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Notes sur le débat de Cleveland

Publié le 03 mars 2008 par Olivier Beaunay
Un nouveau débat, le dernier avant le scrutin du 4 mars, opposait mardi soir à Cleveland (Ohio) Hilary Clinton et Barack Obama. En resterait-on aux politesses d'usage ? Quel était l'enjeu véritable de ce débat ? Comment Obama le sage pourrait-il résister à Hilary la combattante ? Et d'ailleurs, débat ou spectacle : de quoi s'agissait-il au juste, aux confins de la démocratie et du marché ? Eclairages...
Petites politesses entre amis
Un internaute, qui suit les affaires américaines avec autant d'intérêt que d'esprit critique, m'interpelle : comment pouvez-vous dire que le débat politique est, aux Etats-Unis, plus civilisé que dans notre pays ? Je maintiens qu'il s'agit ici souvent moins d'écraser l'adversaire que de faire triompher ses qualités propres et que cela, me semble-t-il, civilise les formes de l'échange (il est d'ailleurs difficile d'exprimer une critique aux Etats-Unis). En regardant le débat d'hier soir, et après l'échauffement d'usage, on n'en ressentait pas moins une sorte de violence froide, à la fois parfaitement policée et lourdement critique. Il est vrai que pour ce dernier round avant la bataille décisive de la semaine prochaine, Hilary Clinton n'avait guère le choix et était acculée à l'attaque ("I am a fighter" ne cessait-elle de répéter). Du coup, inversement, il me semble que c'est le respect et la hauteur qu'imposent Obama qui ont fait la différence.
Soundless political machine
Cela vient au fur et à mesure et finit par s'imposer. Crise du crédit hypothécaire, libre-échangisme, guerre en Irak, assurance santé... On se rend compte que, sur le fond, le débat ne changera pas grand-chose et même, contrairement à ce qu'invoque les citoyens et les challengers (c'est-à-dire, aujourd'hui, Hilary), il n'est en réalité pas fait pour ça. D'ailleurs, tout le monde ou presque s'en moque ; il n'y a guère que les journalistes qui tentent de rationaliser la lutte a posteriori par des dizaines d'analyses associées à autant de "focus groups" - et on notera au passage que ceux de MSNBC, qui avaient ce soir-là la charge d'animer les débats, ont montré bien plus de précision et de pugnacité que ce n'est généralement le cas avec ceux de CNN. Non, le véritable objet du débat, c'est la joute oratoire et ce qui est en jeu ce sont les qualités démontrées par le champion de chaque camp dans l'arène sur un plan émotionnel et symbolique. A la fin d'ailleurs, que se demande-t-on : quels étaient les meilleurs arguments ou qui a gagné ?
La gestuelle d'Obama
Deux postures d'Obama étaient particulièrement frappantes, et même étonnantes à ce niveau, dans le débat d'Austin. Première attitude caractéristique : ne cesser de prendre des notes pendant que l'adversaire parle, surtout quand il attaque. Cela permet sans nul doute de prendre une contenance et de préparer la riposte, mais peut aussi donner l'impression d'une attitude appliquée, presque scolaire (que renforce d'ailleurs, gestuellement, son identité de gaucher). Un courant d'air très localisé l'obligeait de plus à caler en permanence les pages de son bloc-notes avec son stylo, à tel point qu'il aurait pu, avec le sourire, rebondir sur "le souffle" supposé l'inspirer tout au long de cette campagne et faire déjà de lui le candidat désigné. A l'inverse, Hilary Clinton fixait Obama chaque fois que celui-ci prenait la parole - et plus encore à Cleveland qu'à Austin. Seconde attitude caractéristique : lever la main de façon très explicite et répétée pour demander la parole. On pousse là encore plus loin le syndrôme scolaire. Or, Obama a été manifestement briefé de près entre les deux débats par ses conseillers. A Cleveland, ses prises de notes se sont raréfiées. Surtout, à l'attitude de la main levée s'est substituée la main dirigée vers l'avant (direction à prendre) ou martelant le propos en frappant la table du doigt (puissance de l'argument). Il y avait quelque chose de presque touchant dans ces attitudes d'Austin, mais c'était plus percutant comme ça à Cleveland.
L'art de la contre-offensive
Au-delà de ses corrections, que faire face à une Hilary Clinton déchaînée, dont les images en cours de débat rappelait comment elle avait, dans un meeting récent, singé un Obama inspiré regardant vers le ciel et demandant à tous de s'unir pour changer les choses par le miracle d'on-ne-sait quelle bénédiction ?... Obama en a d'ailleurs ri, pour le coup, de bon coeur sur le plateau et félicité son adversaire pour ses talents de scène. Son positionnement n'en est pas moins resté très efficace : ne pas se laisser emporter par la polémique, mais répondre avec clarté et fermeté lorsque les attaques vont un peu loin, en n'abattant quelques coups lourds que soigneusement choisis - le principal sur l'Irak (et c'est d'ailleurs le vote qu'a déclaré le plus regretter Hilary à la fin du débat). Le plus frappant est l'impresson de hauteur et, plus encore, presque de douceur, qui se dégage de lui, beaucoup plus d'ailleurs dans les débats télévisés que dans les meetings. C'est là un fait très surprenant, atypique en tout cas en politique, presque féminin ; c'est comme si face à une Hilary Clinton agressive, il avait en effet inversé les postures. Redoutable, car alors les attaques glissent et ne semblent pas avoir prise. Simultanément, l'adversaire est renvoyé vers le bas tandis que sa cible, par gravitation relative, renforce encore la hauteur de son positionnement.
L'élection comme business
Dernier point, de portée plus générale, en suivant depuis maintenant six mois, jour après jour, semaine après semaine, la couverture médiatique de l'élection, en particulier à travers CNN, le New York Times et les blogs. Voilà une élection qui, depuis le début, se déploie comme un feuilleton, un méta-récit, une véritable "machine à fabriquer des histoires et à formater des esprits" aurait dit Christian Salmon dans "Storytelling" (on reviendra sur ce petit livre passionnant). Plus encore, l'élection apparaît soudain comme un des business clés de l'économie américaine. Dès lors en effet que l'on agrège impact direct, indirect et induit notamment dans le secteur de la communication au sens le plus large du terme (fund-raising, medias, équipes, publicité, produits dérivés, lobbies, événements...), on aboutit, selon toute vraisemblance, à des montants de plusieurs milliards de dollars sur quelques mois. Jamais la démocratie et le marché n'ont été aussi organiquement liées qu'ici dans un système qui est, fondamentalement, un marché.
Le marché, pour autant, n'est pas conclu. La cause semble certes entendue selon les sondages : grâce à la poursuite de sa dynamique de victoire, à une meilleure prise en compte des difficultés de la "working class" dans le Midwest et à ses progrès au sein de la communauté latino initialement plus favorable à Hilary Clinton, Obama devancerait aujourd'hui largement sa concurrente et, contrairement à elle, serait donné vainqueur contre Mac Cain. Mais les mêmes estimations ne donnaient-elles pas, il y a à peine trois mois, une finale Giuliani-Clinton courue d'avance ?

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