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Publié le 05 mars 2008 par Victorclaass
Les écrivains jouent au foot (2)
Les Humanistes obtiennent le nul
Rabelais a limité les dégâts en obtenant le nul, hier, sur sa pelouse, face à des Romantiques, septièmes de la poule. Les Humanistes ont pressé d’entrée, réalisant des enchaînements érudits malgré l’absence de cinq éléments de l’équipe type. Pourtant c’est Gérard de Nerval qui s’est offert le premier but, à la 7ème. Sur l’enregistrement vidéo, on devine parfaitement ce que Nerval a pu dire au défenseur adverse pour avoir le champ dégager et ajuster son tir. Sur ces lèvres, on lit :
« O seigneur Du Bartas ! Je suis de ton lignage,
Moi qui soude mon vers à ton vers d'autrefois ;
Mais les vrais descendants des vieux Comtes de Foix
Ont besoin de témoins pour parler dans notre âge » (À Madame Sand).
L’attaquant Romantique, en voulant exprimer tout son art par un entrelacé de vers avec l’adversaire, ouvrait ainsi le score. Le défenseur Montaigne décidait à ces mots de pourchasser tendrement l’attaquant auteur du but, jusqu’à la fin du match. L’Humaniste l’invectivait de cette façon : « J’ai souvent fait cette expérience dans nos montagnes; et quoique étant de ceux qui ne s’effraient guère de ces choses-là, je ne pouvais supporter la vue de ces profondeurs infinies sans horreur ni sans ressentir des tremblements dans les cuisses et dans les jarrets » (Essais, II, 12, Apologie de Raimond Sebond (1580)). Voilà ce qui arrive quand on témoigne d’une trop grande sensibilité passionnée et mélancolique envers des hommes qui cherchent simplement à mettre la balle au fond.
Les occasions seront pourtant équilibrées jusqu’au repos, Benjamin Constant sauvant plusieurs fois les Romantiques. À la 75ème l’expulsion de Giordano Bruno pour contestation violente d’un carton jaune minimisait les chances des Humanistes de coller au score. À la fin du match l’arbitre motivait son choix. Selon lui, le milieu de terrain Bruno prétendait avec emphase, de manière presque philosophique, que le terrain de foot était infini et que donc les sorties latérales n’avaient aucune valeur pour lui. Aux dires de l’arbitre, le national italien aurait même ajouté que le terrain de football pouvait être peuplé d’une quantité innombrable de joueurs identiques et pas seulement de 11 personnes.
En entendant les propos de Bruno, l’entraîneur Romantique décidait de faire rentrer sa nouvelle recrue d’origine allemande, Emmanuel Kant. Mais l’arbitre critiquait catégoriquement la raison de cette pure pratique de la faculté de juger. Avant de se rasseoir sur le banc et après avoir sauté à pied joints dans ses pantalons, Kant lâchait à l’arbitre : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen » (Fondements de la métaphysique de mœurs). Sur ce, l’arbitre, les mains dans les poches, sortit du terrain en sifflant gaiement et on ne le revit jamais.
L’arbitre remplaçant avait rétabli la situation. Les Humanistes, moins présents qu’en première mi-temps, ne trouvaient leur salut que grâce à un coup plutôt franc de Rabelais qui logeait un bon tire de l’aile gauche dans la lucarne, ramenant ainsi les siens à égalité avec les Romantiques. Aux questions des journalistes sur l’issue du match, l’auteur du dernier but répondait : « […] vous sentez au trou du cul une volupté mirificque, tant par la doulceur d'icelluy dumet, que par la chaleur temperée de l'oizon, laquelle facillement est communicquée au boyau cullier & aultres intestines, iusques à venir à la region du cueur & du cerveau. Et ne pensez poinct que la beatitude des heroes & semidieux qui sont par les champs Elysiens soit en leur Asphodèle ou Ambrosie ou Nectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est selon mon opinion en ce qu'ils se torchent le cul d'un oyzon » (La vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel). Voilà une pensée que les Romantiques auront peut être un peu de mal à concevoir.

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