Le Roi de Kahel, de Tierno Monénembo, est la biographie romancée de l’explorateur français Aimé Victor Olivier vicomte de Sanderval, très connu en Guinée et (très) oublié en France.
Aimé Victor Olivier est une sorte de précurseur de la colonisation de l'Afrique de l'Ouest. En 1880, Mr le Vicomte souhaite faire de la région du Fouta Djalon, en terre guinéenne, son royaume personnel et aspire à la relier au monde avec une ligne ferroviaire.
Sanderval, issu d'une dynastie de capitaine d'industrie et bourgeoisie lyonnaise, tour à tour vainqueur du sommet du Mont Blanc, constructeur de la première usine de vélocipède a attrapé dès potron minet le virus des colonies (comme il se disait à l'époque) en lisant le récit du voyage à Tombouctou de René Caillé.
Victor Olivier est un utopiste et humaniste «L’humanité, dans la race blanche n’est pas au terme de son progrès! (...) nous ne sommes pas toute l’humanité, nous n’en sommes qu’une branche.».
Sa devise est connaitre au lieu de combattre.
En 1879, il part pour le royaume peuls théocratique du Fouta Djalon. Il apprend à ruser au pays où la duplicité est un signe de raffinement.
Le poulakou (qui signifie la façon de penser, d'être, de vivre des peuls) la sagesse peule, enseigne que vivre c’est se gruger les uns les autres : «Ici, on naissait rusé ou maudit, roi ou rien du tout.»
Alors, il sera roi, roi de Kahel, un petit territoire des hauts plateaux, et seigneur peul selon la volonté de l’almami de Timbo, chef suprême peul qui lui offre le plateau de Kahel.
Le roi du Portugal lui décerne le titre de vicomte de Sanderval et en France on s’arrache ses carnets de voyage parus dans la presse (« De l'Atlantique au Niger par le Fouta-Djallon, carnet de voyage de l'Auteur ». P., Ducroq 1882, en cliquant sur le lien précédent, vous pourrez lire les écrits d'Aimé Olivier de Sanderval sur Gallica qui est décidément un bel outil !).
Carte du Foutah Djallon par Aimé Olivier de Sanderval
Le gouvernement français le prend pour un fou et refuse de reconnaître les traités qu’il a signés. L’ère des explorateurs a pris fin, il n’y a plus de place pour l’utopie.
Aimé Olivier de Sanderval a imprégné la mémoire collective guinéenne. Il a laissé son nom au plus vieux quartier de Conakry, Sandervalia, «chez Sanderval» en soussou.
Par sa dimension tragique, à l'instar de Mungo Park (un article mitonne sur le coin de mon clavier) chez les anglophones, que j'ai eu l'occasion d'évoquer au travers de Water Music de T.C. Boyle, il prend place dans l’univers littéraire africain.
Monénembo a su habiller son personnage de l’étoffe du héros romanesque. Son écriture est aussi poétique que théâtrale, aux frontières de l’histoire et du roman épique avec en toile de fond un conte initiatique, tissée de fils d'humour.
Deux mots sur l'auteur
Tierno Monénembo, de son vrai nom Thierno Saidou Diallo, est né en 1947 à Porédaka, en Guinée. En 1969, il fuit le régime de Sékou Touré. C’est le début d’un exil qui le conduira au Sénégal, en Côte d’Ivoire, puis en France en 1973. Il devient docteur ès sciences en biochimie et va enseigner au Maroc et en Algérie. Tierno Monénembo publie son premier roman Crapauds-brousse chez Seuil en 1979. Avec son deuxième livre Les écailles du ciel, il obtient le Grand Prix de l’Afrique noire en 1986. L’œuvre de Tierno Monénembo est nourrie par ses origines peules et la thématique de l’exil
Bibliographie
Les Crapauds-brousse, éd. du Seuil, Paris, 1979
Les Écailles du ciel, éd. du Seuil, Paris, 1986
Un rêve utile, éd. du Seuil, Paris, 1991
Un attiéké pour Elgass, Paris, éd. du Seuil, 1993
Pelourinho, éd. du Seuil, Paris, 1995
Cinéma : roman, éd. du Seuil, Paris, 1997
L’Aîné des orphelins, éd. du Seuil, Paris, 2000
Peuls, éd. du Seuil, Paris, 2004
La Tribu des gonzesses (théâtre), Cauris éd., Paris, 2006
Le Roi de Kahel, éd. du Seuil, Paris, 2008. Prix Renaudot