Alors qu’on attend toujours un programme un peu concret et chiffré du PS, et un candidat un peu concret et chiffrable de l’UMP, le Front National de Gauche (qui est, rappelons-le, le frère ennemi du Front de Gauche National) nous gratifie d’un programme concret et n’hésite même pas à nous le chiffrer devant nos yeux gourmands. Et ça tombe bien, les chiffres, j’aime bien.
Question timing, c’est un peu raté pour Marine Le Pen, mais ce n’est pour une fois pas la faute de la principale intéressée : elle ne pouvait pas prévoir qu’une agence de notation (méchante, méchante agence) choisisse précisément cette semaine pour dégrader la France et, en conséquence, faire passer la présentation chiffrée de son programme en troisième plan de l’actualité, derrière Free (méchant, méchant opérateur télécom) et cette dégradation scandaleuse…
Avant d’analyser, regardons rapidement les grands ensembles proposés par la dirigeante du FN.
L’ensemble des calculs se base sur une hypothèse de croissance jugée « tout à fait réaliste » par la candidate allant de 0% en 2012 à 2,8% en 2017. Pour ma part, j’aurais tendance à considérer que ce 0% est un chouilla optimiste, mais bon, soit. Cependant, cette hypothèse s’additionne d’une sortie de l’euro dont on peine à voir comment elle sera menée, tant le chemin est étroit pour un retrait ordonné de la monnaie unique sans catastrophe.
Et avec ces deux hypothèses, la Marine nous gratifie donc d’une augmentation des dépenses dans la Justice, la Sécurité, la Santé, pour un coquet total de 25 milliards d’euros pardon de FN-Francs (remplaçant putatif de l’euro, hein, puisqu’on en sort, n’oubliez pas). Auxquels on ajoutera dans la même foulée une exonération des charges sociales des entreprises histoire, de 20 milliards d’euros, soit-disant compensée par une taxe à l’import. En tout cas, dans le meilleur des cas, ça nous fait une ardoise de 25 milliards supplémentaires. Et dans le pire, on explose largement les 45 milliards.
Heureusement, la candidate veut aussi tailler dans le gras en coupant de vilaines dépenses inutiles. Par exemple, la suppression de la participation de la France à l’Union Européenne économise 11.7 milliards d’euros. Là, c’est facile, puisqu’on sait assez bien ce qui sort. Elle propose aussi de limiter l’immigration et passer le quotas d’immigrés de 200.000 à 10.000, ce qui lui permet d’afficher une quarantaine de milliards d’euros d’économies avec ce poste.
Ici, je dis stop.
Oui, effectivement, elle peut bien supprimer les quotas d’immigration, mais ça ne fera pas tarir, instantanément, le flux d’immigrés qui arrivent en France. Surtout des immigrants illégaux, puisque, par définition, ils se foutent des quotas comme de l’an 40. On m’objectera qu’avec tous les nouveaux milliards dédiés à la sécurité, le problème sera vite réglé. On pourra alors remarquer que jamais, nulle part, l’augmentation des moyens de l’Etat pour la sécurité n’ont abouti à une meilleure sécurité du citoyen honnête. En revanche, cela s’est toujours traduit par une augmentation notable des dérives totalitaires (c’en est même une caractéristique).
Mais le pompon de l’économie vient, d’après notre candidate, de la sortie de l’euro elle-même puisqu’elle devrait procurer, d’après des calculs dont on ne voit pas comment ils peuvent tomber même approximativement à côté de la réponse, la somme assez extraordinaire de 87 milliards d’euros.
Je le refais en plus court : vous biffez le « € » des billets de banques, vous remplacez par « FNF » par exemple, et hop, la France gagne 87 milliards d’euros (ou de FNF, on ne sait pas trop). En cinq ans. C’est démentiel. Mais il suffisait d’y penser.
Non, sérieusement, c’est bluffant. C’est au-delà du bluffant. C’est extraordinaire. Non, plus que ça. C’est … c’est … oui, voilà, c’est magique puisqu’au final, ce que veut dire Mme Le Pen, là, avec ce calcul, c’est que l’Euro coûterait à la France la somme tout de même assez fabuleuse de 87 milliards d’euros par quinquennat, soit plus de 17 milliards par an, qui passeraient donc, actuellement, dans l’utilisation de cette monnaie.
Moui, ok, soit.
Mais où ?
Dans la compétitivité perdue ? Comme les Allemands, qui ont la même monnaie et sont plus compétitifs et exportent partout dans le monde ? Ah non, zut, ce ne doit pas être ça. Dans un taux de change défavorable ? Ah bah non, nos importations et nos exportations étant en grande partie vers l’Europe, l’argument ne tient pas (en tout cas, pas à hauteur de 17 milliards). Dans l’inflation ? Heu, je ne vois pas non plus comment (mais je veux bien écouter les idées que vous, ami lecteur, vous pourriez avoir).
En revanche, on voit assez bien ce qu’une sortie de l’Euro pourrait nous coûter (en frais de change, par exemple, ou en dévaluation). Ici, peu importe le montant, il s’agit juste de montrer qu’on voit assez bien ce qu’on perd, mais pas du tout ce qu’on gagne. N’oubliez pas que la liberté d’imprimer du FNF à volonté n’est pas réellement un gain, contrairement à ce que certains gogos veulent nous faire croire (inflation, anyone ?)…
Enfin, encore une fois, le projet prône un retour à l’équilibre budgétaire pour … 2018, c’est-à-dire, encore une fois, après la fin du quinquennat. Encore une fois, il s’agit bel et bien de l’étalon en or massif qui permet de déterminer à coup sûr que ce programme est un Foutage de Gueule : aucun programme ne prétend revenir à l’équilibre aussi vite que possible, pendant l’exercice présidentiel du candidat. À chaque fois, ce dernier semble préparer le terrain pour le second quinquennat, toujours placé sous le signe du bonheur compact et complet atteint grâce à un premier quinquennat finement calculé. Et à chaque fois, l’équilibre n’est jamais atteint dans les quatre, trois ou deux ans (sans parler de la première année).
Evidemment, quelques remarques fusent déjà sur ce programme, mais la candidate s’est déjà habilement préparée :
« J’entends déjà la horde d’économistes et d’experts, vous savez les experts patentés du système, qui n’ont d’ailleurs jamais prévu la crise et contrairement aux miens d’experts, et contrairement à ceux que je consulte, venir m’expliquer que ce plan de désendettement est impossible, absurde, isolationniste, fou. »
Ce qui tombe bien, c’est que je ne suis pas économiste ni même expert, j’ai prévu la crise (comme d’autres d’ailleurs), j’ai prévu que le triple A de la France ferait un double-salto arrière carpé avec éclatage des ratiches au sol, et que ce pays avait déjà passé le point de non retour qui rend, dès lors, caduques les tentatives de rattraper le biniou avant son dégonflement définitif.
Cela me met donc dans une position confortable pour dire clairement que ce plan vaut celui du Front de Gauche National, celui du Parti Officiellement Socialiste et celui de l’Union pour un Mouvement Socialiste, ou celui du Mouvement des Étatistes Démocrates, c’est à dire rien.
C’est encore un plan qui vise à accroître le rôle de l’Etat, de la redistribution.
C’est encore un plan qui n’équilibre rien sur toute sa durée d’application.
C’est encore un plan qui oublie les fondamentaux de l’économie puisqu’il taxe à qui mieux-mieux en croyant créer ainsi des ressources alors qu’il ne fait que déplacer des sommes qui s’amoindrissent d’autant que les taxes sont lourdes.
Bref, c’est un plan voué à l’échec puisque basé sur des idées déjà testées (le protectionnisme, l’interventionnisme, le socialisme) et qu’elles ont, toujours, en tous lieux, en tous temps, foiré.
Une seule conclusion : ce programme est foutu.
—-
Sur le web