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"La fugue" de Georges Ottino

Publié le 12 janvier 2012 par Francisrichard @francisrichard

La fugue, le dernier livre de Georges Ottino, publié à L'Age d'Homme ici, nous raconte que l'envie de sortir des sentiers battus de l'existence peut vous prendre à n'importe quel âge, et même vous surprendre, quel que soit l'état dans lequel vous vous trouvez.

Pourquoi Antoine Messager prend-il sa voiture ce matin-là au lieu de se rendre à pied à son travail, tout proche de son domicile ? Il ne le sait pas lui-même. Il ne le saura même jamais. Quelle importance ? 

Vu de l'extérieur il semble plus que déterminé. On pourrait croire que c'est prémédité cette absence de décision d'emprunter la route habituelle qui conduit à son bureau.

A l'origine de cette inflexion de trajectoire il y a un mauvais choix de file qui l'oblige à continuer tout droit. Le rendez-vous téléphonique important, qui l'attend à son bureau de PDG, devient alors un tantinet problématique. Il devient carrément insoluble quand il franchit un point invisible de non retour.

Le moment du rendez-vous téléphonique étant largement dépassé, Antoine répond en quelque sorte à l'appel de l'autoroute, qui lui permet d'avaler des kilomètres et de se retrouver rapidement en dehors de la ville dans un paysage de montagnes, qui défile d'autant plus rapidement que sa voiture de marque allemande est puissante.

Il franchit la frontière, accélère. Après ce dernier obstacle il se sent pousser des ailes, celles de la liberté de se mouvoir, de n'être retenu par rien. Sans s'en rendre compte il dépasse quelquefois la vitesse autorisée. Il se reprend vite. Mais c'est maintenant à son esprit de vagabonder, sans rime ni raison, comme dans un rêve éveillé.

On dit qu'au moment de mourir celui qui s'en rend compte repasse le déroulement de toute sa vie en quelques instants. Ce n'est pas le cas. Ce sont seulement des bribes de souvenirs de la sienne, certainement importants pour lui, qui affleurent à son esprit.

Il ne maîtrise pas davantage ces souvenirs que le chemin qu'il suit, dans l'ignorance complète où il le mène. Son père est mort il y a neuf mois. Il revoit des instants de l'année qui a précédé et qui les a rapprochés tandis que jusqu'alors ils ne se comprenaient pas.

Comme dans une fugue musicale le roman donne la parole à plusieurs voix qui se répondent, se répètent et entremêlent les thèmes. Le narrateur cède par moments la parole à Antoine qui, en pensée, tutoie son père et ne parle qu'à la troisième personne de sa mère, laquelle, plus approche l'échéance, exerce son pouvoir et repose sa faiblesse sur son mari en proie au crabe.

Les petites filles tiennent leur rôle dans cette fugue qui, au débouché du tunnel, lui ouvre les portes de l'Italie. Il est encore tout gosse. Il se souvient du seul visage de l'une, du seul prénom de l'autre. Puis les panneaux de l'autoroute égrènent les noms de villes qui parlent à son esprit romanesque et cultivé. L'un de ces noms, Vigevano, lui rappelle ses amours avec Marie-Laure.

Depuis plus de vingt ans, presque vingt et un, il est marié à Marie-Laure, dont il s'est éloigné comme elle s'est éloignée de lui, à qui il n'a pas envoyé ce matin le sms, guère rassurant au fond, où il lui disait de ne pas s'inquiéter. Ils ont deux filles, Laure-Marie et Françoise, fruits de leurs amours, quinze et treize ans, des filles qui sont... très bien.

Au sortir de Parme où il a fait une visite décevante il prend en auto-stop une jeune femme "grande, mince, dans un imperméable noir", Nicole. Il est parti sans savoir pourquoi. Ce qui l'intéresse elle, dans le voyage, c'est l'ailleurs. Ils sont donc peut-être faits pour s'entendre, même si lui, du signe du Scorpion, ne le devrait avec elle, du signe du Taureau.

Nicole et à Antoine se livrent cependant ensemble à un jeu subtil où les gestes et les mots, qui sont souvent de véritables réparties, ont toute leur importance. Leur rencontre ne sera-t-elle qu'une parenthèse ? Antoine n'aime pas le mot, parce que les parenthèses, on ne pense qu'à les refermer. Nicole est au fond très sage :

"Si je reste, ça nous fera simplement des souvenirs communs. Et si on se quitte, eh bien, on pourra toujours imaginer ce qui aurait pu être."

Une fois ce roman refermé - il est écrit dans une langue qui parle au coeur -, on se dit que ce livre ne peut pas être tout à fait une parenthèse. On se prend en effet à rêver qu'il ait des prolongements dans sa vie personnelle.

Comme il est rajeunissant de goûter à des instants de bonheur, ne l'est-il pas moins, de temps en temps, de se laisser emporter par sa déraison ?

Francis Richard


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