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Melchiorre Gioia, économiste, membre du clergé et détenu

Publié le 21 janvier 2012 par Copeau @Contrepoints

La vie de Melchiorre Gioia aurait intéressé, sans doute, un romancier comme Pío Baroja ; mais je crains que son œuvre ne réveille pas plus d’enthousiasme parmi les économistes.

Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne

Melchiorre Gioia, économiste, membre du clergé et détenu
En 1796, la société d’Instruction publique de Milan lança un concours avec le joli titre « Laquelle des réformes possibles de gouvernement libre est la plus apte au bonheur de l’Italie ». Le vainqueur du concours fut un homme alors très peu connu. Il s’appelait Melchiorre Gioia, il était prêtre… et, au moment où le jury adopta sa décision, il était enfermé dans la prison de Parme. Les libéraux italiens affirmaient qu’il avait été emprisonné par le duc à cause de ses idées jacobines. Il ne fait aucun doute qu’il tenait beaucoup du jacobin, le révérend Gioia qui, dans le mémoire qu’il présenta au concours, défendit la thèse d’une Italie libre, républicaine, démocratique et indivisible. Mais l’argument qu’employèrent les autorités pour le mettre en prison fut plus simple : elles l’accusèrent – et il semble avec raison – de célébrer plus d’une messe par jour pour en tirer des bénéfices supplémentaires, ce que le droit canon prohibait, sauf dans des cas spéciaux ou si le prêtre avait obtenu une permission spéciale de l’évêque local. Mais, au final, on voit que le jeune prêtre – notre personnage avait alors seulement 29 ans – avait besoin de quelques revenus extras et pensa que la meilleure manière de les obtenir était de faire usage de son avantage comparatif et célébrer la messe un peu plus que permis.

On dit qu’il sortit de prison grâce à l’aide de Bonaparte, alors général, qui fit pression pour qu’il soit mis en liberté. Une fois dans la rue, il pensa qu’il serait meilleur de changer de profession. Il imprima ainsi à sa vie une toute nouvelle direction : il raccrocha la soutane et se consacra au journalisme et à l’étude des sciences sociales et de l’économie en particulier. Mais ses relations avec l’Église catholique seront toujours conflictuelles. À tel point que, des années après sa mort – qui eut lieu en 1829 – une bonne partie de son œuvre était incluse dans l’Index des livres prohibés.

Concrètement, l’édition de l’Index des livres prohibés de Grégoire XVI (qui fût pape entre 1831 et 1846) inclut rien moins que huit de ses ouvrages ; parmi ceux-ci celui qui est sans doute son livre d’économie le plus important : son Nuovo Prospetto delle Scienze Economiche qui compte six volumes et plus de 2.000 pages. Ce travail considérable fut publié à Milan entre 1815 et 1817. Et déjà en 1820 – sous le règne pontifical de Pie VII – le Vatican avait inscrit l’œuvre dans l’Index.

La vie de notre personnage fut bien aventureuse ; elle se déroula dans un pays en proie à de vives convulsions, dans une de ses époques les plus complexes et il se donna à fond dans l’activité publique. Au moins à deux reprises, il échouera en prison ; la première en 1799, et la seconde en 1820-1821 après avoir faire partie de la conspiration carbonariste contre l’occupation autrichienne de certains territoires et villes d’Italie.

L’œuvre économique de Gioia est très ambitieuse. Il eut un temps pendant lequel elle fut très appréciée. Un intellectuel de la taille de Silvio Pellico affirma que notre protagoniste avait été le penseur le plus éminent dans le domaine de la science économique de son époque en Italie. Mais il n’a pas résisté au passage du temps. Schumpeter définit ainsi son volumineux principal ouvrage : « Vous pouvez trouver des perles cachées sous un tas de déchet dont il est impossible de tirer profit », mais il est également vrai qu’il reconnut l’intérêt des données statistiques que son œuvre incluait et affirma que ce livre anticipa, sous certains aspects, les observations de Charles Babbage sur l’emploi des machines dans l’industrie.

La vie de Melchiorre Gioia aurait intéressé, sans doute, un romancier comme Pío Baroja ; mais je crains que son œuvre ne réveille plus d’enthousiasme parmi les économistes. Il ne fut pas non plus pleinement accepté par tous les penseurs italiens de l’époque. Une seule référence : le philosophe et théologien Antonio Rosmini (1797-1855), après avoir critiquer l’attitude excessivement complaisante de Gioia envers certains politiciens et puissants du moment, dit simplement de lui : « È un ciarlatano ». Ce qui n’est pas une bonne manière de passer à l’Histoire.


Article originellement publié par Libre Mercado.


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