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Affaire Hildebrand: le malentendu probable entre Philipp et Felix

Publié le 11 janvier 2012 par Francisrichard @francisrichard

Hildebrand-Philipp.jpg"L'affaire n'est évidemment pas finie" écrivait Pascal Décaillet, de façon prémonitoire, sur son blog le 5 janvier dernier ici. Maintenant que Philipp Hildebrand a démissionné et qu'il n'est plus le puissant président de la BNS qu'il était encore lundi dernier, les médias se livrent, avec un malin plaisir, à des attaques personnelles contre lui. C'est indécent.

Toute sa vie financière est étalée par lesdits médias. Il est ainsi question du montant de son salaire annuel, du faible impôt qu'il a payé en 2009. Tout soudain on ne se gêne même plus pour l'accuser de mensonge. On évoque pour ce faire le dernier échange de courriels qu'il a eu avec son conseiller à la Banque Sarasin, Felix Scheuber, et qui serait accablant pour lui.

Les mêmes, qui trouvaient nauséabond que Christoph Blocher se soit servi de documents volés à la Banque Sarasin pour dénoncer Philipp Hildebrand [dont la photo provient d'ici] au Conseil fédéral - qui est l'organe de contrôle de la BNS- en la personne de sa présidente Micheline Calmy-Rey, se lancent dans un déballage qui n'est guère reluisant, alors que le vice-président de l'UDC avait pourtant bien raison de ne pas garder pour lui ce qu'il avait appris sur une affaire d'une telle importance.

Christoph Blocher a fait part de ce qu'il avait appris de manière discrète. L'affaire a été suffisamment prise au sérieux pour que deux audits soient effectués et remis l'un au Conseil fédéral, l'autre au Conseil de banque de la BNS. Le problème est que les auditeurs n'avaient pas tous les éléments entre leurs mains. Sinon ils auraient au moins émis des doutes sur les transactions de devises effectuées par les époux Hildebrand. Peut-être même l'affaire aurait-elle été enterrée si deux journaux du dimanche ne l'avaient pas révélée le 1er janvier 2012 avec l'intention manifeste de nuire à Christoph Blocher ... qui s'était engagé à garder le silence.

Le dernier échange de courriel, que Philipp Hildebrand a publié lui-même en annexe à son communiqué du 9 janvier dernier sur le site de la BNS, peut s'interpréter de deux manières : ou bien il a effectivement menti, ou bien lui et son conseiller se sont mal compris, hypothèse qu'il ne faut pas rejeter si l'on veut être parfaitement honnête. Il faut donc revenir aux pièces publiées ici.

Voici donc l'entier message que Philipp Hildebrand envoie, en mettant sa femme en copie, à Felix Scheuber le 16 août 2011 à 7:36, le lendemain de la transaction controversée, à savoir celle de l'achat de 504'000 USD contre 400'000 CHF :

"Dear Felix, Dear Kashya

Thank you for the equity orders and the opening of Natalia's sub account as well as the transfers into that account. However I am surprised reference to a dollar transaction in your mail. We never discussed any dollars purchases yesterday. Given Kashya's email response and copy to me, I assume she gave you the order. Please confirm that. I will obviously speak to her as well today. Needless to say, Kashya has full authority on our account. Nonetheless, in the future, for compliance reasons, you are not authorized to execute any currency transactions unless the order comes from me or I confirm it. In other words, when it comes to currency transactions, I need to know and sign off on any trades that Kashya might instruct you on. Also please note that any currency must be held for at least six months, in line with our internal SNB rules on personal investments.

Best

Philipp

PS: Kashya : sorry about that but currencies really are a special cas here.

PPS: Felix and Kashya : I am copying Hans Kuhn, our General Counsel on this email."

Ce qui peut se traduire :

"Cher Felix, Chère Kashya,

Merci à vous pour les ordres sur titres et l'ouverture du sous-compte de Natalia de même que pour les virements sur ce compte. Cependant je suis surpris de la référence à une transaction en dollars dans votre courriel. Nous n’avons jamais discuté d’achats de dollars hier. Etant donné la réponse de Kashya me mettant en copie, je présume qu’elle vous a donné l’ordre. Confirmez-le s’il vous plaît. J’en parlerai évidemment avec elle également aujourd’hui. Inutile de dire que Kashya a plein pouvoir sur ce compte. Cependant, à l’avenir, pour des raisons de compliance, vous n’êtes pas autorisé à exécuter des transactions sur des devises sans que l’ordre ne vienne de moi ou que je ne le confirme. En d'autres termes, quand il s'agit de transactions sur des devises, j'ai besoin de le savoir et de signer toute opération dont Kashya pourrait vous donner l'instruction. Notez également que les positions en devises sur ce compte doivent être tenues au moins six mois, conformément aux règles internes de la BNS pour les investissements personnels.

Meilleures salutations

Philipp

PS : Kashya : désolé à propos de cela mais les devises sont ici un cas spécial

PSS : Felix et Kashya : Je mets en copie de ce courriel Hans Kuhn, notre Directeur des affaires juridiques.

Felix Scheuber répond le même jour à 8:00 avec copie à Kashya :

"Dear Philipp.

I have taken due note of what you say below. Also I am and will be very observant of the current SNB trading rules, a copy of which you handed to me earlier this year.

As regards the actual dollar purchase order : Yes, Kashya yesterday gave me the verbal order, followed by the e-mail later on. I also remember you saying in our yesterday's conversation that if Kashya wants to increase the USD exposure then it is fine with you.

Best regards,

Felix [...]"

Ce qui peut se traduire : 

"Cher Philipp,

J'ai pris bonne note de ce que vous dites ci-dessous. Aussi je suis et serai très respectueux des règles actuelles de la BNS sur les transactions, dont vous m'avez donné copie précédemment cette année.

Pour ce qui concerne l'actuel ordre achat de dollars : Oui, hier Kashya m'a donné l'ordre verbal, suivi par le courriel ci-après [celui que Kashya a envoyé le 15 août 2011 à 13:20]. Je me rappelle également que vous avez dit au cours de notre conversation d'hier que si Kashya veut augmenter la part en dollars, alors vous êtes d'accord.

Meilleures salutations,

Felix [...]"

Il y a deux interprétations possibles :

- ou Philipp Hidebrand a bien eu l'intention d'acheter des dollars le 15 août 2011 et il n'a envoyé son message le lendemain que pour se couvrir en cas de découverte ultérieure de l'opération, mais cela suppose un esprit retors qui ne colle pas vraiment au personnage

- ou bien Philipp Hildebrand a évoqué la possibilité d'acheter des dollars lors de la conversation de la veille mais n'a pas imaginé pour autant que sa femme en donnerait l'ordre effectif sans lui en parler au préalable.

Dans la première hypothèse l'achat de dollars peut être considérée comme contraire aux règles internes de la BNS puisque des dollars ont été revendus par lui moins de six mois après les avoir achetés : Philipp Hidebrand n'aurait pas seulement commis une faute morale, mais aurait enfreint les règles de compliance qu'il avait lui-même adoptées au début de son mandat de président.

Dans la deuxième hypothèse, comme il était bien conscient - son courriel de 7:36 le prouve - que cette opération n'aurait pas dû être faite, il aurait dû l'annuler aussitôt après en avoir pris connaissance. Cette dernière version, qui semble être la bonne, explique la petite phrase qu'il a dite lors de la conférence de presse de lundi où il a annoncé sa démission :

"Je ne suis pas à même d’apporter la preuve irréfutable que ma femme a transmis à mon insu l’ordre concernant l’opération du 15 août."

A l'inverse des médias qui s'en prennent à lui une fois à terre, des commentateurs nous serinent que Philipp Hildebrand était un homme en tous points remarquable, difficile à remplacer, dont la compétence va manquer à la Suisse. Sur ce thème une voix discordante s'est exprimée hier matin sur La Première, celle de Paul Dembinski, professeur à l'Université de Genève et directeur de l'Observatoire de la finance ici :

"Est-ce que l'on peut à long terme regretter quelqu'un qui a fait une erreur de jugement alors qu'il occupe ou occupait une place où cette erreur de jugement est absolument fondamentale ? J'ai quelques doutes."

Il ne faut donc, me semble-t-il, ni noircir inconsidérément Philipp Hildebrand, ni ne pas tarir d'éloges à son sujet.

Francis Richard

Voici le passage vidéo où Paul Dembinski exprime au micro de la Radio suisse romande son opinion sur Philipp Hildebrand :

Articles précédents :

Affaire Hildebrand: les raisons de la démission de Philipp du 9 janvier 2012

Affaire Hildebrand: les précisions utiles de Christoph Blocher du 7 janvier 2011

Affaire Hildebrand: rien de nouveau après les explications de Philipp du 5 janvier 2011

Affaire Hildebrand: même si rien n'est irrégulier, est-ce bien moral ? du 4 janvier 2011


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