Il est passé par ici, il repassera par là. Après cinq années de traversée du désert, François Bayrou est de retour. Plus que l'homme du centre, le béarnais veut incarner aujourd'hui une alternative en se présentant, sinon comme au dessus des partis, comme le candidat de l'antisystème.
Pierre Moscovici avait eu le mot juste en évoquant une "drôle de campagne". Dans un contexte où les programmes et idées ne sortent pas des tranchées, tout devient possible.
Face à un Nicolas Sarkozy qui n'arrive pas à remonter, malgré la multiplication des déplacements sur le terrain, des abysses des intentions de vote, François Bayrou incarne de plus en plus le candidat du recours pour une droite qui ne croit plus en son champion. Mais pas seulement. Son credo antisystème est censé en faire également une alternative possible à François Hollande.
Candidat officiellement ni de droite ni de gauche, l'ancien ministre de l'Education a surtout la qualité d'être sur le papier compatible avec les deux camps. L'agrégé de lettres cultive la pensée du cardinal de Retz : "on ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens". C'est son fonds de commerce. Celui qui devrait lui permettre au mieux d'accéder à la magistrature suprême, au pire de devenir depuis Matignon, dans un esprit d'union nationale, le trait d'union entre les deux camps, dans une France à genoux économiquement. C'est bien tout le paradoxe d'aujourd'hui : François Bayrou apparaît gagnant dans tous les cas de figure.
Et pourtant, que pèse politiquement le président du Modem ? Pas grand-chose. Philippe Crevel sur Atlantico.fr a la formule assassine : "François Bayrou, au fil de ses traversées du désert a appris à voyager de plus en plus léger" écrit-il.
Ambiguïté encore, ambiguïté toujours. Celui qui est censé rassembler a surtout réussi tout au long de son parcours politique à faire le vide autour de lui. Il demeure aujourd'hui encore un homme seul qui n'arrive qu'à attirer, au moins pour l'instant, que des déçus du sarkozysme dans un rôle dont a rêvé un temps Jean-Louis Borloo.
Tout se jouera en fait dans la dernière ligne droite. Si les amis de Nicolas Sarkozy ont la conviction que le naufrage est inévitable, ils prendront la chaloupe Bayrou. Le risque majeur pour l'autre François, celui de Corrèze, c'est d'être Jospinisé, d'être relégué à la fonction de Premier ministre. Car un chef de gouvernement c'est d'abord le chef d'une majorité parlementaire. Or, dans l'hypothèse d'un éclatement de la majorité présidentielle, le PS, bien assis dans les territoires, est en position de force pour remporter les prochaines législatives.
Dans cette campagne où l'on se garde bien de ne dévoiler ses idées qu'à la dernière minute de peur de la contradiction, François Bayrou, comme le croque Ivan Rioufol du Figaro, est devenu "le protestaire muet". Et si pourtant tous faisaient fausse route ? Si à la place d'un vide politique intersidéral basé sur le non dit, les Français étaient en attente d'une réelle offre politique avec ses forces et ses faiblesses ?
Dans ce jeu d'échec, en fin stratège, Nicolas Sarkozy, mise sur une entrée en campagne extrêmement courte mais intense, une blitzkrieg dans laquelle pour sauver son fauteuil il sera contraint de "renverser les tables", de prendre des risques. Bref de ramener la campagne sur le terrain politique au sens noble et ainsi forcer ses adversaires à sortir de l'ambiguïté à leurs dépens. Jamais meilleur que dans l'action le président sortant sait qu'"En amour comme à la guerre, pour en finir, il faut aller au contact". C'est ce que disait avant lui un certain Napoléon.