J’aime bien Éric Cantona. Footballeur hors pair, personnalité excentrique, VIP à conscience politique qui ose ruer dans les brancards. J’aime bien Éric Cantona. J’aime moins – in cauda venenum, que voulez-vous – sa “candidature” à l’élection présidentielle, sur laquelle Libération vient de faire sa une.
L’élection présidentielle a sa dramaturgie inébranlable, avec des moments-types qui finissent toujours par pointer le bout de leur nez. Sans qu’il soit d’ailleurs possible de faire la part des choses entre la spontanéité de ces épisodes, et la mise en scène qu’en font les médias pour relancer un feuilleton électoral qui serait sinon vite monotone. L’épisode du « troisième homme » qui vient bouleverser le duel annoncé (Chevènement un coup, Bayrou l’autre). L’épisode de l’usine en dépôt de bilan, victime de la mondialisation, au chevet de laquelle tous les candidats sont sommés de se rendre. Ou encore, donc, l’épisode de la candidature en provenance de la société civile, jouissant d’une forte popularité, qui menace d’aller jusqu’au bout de sa démarche si elle n’est pas écoutée par les principaux candidats. Appelons-la la candidature du quatrième homme. Coluche en 1981 ; Nicolas Hulot en 2007 ; Eric Cantona aujourd’hui, précédé il y a quelques temps par une autre vraie/fausse candidature autour de la recherche sur le cancer.
On ne peut pas condamner la cause qu’entend porter l’ex-footballeur mancunien, celle du logement et du mal-logement. Pas plus qu’on ne peut douter de la sincérité de son « partenaire », la Fondation Abbé-Pierre. Mais je crois malgré tout que leur démarche est au mieux inutile, au pire néfaste.
D’abord parce que ce « coup » participe d’une campagne heurtée et chaotique, faite justement de … coups successifs qui empêchent la tenue d’un débat approfondi sur les intentions des différents candidats qui iront réellement jusqu’au bout. Comme le remarquait Daniel Schneidermann au moment de la sortie de la une de Libé, le bruit provoqué par l’engagement du footballeur avait alors plus d’écho que le débat, beaucoup plus fondamental, sur le quotient familial … La figure médiatique finit par étouffer la cause qu’elle porte et par nourrir la machine à buzz, avec des emballements du jour aussi vite produits, aussi vite oubliés. Fait éloquent, Libération titre sur une entrée en « campagne » de Cantona et une quête des « signatures » nécessaires à une candidature, alors que l’on apprend à l’intérieur de l’article que cette candidature n’en est pas une ! La confusion et l’insignifiance s’imposent.
Ensuite parce que cette figure de la personnalité de la société civile se construit toujours sur un lit de méfiance envers les politiques – et donc la politique – si ce n’est de poujadisme. Cantona dans Libération : « Nous avons des responsables politiques qui imposent de plus en plus d’interdits […] mais qui eux [les] bafouent tous les jours […] Pendant les campagnes on entend de belles paroles, qui sont par la suite très rarement respectées et appliquées ». Tous pour un, tous pourris, droite et gauche dans le même sac ? N’y a-t-il pas un camp sortant, et des municipalités qui font moins que d’autres en ce domaine ? Cette posture de donneur de leçons finit par effacer les responsabilités et protéger les coupables.
Enfin parce que les grandes chartes consensuelles sur lesquelles on somme les candidats de se prononcer – Pacte écologique de Nicolas Hulot hier, « contrat social » évoqué aujourd’hui par Eric Cantona – finissent par aboutir à l’inverse du résultat souhaité. En paralysant le débat présidentiel et en le détournant sur des kermesses solennelles qui mettent plus en avant leur instigateur que le contenu des engagements souhaités. Elles flattent la vieille illusion de l’existence de grandes mesures sur lesquelles toutes les familles politiques pourraient se mettre d’accord. Mais alors, à quoi bon organiser une élection ? Surtout que signer ces chartes, accords et autres pactes permet d’obtenir un brevet de respectabilité à peu de frais dans l’immédiat, et peu engageant pour la suite. Qui se soucie de vérifier la mise en œuvre effective du pacte écologique de Nicolas Hulot, signé en 2007 par Sarkozy ? Personne, et pourquoi d’ailleurs, puisque le « contrat social » version Canto arrive ! Une mode chasse l’autre.
Camarade Cantona, ne renie rien de ton militantisme, continue et accélère, même. Je ne serai jamais de ceux qui condamnent l’engagement des « pipoles » en politique (vaudrait-il mieux qu’ils n’aient aucune conscience ?). Mais par pitié, choisis mieux tes combats – et surtout la façon de les mener.
Romain Pigenel