ou « Pourquoi fais-tu bouillir de l’eau, étranger ? Ce que je te demande, c’est la boisson céleste ! » ou encore « Comment être sûr que c’est du thé ? Prouve-le-moi. D’ailleurs, la couleur du liquide que tu m’offres n’est pas dorée, mais ocre ! »
   La vérité finit par se savoir. Le thé fut acheminé pour tous ceux qui voulaient le goûter. Désormais, les seuls à dire le genre de choses que les grands hommes et les hommes intelligents avaient proférées étaient les complets idiots. Et il en est encore ainsi aujourd’hui.

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