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La Bataille d'Angleterre, par J. de l'Espinois

Publié le 16 janvier 2012 par Egea

C'est un très bon livre que voici, lisible y compris par celui qui s'y connaît peu en stratégie aérienne : ce n'est pas "un de plus" sur la bataille d'Angleterre, mais une étude assez poussée sur la dimension stratégique de cette bataille, et sur "qui a pris quelles décisions selon quels principes?" : bref, pas seulement un livre d'histoire, mais aussi un livre de réflexion, court et bien enlevé (et illustré). Ainsi, le rôle de Hugh Dowding est-il notamment mis en valeur (ainsi bien sur que celui de Churchill). Merci à J. Pellistrandi de nous offrir une fiche de lecture détaillée.

La Bataille d'Angleterre, par J. de l'Espinois
source

O. Kempf

Jérôme de Lespinois : La bataille d’Angleterre Juin-Octobre 1940

  • Collection : l’histoire en batailles, Tallandier, 2011

L’éditeur Tallandier a eu la riche idée de lancer une collection consacrée à l’histoire à travers les batailles. C’est ainsi que le Lieutenant-Colonel de Lespinois, officier chercheur au Centre d’Etudes Stratégiques Aérospatiales, le CESA, de l’armée de l’air et implanté à l’Ecole militaire, nous offre une nouvelle relecture de la Bataille d’Angleterre, qui s’est déroulée de juin à octobre 1940 et dont le 70° anniversaire a été célébré avec faste par nos alliés d’outre-Manche. Ce fut d’ailleurs, l’occasion d’une importante production historique –en anglais-, hélas mal connue ici, tant l’histoire militaire reste marginale en France, malgré de récents efforts comme celui conduit par Tallandier.

Le grand mérite de cet ouvrage est qu’il a été rédigé par un historien spécialiste de la puissance aérienne doublé d’un militaire spécialiste de l’histoire aérienne. Cette double approche n’en est que plus précieuse et permet donc de mieux comprendre avec le recul de l’histoire, les enjeux de cette bataille devenue mythique dans l’inconscient collectif britannique.

La victoire, car il s’agit bien d’une victoire, n’en déplaise à certains historiens, a ainsi succédé à la défaite de la bataille de France. Celle-ci est d’ailleurs véritablement paradoxale vue du côté aérien, car, contrairement à la légende noire de la débâcle française, l’attrition très élevée de la Luftwaffe due en grande partie à notre armée de l’air –voir l’excellent livre de Patrick Facon, Bataille dans le ciel de France – mai-juin 1940, publié en 2010 – a affaibli durablement le potentiel allemand non totalement reconstitué lorsque s’engage la Bataille d’Angleterre. Dès lors, le rapport de force, bien que favorable au Reich, n’était pas suffisant pour garantir un écrasement définitif de la Royal Air Force, obligeant Londres à négocier.

De la même façon, les effectifs engagés au cours de cet été contrastent avec la Bataille de France où ce sont principalement les forces terrestres qui ont fait la décision. La Bataille d’Angleterre est donc tout autre et la victoire britannique a reposé sur quelques milliers d’hommes appartenant à la RAF. Mais c’est aussi la première fois que les femmes militaires – les WAAF- vont jouer un rôle essentiel à travers l’organisation du système de commandement et de contrôle qui intègre de nombreuses WAAF comme opératrices et qui ont fait preuve d’un courage tout à fait remarquable. C’est également une bataille industrielle avec l’accroissement de la production des Spitfire et des Hurricane sous la conduite de Lord Beaverbrook. La technologie est également essentielle avec bien sûr les avions et le radar qui a permis aux Britanniques de mieux affronter les vagues de bombardiers allemands.

Il faut souligner ici le rôle central du Air Marshal Hugh Dowding qui a su magistralement conduire la bataille en sachant économiser ses moyens (dont les pilotes) et concentrer ses efforts aux moments opportuns. Son mérite ne fut pas suffisamment reconnu en raison de caractères incompatibles au sein du haut commandement et du cabinet politique à Londres.

Jérôme de Lespinois revient également sur les causes de l’échec allemand dû en partie aux changements de stratégie qui se sont révélés contre-productifs du côté allemand. Ainsi, en arrêtant l’attaque des aérodromes de la RAF pour attaquer massivement les villes, la Luftwaffe a d’une part donné du répit aux aviateurs britanniques, mais a aussi galvanisé la population autour de Winston Churchill et de la famille royale exemplaire dans son comportement en restant à Londres malgré les dangers des bombardements. Curieusement, cette leçon de patriotisme fut oublié par les Alliés lorsqu’ils bombardèrent par la suite les villes allemandes.

Churchill est ainsi le grand vainqueur politique de cette bataille aérienne. Par son énergie implacable dans la lutte contre l’Allemagne nazie, il a évité une possible paix de compromis que certains leaders anglais comme Neville Chamberlain considéraient comme plus raisonnable. En gagnant la bataille d’Angleterre, Churchill a clairement signifié qu’il n’y avait pas de discussion possible avec Berlin. De ce fait, il mondialise la guerre, ouvrant la voie à une défaite possible de l’Axe.

Il est donc très pertinent aujourd’hui de relire cette bataille. Quelques mois après la guerre en Libye où l’action aérienne conduite par l’OTAN a été indispensable pour le succès de la rébellion, le débat reste posé sur la pertinence de la puissance aérienne. Si celle-ci ne permet pas de gagner à elle seule la bataille – à l’exemple de la Luftwaffe- son absence conduit inéluctablement à la défaite, comme l’a montré l’Irak lors des deux guerres du Golfe. La maîtrise de l’air reste incontournable et celle-ci passe également par l’outil technologique et l’intelligence dans la conduite des opérations. Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus eu de grandes batailles aériennes depuis plusieurs décennies qu’il faut croire que le drone se substituera totalement à l’avion piloté ou que le missile remplacera totalement la bombe classique (mais guidé par GPS ou laser). La Bataille d’Angleterre a en effet montré que l’outil de combat dépendait étroitement du facteur humain. En cela, les pilotes de l’été 1940 resteront à jamais des héros.

Jérôme PELLISTRANDI


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