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Apple : iBooks 2 et iBooks Author, simplicité et créativité pour l’édition scolaire

Par Ebouquin

Les rumeurs avaient vu juste (cf. Ars Technica), Apple a présenté une série de nouveaux produits qui ont les ingrédients pour changer durablement le monde de l’édition. Légèrement dépassé par ses concurrents du côté des ventes de livres numériques (cf. notre précédent article), la firme de Cupertino s’affirme plus que jamais comme l’innovateur et capable de mettre à disposition du plus grand nombre des outils de publication et de lecture uniques. Ce nouvel écosystème d’édition repose sur quatre piliers : iBooks (qui passe en version 2), l’iBookstore (qui gagne une section “Manuels”) ainsi que le tout nouveau iBooks Author et l’application iTunes U.

Avec de tels produits, Apple propose une solution de publication intégrée principalement destinée à l’éducation, mais qui ne manquera pas de faire des émules dans le monde de l’édition grâce à la polyvalence et la simplicité des outils proposés. Si l’édition scolaire et universitaire a rencontré, ce soir, le levier de sa révolution, l’onde de choc est suffisamment puissante pour toucher l’ensemble du secteur. Pour comprendre ces enjeux, un passage en revue de l’ensemble des nouveautés est nécessaire.

iBooks passe la seconde

Apple a entamé sa présentation par le lancement d’une nouvelle version d’iBooks, numérotée 2.0. L’interface de la bibliothèque ne change pas et garde ses étagères en « bois ». Ce sont les contenus lisibles par l’application qui changent radicalement. Comme l’annonçait AppleInsider quelques heures avant l’annonce officielle d’iBooks 2, Apple semble s’être fortement inspiré du travail de la société Push Pop Press et de sa fameuse application de l’ouvrage d’Al Gore (cf. notre précédent article).

Quelques mois après le rachat de la société par Facebook, les deux fondateurs de l’entreprise avaient été des développeurs clés dans l’élaboration des applications de l’iPhone et de l’iPad et notamment… iBooks. Autant dire que la technologie de Push Pop Press avait dû naître dans les locaux d’Apple. Si l’un des confondateurs de l’ancienne entreprise pointe la ressemblance avec amusement sur Twitter, AppleInsider publie d’autres informations indiquant que Steve jobs aurait mis en garde Mike Matas de quitter Apple pour créer une technologie d’édition numérique employant des éléments brevetés par Apple. Le rachat particulièrement rapide de Push Pop Press par Facebook (pour son équipe et vraisemblablement pas pour sa technologie) expliquerait cette affaire.

Pour découvrir les nouvelles capacités d’iBooks, Apple propose gratuitement au téléchargement un manuel de biologie, rédigé par le professeur émérite E. O. Wilson. Après le téléchargement de 965 Mo de données (les utilisateurs d’iPad 16Go ne vont guère apprécier…), on se rend compte des similitudes avec la solution de Push Pop Press. Navigation en mode paysage (ou en portrait, mais au prix d’une mise en page plus légère), contenus interactifs et manipulables grâce au multitouch, animations 3D, quizz interactifs, etc.

Avec ce nouveau lecteur, Apple se donne les moyens de son ambition : révolutionner l’univers des manuels scolaires. Phil Schiller, vice-président du marketing chez Apple, a exprimé le souhait de rompre avec les codes du papier. Ainsi, l’enrichissement multimédia et le multitouch sont au coeur de cette nouvelle interface de lecture. Les éditeurs vont pouvoir enrichir leurs contenus de vidéos, d’audio, mais aussi y intégrer un glossaire tout à fait performant qui se rapproche plus d’une base de données que de l’outil qui complétait les manuels papiers. La plus value par rapport au papier est indéniable et Apple ringardise par la même occasion les manuels numériques au format PDF

Parmi les nouveautés qui touchent tous les contenus, l’amélioration du système de prise de notes est la plus notable. Il suffit de glisser son doigt sur le texte pour le sélectionner et créer une note tandis qu’elles peuvent être imprimées ou exportées par email. Une fonction permet aussi de les transformer en « flash cards » pour faciliter la mémorisation. Malheureusement, toujours pas de fonction de partage sur les réseaux sociaux ni les réseaux de lecteurs. Il est très probable qu’Apple attende de sortir son réseau propriétaire (à la manière de Ping pour la musique) pour que les lecteurs puissent bénéficier de telles fonctionnalités.

iBookstore, des manuels scolaires à des prix abordables

Ces nouveaux contenus, différents des EPUB classiques, ont le droit à une section dédiée sur l’iBookstore (américain uniquement). Pour l’instant, les manuels enrichis ne sont pas légion et on compte huit titres : deux livres de biologie, algèbre, géométrie, physique, chimie, environnement, ainsi que l’ouvrage gratuit « Life on earth » de E.O. Wilson. Pearson et McGraw-Hill sont les deux premiers éditeurs à faire partie de l’aventure et ils devraient être rejoints très prochainement par l’un de leurs confrères, les éditions Houghton Mifflin Harcourt.

Apple a également fait un effort important sur les prix : un manuel scolaire papier peut parfois dépasser les 100 $ en moyenne aux États-Unis, mais cette offre numérique établit un nouveau prix de référence : 14,99 $ (ou inférieur). Les livres sont acquis par l’utilisateur et non pas accessibles en streaming ou loués. Impossible de les revendre également car ils restent liés à votre compte iTunes. Avec ce modèle commercial, Apple propose une offre plus claire pour le consommateur que celle d’Amazon et surtout, beaucoup plus abordable. D’ailleurs, les établissements pourront acheter ces manuels pour les étudiants par le Volume Purchase Program (comme ils le font déjà pour les applications et les autres contenus).

L’offre de location d’Amazon (cf. notre précédent article) perd de son intérêt : d’un côté, la firme de Seattle propose des manuels le plus souvent en PDF (ou format Kindle) avec des rabais plus ou moins intéressants, de l’autre Apple offre des manuels enrichis avec un prix unique de 14,99 $. Amazon garde cependant l’avantage du catalogue, bien plus fourni que chez Apple, mais cela s’est fait au prix de l’optimisation et de l’interactivité.

Avec ces manuels, Apple souhaite fournir du contenu aux 1,5 millions d’iPad utilisées dans le monde de l’éducation. Presque deux ans après la sortie de la tablette, les établissements scolaires ont adopté en nombre le nouvel outil d’Apple. Cependant, sans contenus appropriés, l’iPad perd de son intérêt. Il y a quelques mois, nous avions pu interviewer la direction de l’ESC Grenoble au sujet de sa classe innovation iPad. Parmi les manques relevés : l’absence de contenus optimisés pour la tablette. Grâce à iBooks 2 et ce nouvel iBookstore, la situation pourrait bien changer.

iBooks Author, l’auto-édition à la portée de tous

Reste qu’il faut disposer des outils pour concevoir de tels contenus. Comme avec GarageBand pour iTunes, Xcode pour le développement iOS, Dashcode pour les widgets et iAd Producer pour les publicités, Apple a développé un logiciel de création d’ebooks enrichis, iBooks Author (Mac OS X uniquement). À la croisée de Keynote et de Pages, l’utilisateur habitué aux interfaces Mac retrouvera facilement ses marques. Les plus anciens utilisateurs trouveront que l’interface et la simplicité d’utilisation rappellent beaucoup le feu Claris Homepage ou le bon vieux HyperCard.

WYSIWIG est le mot d’ordre. iBooks Author est un outil de création polyvalent qui s’adressera aussi bien aux étudiants, aux enseignants qu’aux éditeurs. Comment Apple peut s’adresser à ces trois publics différents ? En proposant un outil simple et surtout… gratuit ! Il y a encore quelques heures, concevoir un ebook enrichi nécessitait de lourdes compétences en langages web ou de savoir utiliser l’une des coûteuses suites de PAO comme InDesign ou Quark.

D’ailleurs, les contenus créés n’ont plus grand-chose à voir avec des livres. On se rapproche plus de sites web que des ebooks que nous avons pu voir jusqu’à présent. Au coeur de ces contenus, un nouveau format, le .ibooks (Doctype XHTML+XML). Derrière cette extension se cache ni plus ni moins qu’une grande partie de l’EPUB 3.0. Une telle proximité qu’il suffit de changer l’extension .ibooks en .epub pour rendre le fichier lisible par Adobe Digital Editions (mais au prix de la mise en page et des fonctions enrichies et multitouch, plus proche d’un EPUB 1.0 ou EPUB 2.0 que la mise en forme élaborée d’iBooks).

Parmi les nouveautés, on remarquera le support complet du SVG qui permettra aux contenus chargés d’images de s’adapter facilement à d’autres résolutions d’écran (notamment l’hypothétique iPad 3 et son écran Retina). L’auteur peut ajouter à son contenu des contenus enrichis sous forme de bloc (HTML/Javascript, images interfactifs, quizz, élément 3D etc.). En revanche, la feuille de style CSS générée par iBooks Author n’est pas du tout conforme au standard et rendra la mise en page illisible sur d’autres terminaux EPUB que l’iPad et l’iPhone. Baldur Bjarnason liste toutes les différences avec l’EPUB 3 sur son blog.

L’EPUB est au centre de l’écosystème iBooks mais beaucoup de fonctions propres à Apple l’éloigne du standard, n’aidant pas sa promotion et sa cohésion du standard. iBooks Author vient servir Apple plus que l’EPUB. Ce logiciel est tellement centré sur l’écosystème iBooks que cela se reflète dans les conditions générales du programme. ZDNET a relevé (relayé par iGeneration) la clause suivante :

[…]Conformément à la présente licence et à condition que vous respectiez les termes de celle-ci, votre travail peut être distribué comme spécifié à continuation :
(i) si celui-ci est proposé gratuitement (sans frais), votre travail peut être distribué par tous les moyens disponibles ; (ii) si celui-ci est proposé contre paiement (y compris sous forme de partie d’un produit ou d’un service accessible par abonnement), votre travail peut être distribué uniquement via Apple et une telle distribution est sujette aux limitations et aux conditions spéciales[…]

Autant dire qu’Apple n’entend pas que son outil de création profite au reste du marché. Gizmodo revient plus en détails sur cette limitation importante (mais je ne pense pas qu’elle fasse perdre son intérêt à iBooks Author). D’une certaine manière, la commercialisation exclusive sur iBookstore peut se justifier : aujourd’hui seul l’iPad est capable de lire un contenu de ce type…

iBooks Author intéressera sûrement les enseignants et les éditeurs en premier lieu. Pourtant, le logiciel a tout d’un outil grand public et nul doute que des créatifs ne manqueront pas de créer des contenus originaux avec une simplicité étonnante. Comme avec Xcode pour le développement sur iOS, Apple propose une solution clé en main pour tout utilisateur désireux de concevoir un livre numérique. La concurrence est en retard sur les aspects de création de contenu, seul Amazon avec la KDP propose un outil simple mais dont les fonctionnalités sont encore limitées. L’auto-édition a de beaux jours devant elle…

iTunes U, l’arme de séduction à destination des universités

En 2007, Apple lançait iTunes U, une section de l’iTunes Store dédiée au monde universitaire. En toute simplicité, les établissements ont pu déposer de façon automatique les cours de leurs enseignants (en audio ou en vidéo, mais aussi en PDF) pour les rendre accessibles aux étudiants, mais aussi à tous les utilisateurs d’iTunes. À une période où l’iBook puis le MacBook étaient l’outil utilisé au quotidien préféré des étudiants, l’intégration d’iTunes U dans le jukebox d’iTunes faisait sens. Aujourd’hui, l’iPad est le produit le plus demandé par les étudiants et Apple donne plus d’autonomie à iTunes U en le lançant sous forme d’application iOS (à télécharger sur l’App Store).

Depuis iTunes U pour iOS, un étudiant peut s’abonner à des cours (sous différentes formes, vidéo, audio ou texte), mais aussi gérer son emploi du temps. De son côté l’enseignant peut gérer sa classe, rappeler à ses étudiants un changement d’horaire, un travail à réaliser ou mettre à disposition des compléments de cours. Cet outil risque d’être très apprécié des universités qui peuvent installer un ENT (Environnement Numérique de Travail) à moindre coût puisque iTunes U est… gratuit ! Utilisable depuis l’iPhone et l’iPod Touch, l’outil ne se limite pas aux utilisateurs d’iPad.

L’iPad, un cartable numérique qui se remplit progressivement

iBooks devient progressivement un écosystème de lecture. Contrairement à ceux d’Amazon et de Barnes&Noble, celui d’Apple n’est pas centré sur un accès au plus grand nombre (par des ereaders lowcost), mais sur la qualité des contenus conçus spécialement pour une lecture numérique. Le monde de l’éducation est la cible la plus pertinente pour Apple : les enseignants et les étudiants vont générer des contenus de grande qualité, tandis que l’usage de l’iPad par les écoliers et les étudiants va en faire l’outil de prédilection de cette génération. En s’implantant dans les écoles et les universités, Apple séduit le client de demain et modèle les futurs usages des outils numériques.

Reste que l’iPad est encore un outil coûteux. On est bien loin du Kindle à 79 $ ou du Kindle Fire à 199 $. Pour élargir son marché, Apple annoncera sûrement dans les mois à venir des modèles plus abordables afin de mettre un iPad dans les mains de chaque étudiant (ce qui allègera leur sac à dos). Après le XO de One Laptop Per Child, Apple s’est fixé l’objectif de One iPad Per Child, en faisant le pari de la qualité des contenus. Il s’agit sans aucun doute du levier le plus pertinent pour arriver à ses fins, même si cela se fait au prix de l’interopératiblité.


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