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Crime de gratuité

Publié le 21 janvier 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Crime de gratuité

« Nous serons pauvres et nous souffrirons la misère aussi longtemps qu’il le faut, comme une ville assiégée qui n’entend pas capituler, mais nous montrerons que nous sommes quelque chose »

Vincent Van Gogh

Les autorités américaines ont décidé de fermer le site Megaupload, pour empêcher les artistes de mourir de faim comme le peintre aux tournesols, et aussi, mais c’est un peu moins avouable, pour que les industries puissent continuer à moissoner du blé sur le dos des créateurs. On a déja pourfendu dans un précédent article les propos d’un directeur de cinéma local qui craignait que les pirates du Web ne saignent les réalisateurs jusqu’à la dernière pellicule, n’était la vigilance du preux chevalier Hadopi qui veille sur les muses comme les Thénardier sur Cosette. Comme le disait Antonin Artaud dans « Van Gogh, le suicidé de la société », on peut quand même se demander si parfois la médecine n’invente pas la maladie pour justifier une forme de contrôle social qui définit le périmètre de liberté à ne pas dépasser pour justement protéger la liberté. Un peu comme les bouteilles de vin qui portent la mention « à consommer avec modération », mais surtout à consommer pour ne pas faire de peine au lobby du pinard.

Citons également Cioran qui disait que si l’on essaie d’être libre, on mourra rapidement de faim. On pourra rétorquer au vieux dépressif (qui a quand même vécu 84 ans en daubant sur l’inutilité de la vie) qu’on peut aussi mourir de faim sans avoir eu l’occasion d’exercer le moins du monde sa liberté, mais il faut avouer que son adage est particulièrement vrai pour ceux qui veulent vivre de leur art. Car aujourd’hui, le talent se mesure aux nombres de disques/livres/places de ciné vendus, sans que le moindre critère d’intégrité n’entre en ligne de compte. C’est ainsi que le classement des dix auteurs les plus vendeurs de France comportent neuf ténors de la littérature de gare, pauvre Amélie Nothomb perdue dans ce troupeau nourri aux éditions Harlequin, et que la chanson française qui a la chance de bénéficier d’une exposition médiatique conséquente est aussi sinistrée que la Vendée après la tempête Xinthia, ou encore que Dany Boon a pu se payer des K-way brodés en la meilleure soie de Thaïlande en faisant passer ses compatriotes pour des ploucs. Procédé classique du système économique qui prévaut de par le monde: le nivellement par le bas, le court terme qui fait couler le cash, la profusion de produits qui se ressemblent comme deux gouttes de schnapps pour donner l’illusion du choix. Qu’on se comprenne bien: loin de moi l’idée de traiter le public de gogols aussi illétrés que les écrivains charitablement non cités quelques lignes plus hauts, mais la recherche d’autres saveurs en matière artistique est une démarche ardue, et pour être curieux, il faut en avoir le temps et au moins le commencement de la bobine qui révèlera ses merveilles au fur et à mesure qu’on tirera sur le fil.

Dès lors, qu’opposer aux dépositaires du médiocre, du moyen, du bof, du chiantissime, du surgelé qui vendent du divertissement aussitôt avalé aussitôt restitué au trône de faïence pourtant si propre aux longues méditations préalables à la naissance d’une oeuvre? Allons nous laisser les multiples disciplines de la créations aux tenant du développement durable qui n’aiment le vert que sur les billets de banques? Sans doute que non, sinon pourquoi m’embêterai-je à chercher de jolis mots si c’était pour vous laisser dans le doute et l’expectative, avec la cruauté de grossiers Merkozy qui gagneraient à relire Artaud plutot que Cioran. La reflexion sur ce sujet m’est venue du court dialogue que j’ai eu avec Môssieur Louis au sortir de l’enregistrement du « Mercredi c’est Graoully », sur la dématérialisation des supports musicaux au bénéfice de la scène. (voilà un garçon qui ne transige pas avec l’intégrité et que je vous encourage à écouter). Alors que les maisons de disques perçoivent la chute des ventes de disques comme une catastrophe, on peut adopter un point de vue totalement différent et considérer qu’il s’agit d’une chance, car la musique est avant tout un spectacle vivant. La démocratisation des moyens de production permet à tout un chacun de composer, en remettant au goût du jour le DIY (do it yourself) chers aux punks de toutes les obédiences, et de proposer son travail à qui en voudra, ce qui est valable aussi pour le cinéma, et l’interdisciplinarité peut même favoriser des créations à plusieurs mains éloignées d’un océan.

Et là, si vous êtes arrivés jusqu’à ce paragraphe sans bailler, vous pourrez vous demander pourquoi je vous gonfle le neurone esthétique avec des choses que vous savez déja, et qui ne ressusciterons pas le défunt Megaupload alors que la saison 8 de Desperate Housewives tarde à venir en France. Et bien parce que la fermeture des maisons closes, qu’elles soient d’édition, de production, ou de disques, n’entraînera jamais la fin de la création, et que ce qui est valable pour l’art et aussi valable pour le reste de la société: la rupture du lien marchand qui asservit, qui rabote le génie du démiurge et aseptise la saveur du pinard et de la tomate, qui génocide la paquerette et le hérisson en créant des immondes autoroutes pour d’horribles cercueils de tôle et qui nous enferme dans d’inutiles bureaux et usines pour nous empêcher de penser, n’est pas une fatalité mais le commencement de la vraie vie, de la grande santé et du gai savoir. Le renouvellement des rapports humains, qu’ils soient culturels ou sociaux, passent par la gratuité et la démythification de l’art pour rendre l’élitisme accessible à tous, et c’est bien ce qui gêne les institutions compétentes aux entournures du portefeuille.

En résumé, faites chier le FBI, soyez créatifs plutôt que productifs.


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