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Le rôle des pays émergents dans les négociations climatiques, l’exemple de Durban

Publié le 09 janvier 2012 par Leblogdudd

Le rôle des pays émergents dans les négociations climatiques, l’exemple de Durban

La Conférence des Parties de Durban, qui s’est déroulée en Afrique du Sud entre le 28 novembre et le 11 décembre 2011, a abouti à un accord de compromis sur les politiques de lutte contre les changements climatiques. Les participants sont parvenus à un accord au terme d’une nuit blanche de négociation, dans un contexte tendu. L’accord prévoit :

  • La reconduction du Protocole de Kyoto (PK) pour une deuxième période d’engagement entre 2013 et 2020,
  • Le lancement de nouvelles négociations pour un accord global devant être achevé en 2015 et entrer en vigueur en 2020,
  • La mise en place d’un Fonds vert, abondé par les pays industrialisés à hauteur de 100 Milliards d’euros par an à partir de 2020 permettant de financer les actions de mitigation et d’adaptation au changements climatiques.

Ce compromis a été salué par les responsables politiques européens comme une avancée importante et au contraire critiqué par les Organisations Non-Gouvernementales et les représentants des pays insulaires comme insuffisant. L’enjeu de ces négociations est la réduction des émissions mondiales de gaz à effets de serre (GES), notamment le CO2, pointés par les scientifiques membres du GIEC comme étant les principaux responsables des changements climatiques observés de depuis un quart siècle et qui pourraient s’aggraver dans les décennies à venir si rien n’est fait.

Depuis 1992, la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) est le cadre institutionnel dans lequel les 190 Etats signataires affichent leur volonté de lutter contre les changements climatiques et négocient les modalités d’action pour y parvenir. Le PK est un instrument lié à cette Convention, signé en 1997 dans lequel 38 pays industrialisés s’engagent à réduire leurs émissions de CO2 de 5% par rapport à 1990. Ce traité est entré en vigueur le 16 février 2005 et sa première période d’application s’étend de 2008 à 2012.

A partir de 2007 et la Conférence des Parties de Bali, les pays industrialisés et surtout l’Union Européenne, particulièrement proactive en matière de négociations climatiques, ont relancé les négociations sur l’après-Kyoto, c’est à dire après l’expiration de la première période d’engagement du PK, le 31 décembre 2012. C’est dans ce contexte que les sommets de Copenhague en novembre-décembre 2009, Cancún en 2010 et Durban cette année se situent. Les questions sur la table des négociations concernent principalement la nature de l’accord et la répartition des efforts de mitigation et d’adaptation face aux changements climatiques.

I) Contrainte ou volontariat

La nature du Protocole est soumise à débat, le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions étant jugé par certains pays comme attentatoire à leur souveraineté, comme les Etats-Unis par exemple. C’est la raison pour laquelle le républicain George Bush Jr. a décidé en 2001 de retirer la signature des Etats-Unis du Protocole de Kyoto, pourtant négocié et signé par son prédécesseur démocrate Bill Clinton en 1998. De l’autre côté, l’Union Européenne est favorable à des outils chiffrés et contraignants, qui correspondent à l’attitude régulatrice européenne basée sur la loi et le droit. Par exemple, l’UE a mis en œuvre un système d’échange de permis d’émissions de CO2 à l’intérieur de ses frontières, en place depuis 2005 qui alloue aux entreprises des quotas d’émissions et permet d’acheter ou vendre les quotas afin d’atteindre son objectif.

Pour les PED, traditionnellement hostiles aux accords contraignants vus comme des instruments de domination au service des pays riches, le Protocole ne doit imposer d’objectifs qu’aux pays développés. Disposant de plus de marges de manœuvre économique et ayant vu leurs émissions s’envoler récemment, les puissances émergentes réunies au sein du BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) depuis Copenhague en 2009, ont affiché leur volonté de s’engager dans une réduction de leurs émissions, mais en affirmant leur préférence pour les Actions Nationales Appropriées de Mitigation (NAMA’s en anglais), engagements volontaires de réduction pour les PED, tout en soulignant la nécessité d’un accord contraignant pour les pays industrialisés. Les négociations opposent donc les partisans d’une contrainte pour tous, ceux opposés à toute contrainte et enfin ceux en faveur d’une contrainte pour certains.

L’accord de Durban est dans ce contexte une avancée, puisque les pays vont négocier un accord global d’ici 2015, qui inclura l’ensemble des pays de la CCNUCC. Cependant, la nature juridique du futur accord est floue, puisque le texte négocié à Durban fait mention d’un accord « avec force légale », mais sans pour autant le définir comme juridiquement contraignant. C’est l’Inde qui a réussi à faire disparaître la notion d’accord contraignant, pourtant soutenue par l’UE, la diplomatie étant souvent propice aux contorsions sémantiques visant à satisfaire les réticences de certains pays et préserver l’apparence de consensus.

Pour autant il n’est pas dit que pour les négociations climatiques, la signature d’un accord contraignant au sens européen soit plus efficace que des engagements plus souples. En effet, le débat entre partisans d’une régulation contraignante par le droit « Hard Law » et ceux d’une régulation plus incitative « Soft Law » fait rage entre les spécialistes de la gouvernance mondiale de l’environnement. L’un des arguments majeurs des partisans des régulations « douces » est que celles-ci peuvent inclure plus d’acteurs qui vont engager des actions, à la différence des régulations « dures » dont le caractère contraignant peut écarter de nombreux acteurs et dont l’efficacité n’est prouvée que lorsque les intérêts des acteurs coïncident avec l’objectif poursuivi.

Pour le dire plus clairement, si les Etats ne veulent pas engager des mesures de réduction de leurs émissions de CO2, la nature contraignante de l’accord signé n’est pas de nature à faire évoluer leur position, en l’absence de pouvoir supérieur aux Etats dans l’ordre international, surtout si les principaux contrevenants sont des pays puissants comme les Etats-Unis ou la Chine. Aussi, l’accord global prévu à partir de 2015, s’il inclut l’ensemble des parties de la CCNUCC autour d’engagements souples peut avoir plus d’efficacité qu’un accord très contraignant mais qui ne concernerait que l’UE.

II) La difficile répartition des efforts de mitigation

Le deuxième problème de la gouvernance mondiale du climat est la difficile répartition des efforts de réduction des émissions de CO2. Ainsi, le PK concerne les pays industrialisés, surtout européens, mais pas les plus grands émetteurs de CO2 que sont les Etats-Unis (20% des émissions mondiales en 2007) qui après avoir signé le Protocole sous Clinton, ont retiré leur signature en 2001, ainsi que les pays émergents comme la Chine (22,3% en 2007) qui ont vu leurs émissions exploser depuis une quinzaine d’années. Les Pays en Développement (PED) ne sont eux tenus à aucune forme d’engagement contraignant concernant leurs émissions de GES.

Alors que le changement climatique est un phénomène transnational, l’émission d’une tonne de CO2 en Chine pouvant produire des effets en France ou en Afrique, cette répartition différenciée des efforts peut sembler baroque mais l’explication est politique. En effet en 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, les pays ont adopté le principe des « Responsabilités communes mais différenciées ». Celui-ci met en avant la responsabilité historique plus importante des pays industrialisés dans la dégradation des conditions environnementales et dans l’émission de GES, souligne au contraire le besoin de développement des PED et implique une différenciation des efforts à fournir.

Cette distinction se traduit par l’existence de deux catégories de pays dans la CCNUCC : les pays de l’annexe 1 (pays industrialisés) et les pays non-annexe 1 (PED) [1] . Le PK a repris cette distinction en désignant les pays de l’annexe B, industrialisés et soumis à des objectifs chiffrés et contraignants, et les pays non-annexe B. Tout l’enjeu des négociations de l’après-Kyoto repose sur la transformation de ces catégories Onusiennes, distinguant les pays développés et les PED, afin de prendre en compte la croissance économique et l’empreinte écologique croissante des pays émergents. Les Etats-Unis ont ainsi conditionné un engagement de leur part sur la réduction de leurs émissions de GES à une participation de la Chine.

Bien évidemment, les pays émergents refusent toute transformation de ces catégories, le statut de PED qui leur est conféré leur permettant de bénéficier d’avantages prévus par le droit international. L’origine de cette « discrimination positive » remonte aux années 1960, lorsque les pays membres du mouvement Tiers-Mondiste réclament une réforme des règles du commerce international permettant de corriger les asymétries entre Nord et Sud et militent pour la mise en place d’un Traitement Spécial et Différencié (ouvrant la possibilité de protéger leur économie) au sein du GATT, l’ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Dans le cadre du PK, la distinction entre pays industrialisés et PED a des implications économiques. En effet, le Protocole a mis en place des mécanismes de flexibilité, permettant aux pays industrialisés ne remplissant pas leurs objectifs de réduction d’émission de GES sur leur territoire de financer des projets de mitigation dans les PED (non-annexe B) grâce au Mécanisme de Développement Propre (MDP). Cependant, loin de bénéficier aux PED les plus fragiles et démunis, les MDP ont créé un effet d’aubaine pour les investissements dans les pays émergents. Ainsi, 75% des projets financés au titre du MDP concernent la Chine, le Brésil et l’Inde. L’accord trouvé à Durban assure la continuité de ces mécanismes de financement, en reconduisant le PK pour une deuxième période d’engagement.

De même, l’accord de Durban avance dans la constitution d’un Fonds vert, mécanisme international de financement destiné à faciliter les transferts de technologies vers les PED, qui était une revendication des pays du Sud à Copenhague en 2009 et dont le principe avait été acté en 2010 à Cancún. Le Fonds devrait être doté de 100 Milliards d’euros par an à partir de 2020 et servirait à financer des projets de mitigation ou d’adaptation. Cependant, on peut se demander si les pays développés seront en mesure d’abonder ce fonds, dans un contexte de crise économique et financière prolongée, et surtout qui pourra être éligible à ce type de financement, uniquement les pays les plus vulnérables ou l’ensemble des PED dont les puissances émergentes.

Cette remarque nous pousse à dire que l’accord ne résout pas les problèmes de catégorisation, il étend simplement les contraintes du futur accord à l’ensemble des membres de la CCNUCC, sans préciser la répartition des efforts entre pays industrialisés, pays émergents et PED. On peut s’attendre d’ici à 2015 et même au delà jusqu’à l’entrée en vigueur du futur traité en 2020, à d’âpres négociations sur les efforts respectifs des différents pays. Pour ce problème central, Durban repousse la résolution des difficultés à plus tard, tant les divergences d’intérêts sont profondes dans la gouvernance mondiale de l’environnement.

III) La dynamique de négociation des pays émergents.

En effet, les intérêts des pays sont diamétralement opposés en matière d’environnement. Les différences de développement économique, d’impact sur l’environnement et de prise de conscience environnementale entre Nord et Sud, le passé colonial de nombreux pays industrialisés européens et l’exploitation asymétrique des ressources entre Nord et Sud, le caractère sensible de certains environnements naturels pour les Etats et les populations… tous ces éléments font des négociations climatiques des objets profondément soumis à des considérations politiques.  Depuis la première conférence sur l’environnement à Stockholm en 1972 jusqu’à la COP de Durban, la gouvernance mondiale de l’environnement (l’ensemble des institutions, traités, réunions, groupes d’experts, ONG et leur relations) est le théâtre d’oppositions classiques entre pays développés et PED, et d’alliances variables entre et même au sein de ces groupes.

On peut cependant observer une tendance favorable à un accord global, lié à la dynamique de négociation des pays émergents. C’est ce que l’on a observé au cours de la Conférence de Durban, lorsque la Chine, pourtant constamment hostile à toute forme de contrainte pour les pays émergents, se déclare favorable à un accord global. Cette ouverture chinoise, suivie de celle des autres membres du BASIC, est liée à une dynamique particulière des pays émergents sur les plans international et interne. En effet, les négociations internationales peuvent être qualifiées de « jeux à deux niveaux », si l’on se réfère aux analyses de Robert Putnam, un politiste américain.

Le premier niveau correspond aux négociations entre Etats, où les divergences d’intérêts, les rapports de forces, les alliances et coalitions façonnent le profil de la négociation. Depuis une dizaine d’années, certains PED, les fameux « pays émergents » ont réussi à s’insérer dans les flux de la mondialisation (stratégies d’industrialisation par les exportations, recueil des investissements productifs internationaux (IDE)). Parmi eux, certains pays dotés d’éléments de puissance classique (armée, territoire, population, influence diplomatique) ont cherché à jouer un rôle plus important dans les négociations internationales. Aussi, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, que l’on peut qualifier de « puissances émergentes », ont eu tendance à se rapprocher et à former des coalitions dans de multiples forums de négociation en matière commerciale (le G20 à l’OMC), économique et politique (participation au G20 financier, réunion des BRICs) et environnemental (le BASIC pour les  négociations climatiques).

En s’alliant, et en vertu de leur poids croissant dans les divers domaines de la gouvernance mondiale (commerce, finance, environnement), les puissances émergentes parviennent à inscrire leurs préoccupations dans l’agenda international, à défendre leurs intérêts, mais surtout à proposer et faire adopter leurs propositions. Le caractère proactif des diplomaties émergentes et leur influence grandissante dessinent un ordre international multipolaire, bien loin de la vision des années 1990 où les Etats-Unis semblaient destinés à diriger seuls le monde. Les pays émergents peuvent donc plus facilement influer sur l’agenda international.

C’est ici que le deuxième niveau d’analyse, interne à chaque pays, est intéressant. Pour Robert Putnam et d’autres politistes de l’école libérale des relations internationales, les Etats sont les représentants sur la scène internationale des intérêts de leur société civile. On peut donc comprendre l’évolution des positions internationales des Etats en regardant leur évolution interne. Ainsi, en matière environnementale, il est frappant de constater dans les pays émergents une prise de conscience croissante des enjeux liés à la pollution, à la protection de l’environnement ainsi qu’au changement climatique. En Chine, les plans quinquennaux de développement s’attachent à réduire les impacts de la croissance économique sur l’environnement, le dernier plan prévoyant un objectif de réduction de la consommation énergétique de 16% et de 17% des émissions de CO2 d’ici 2020. Au Brésil, le mouvement écologiste est parvenu à placer sa candidate Marina Silva au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010. Enfin, l’Afrique du Sud et l’Inde développent massivement les énergies décarbonées et investissent dans les économies d’énergie.

Bien sûr, les pays émergents ne sont pas des modèles en terme de protection de l’environnement, leur forte croissance économique s’accompagnant d’une empreinte écologique de plus en plus importante que l’on pense à la construction de centrales à charbon en Chine ou à la déforestation au Brésil parmi d’autres exemples. De même, les politiques de mitigation du changement climatique aboutissent bien souvent à des désastres écologiques, comme le développement de barrages pharaoniques et controversés, par exemple celui de Monte Belo dans l’Amazonie au Brésil ou encore l’utilisation croissante des biocarburants dans les pays émergents [2] . Mais l’évolution des attentes sociales en matière d’environnement est de nature à pousser les gouvernements des puissances émergentes à trouver des solutions, même dans les pays non-démocratiques comme la Chine.

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On peut donc penser que d’ici 2020, la dynamique de négociation internationale et interne des pays émergents peut rendre possible la conclusion d’un accord sur la réduction d’émissions de CO2 au niveau global. Cet accord pourrait ne pas être contraignant mais simplement prévoir des mécanismes de flexibilité semblables aux MDP du PK pour les pays qui souhaitent s’engager plus fortement. Cependant, compte tenu du poids croissant des puissances émergentes dans la négociation et de la réticence des pays industrialisés face à leurs nouveaux concurrents, les négociations sur la répartition des efforts de mitigation et sur le financement des mesures d’adaptation promettent d’être ardues. Affaire à suivre à Rio en 2012, pour les 20 ans du Sommet de la Terre qui avait lancé le cycle des négociations climatiques.

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Enrique Ventura
Diplômé de Science Po Grenoble, Spécialiste des pays émergents

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  1. Sans oublier les Pays de l’annexe 2, issus du Bloc Soviétique et en transition économique.
  2. On peut cependant souligner que les puissances émergentes ne sont pas les seules à emprunter les chemins de la « croissance verte », où le développement technique accroit l’utilisation des ressources non-renouvelables, les pays développés encouragent ces solutions, parfois en les subventionnant par les mécanismes de flexibilité du PK.

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