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Bonheurs et malheurs de la bourse.

Publié le 22 janvier 2008 par Renefoulon

"Krach boursier", "Lundi noir", ou "Correction brutale". Les commentaires des experts et des journaux économiques sur la situation actuelle des marchés financiers mondiaux sont pour le moins alarmistes, pour ne pas dire catastrophistes. Le vocabulaire employé rappelle, volontairement ou pas, le seul vrai krach des 100 dernières années, à savoir celui de 1929... Mais que vaut la comparaison ?

Je ne suis pas moi-même expert en la matière, mais il me semble évident qu'une différence fondamentale entre les deux situations interdit tout bonnement de faire le parallèle de manière crédible. Et ce n'est pas nécessairement rassurant. Après tout, l'économie mondiale a fini par se sortir de ce krach-là. Quid de ce que nous vivons aujourd'hui ?...

La grande différence provient d'un changement radical de l'économie mondiale qui s'est opéré, ou en tout cas qui s'est très fortement accentué, après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'Union Soviétique.
Jusqu'alors, le monde était partagé entre deux obédiences de quasi égale influence : le capitalisme libéral à l'ouest et le collectivisme pur et dur à l'est.
A l'ouest tout du moins, non pas deux systèmes mais deux conceptions d'un même système s'affrontaient, schématiquement de part et d'autre de l'Atlantique : en Amérique du Nord, et plus particulièrement aux Etats Unis, un capitalisme ultra libéral sans retenue, fondé sur les seuls intérêts capitalistiques, et  côté européen ce que l'on a pu appeler le "capitalisme rhénan", fondé pour l'essentiel sur le capitalisme libéral, mais en partie aussi sur le respect de l'élément humain.

Depuis la "chute du mur", le modèle collectiviste a quasiment disparu de la planète, au moins en terme d'influence. La seule grande nation qui se réclame encore de ce système est la Chine, pays dont l'influence mondiale va croissant mais qui tempère ses principes collectivistes à l'intérieur par des pratiques capitalistes vis à vis du monde extérieur. En tout état de cause, elle ne représente aucunement un modèle dans le monde, et donc l'équilibre des influences est rompu, au seul bénéfice des Etats Unis et de leur système économico-financier.

Et on est bien là au coeur du problème. Tant que le monde était coupé en deux, les influences contraires des deux blocs s'équilibraient à peu près. Aujourd'hui, rien ne freine l'arrogance et l'esprit de conquête (j'ai envie de dire l'esprit colonial) de la seule super puissance de la planète. Même l'empire romain au sommet de sa gloire n'exerçait pas une influence d'une telle ampleur sur le monde d'alors...

Je ne suis pas en train de faire l'apologie de l'ex Union Soviétique dont je ne suis absolument pas nostalgique, bien au contraire, chacun l'aura compris à la lecture de ce blog. Cependant, je regrette amèrement qu'aucune puissance dans le monde actuel, et singulièrement pas l'Union Européenne, qui aurait pourtant pu trouver là, enfin, une opportunité de peser sur la géopolitique si quelques irresponsables en France et aux Pays Bas n'avaient cru bon de réduire à néant ses plus grands espoirs, qu'aucune puissance donc ne soit capable de tenir tête à l'hégémonie d'un système qui mène l'économie mondiale à sa perte.

De quoi s'agit-il ? L'économie politique, et je ne vais bien sûr pas faire ici un cours dont je serais d'ailleurs bien incapable, est l'art d'organiser les flux monétaires entre les acteurs de la production de richesses dans le monde. En d'autres termes, il s'agit de rémunérer les efforts des acteurs de la vie économique, selon un schéma et sur des bases conventionnelles.
Parmi ces acteurs de l'économie, il y a les investisseurs, les producteurs, et les consommateurs.
Les investisseurs sont ceux qui utilisent leurs capitaux pour créer et faire fonctionner les entreprises créatrices de richesses, dans le but évident de faire fructifier leurs avoirs.
Les producteurs sont ceux qui créent ces richesses par leur travail rémunéré. Et je tiens à préciser que ces travailleurs ne sont pas uniquement les salariés des entreprises. Ils peuvent en être aussi bien les patrons. Il s'agit, de fait, de tous ceux qui, par leur travail, manuel ou non, produisent.
Les consommateurs sont en bout de chaîne ceux qui se procurent les richesses produites pour en profiter. Ils sont des acteurs majeurs de l'économie, puisqu'en acquérant les produits et les services, d'une part ils remettent dans le circuit les liquidités monétaires qu'ils ont acquises par l'investissement ou le travail, et d'autre part ils alimentent la demande à laquelle les entreprises répondront par une nouvelle production.

Cette mécanique, présentée comme cela, semble bien huilée, et tout devrait marcher "comme sur des roulettes", pour employer une expression populaire. Malheureusement, tout n'est pas si simple, côté investisseurs notamment. En effet, dans les grandes entreprises, un nombre plus ou moins important d'investisseurs est nécessaire, et pour ce faire le capital est constitué d'un certain nombre de parts, que l'on appelle les actions, et leurs propriétaires les actionnaires. L'intérêt des actionnaires est de deux ordres : d'une part le partage des bénéfices de l'entreprise, ce que l'on appelle les dividendes, et d'autre part l'augmentation de la valeur des actions, ce qu'on appelle les plus-values.
Pour ce qui est des dividendes, on comprendra facilement que leur montant est directement lié à la bonne marche de l'entreprise, et donc que l'actionnaire a tout intérêt à oeuvrer pour la bonne santé financière et économique de cette dernière.
Pour ce qui des plus-values, le problème est quelque peu différent. Pour permettre les nécessaires échanges d'actions entre les différents investisseurs, il existe dans le monde entier des marchés financiers, autrement appelés places financières, ou encore bourses de valeurs. Cela fonctionne naturellement sur le principe de l'offre et de la demande : plus il y a d'acheteurs potentiels d'une action donnée et plus sa valeur augmente ; plus il y a de vendeurs et plus sa valeur baisse.
Bien évidemment, plus l'entreprise est en bonne santé, mieux elle fonctionne, et plus il y aura d'acheteurs qui espéreront encaisser des dividendes conséquents. A l'inverse, si l'entreprise est dans une mauvaise passe, les actionnaires seront portés à vendre leurs actions pour en acheter d'autres d'entreprises plus "juteuses".

Jusque là, tout semble logique, et le système semble devoir exister sans trop de problème. De fait, il a fonctionné sans trop de heurts pendant plusieurs siècles, les principaux actionnaires étant dans les faits et dans l'énorme majorité des cas des familles possédantes qui investissaient leurs capitaux dans un secteur économique donné, secteur qu'ils connaissaient très bien et dont ils défendaient les intérêts avec conviction et avec vigueur au bénéfice de tout le monde dans leur région. C'étaient par exemple, pour ne citer qu'eux, la famille De Wendel dans la sidérurgie lorraine, ou la famille Boussac dans le textile dans le nord de la France.

Mais ce même système a son côté pervers, qui s'appelle la spéculation. Il s'agit pour certains investisseurs de "parier" sur une montée importante et rapide du cours d'une action, et d'en acheter une grande quantité en espérant les revendre rapidement et profiter ainsi d'une plus-value importante.
Il peut s'agir d'un jeu dangereux mais honnête dans le cas où l'évolution de l'action à la hausse est justifiée.
Il peut s'agir aussi d'une opération frauduleuse dans deux cas : soit l'investisseur était seul possesseur de certains renseignements "top secrets" de nature à faire monter le cours de l'action, et on parle alors de "délit d'initié", soit la prise de valeur est due au fait que beaucoup d'investisseurs parient en même temps sur de futurs résultats exceptionnels d'entreprises aujourd'hui déficitaires, et on parle alors de "bulle financière".
Dans le premier cas, c'est un délit puni par la loi. Dans le second cas, il y a un risque important que les bons résultats escomptés ne viennent jamais, auquel cas la plupart des spéculateurs revendront leurs actions dès qu'ils comprendront qu'il n'y a rien à en espérer, ce qui fera chuter d'un seul coup leur cours, et si le même phénomène se produit sur les actions d'un grand nombre d'entreprises différentes, c'est le cours général de la bourse qui s'effondre, et c'est ce qu'on appelle un krach boursier.

Un tel krach, c'est à dire l'effondrement rapide des cours de bourse, peut avoir aussi d'autres causes.
- Le krach de 1929 est consécutif à une bulle spéculative, qui commence vers 1927. La bulle est amplifiée par le nouveau système d'achat à crédit d'actions, qui depuis 1926 est permis à la bourse de New York. Les investisseurs peuvent ainsi acheter des titres avec un acompte de seulement 10 %. Le taux d'emprunt dépend du taux d'intérêt à court terme à la même bourse de New York ; la pérennité de ce système dépend donc de la différence entre le taux de plus-value des actions et ce taux d'emprunt. Suite à la hausse des taux d'intérêt en avril 1929, le remboursement des intérêts devient supérieur aux gains boursiers et de nombreux investisseurs sont alors contraints de vendre massivement leurs titres pour couvrir leurs emprunts, ce qui va pousser les cours à la baisse et déclencher une réaction en chaîne qui atteindra son apogée en septembre 1929.
- La "tempête" que nous connaissons aujourd'hui, et que je me refuse à appeler un krach, au moins pour l'instant, a un point de départ différent, mais répond à un mécanisme similaire. Aux Etats Unis, et depuis plusieurs années, les banques ont cru pouvoir consentir des prêts immobiliers à taux variables à n'importe qui ou presque. Le raisonnement consistait à dire que, le bien immobilier "cible" étant hypothéqué, le banquier ne risquait rien : en cas de défaillance de l'emprunteur, il suffisait de vendre le bien pour se rembourser. Ce système, outre qu'il était moralement inacceptable, dans la mesure où ces mêmes banquiers savaient très bien que les taux ne pouvaient qu'augmenter et qu'il allait falloir à coup sûr saisir l'habitation de nombre leurs de pauvres clients, a très vite montré ses limites. En effet, non seulement les taux ont augmenté plus que prévu, ce qui a empêché les emprunteurs de faire face à leurs échéances, mais le marché de l'immobilier s'est effondré dans le même temps, ce qui fait que les biens immobiliers hypothéqués n'ont plus la valeur suffisante pour couvrir les montants empruntés. Le résultat, outre que les emprunteurs se retrouvent "à la rue", ce sont des pertes d'un montant vertigineux pour les banques prêteuses.
Outre cela, les banques avaient inventé un système qui leur a permis de "revendre" à leurs homologues étrangères partout dans le monde, et en Europe notamment, sous forme d'obligations, les crédits qu'ils avaient consentis à leurs propres clients. C'est donc tout le système bancaire mondial qui subit aujourd'hui les effets négatifs de cette politique.

Restent deux questions : pourquoi je n'appelle pas ça un krach, et en quoi le capitalisme ultra libéral est-il en cause dans cette affaire ?
- Ce n'est pas un krach, et je reste persuadé que nous en sortirons assez vite, parce que les investisseurs, partout dans le monde, n'ont aucune raison de se défier de l'économie qui, à l'échelle de la planète, se porte à merveille : plus de 5 % d'expansion mondiale en 2007, plus de 6 % prévus pour 2008, ce qui ne s'était encore jamais vu. Seules deux zones sont menacées : l'Amérique et la zone dollar, puisque c'est le système bancaire américain qui est en première ligne dans cette dépression, et l'Europe qui est structurellement incapable de rebondir et de profiter comme elle le devrait sur les marchés émergeants de la faiblesse passagère des investisseurs américains. Mais je ne parle ici que de l'activité à l'international, et l'économie intérieure ne devrait pas souffrir outre mesure de ce petit séisme, protégée qu'elle est par un Euro fort qui la met à l'abri des ressacs de la zone dollar. Il faut bien que de temps à autre notre monnaie unique nous serve à quelque chose !
- Cette sombre affaire est l'exemple même des périls du capitalisme ultra libéral, c'est à dire du fait que les investisseurs ne sont plus aujourd'hui que des financiers, en oubliant d'être de vrais acteurs de l'économie.
Au siècle dernier (le 20ème encore), les gros actionnaires étaient pour la plupart, je l'ai expliqué plus haut, des industriels. Ils mettaient leurs capitaux dans leurs entreprises, ils avaient un projet industriel, et je dirais aussi un projet socio-culturel. On ne les appelait pas pour rien des "capitaines d'industrie" : ils avaient à coeur de réussir dans leurs entreprises, bien sûr, et c'est bien légitime qu'ils y préservent leurs intérêts, mais aussi de réussir la vie sociale et la vie locale. Ils étaient bien souvent des "notables" qui, d'ailleurs, s'impliquaient souvent dans la vie politique.
Aujourd'hui,  la plupart des investisseurs ne connaissent absolument rien aux métiers dans lesquels ils investissent. Ils le font d'ailleurs sans distinction dans n'importe quel secteur de l'économie, du moment où les plus values espérées correspondent à leurs attentes, n'ont plus aucun projet industriel et encore moins socio-politique, et n'hésitent pas à détruire le cas échéant des pans entiers de l'économie régionale, et même nationale parfois, dans le simple but de réaliser des profits à court terme. Je suis convaincu que c'est cette manière d'agir qui est à la base des opérations désastreuses qui ont conduit le système bancaire à sa perte outre-Atlantique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous connaîtrons les mêmes déboires si nous laissons nos actionnaires agir avec la même désinvolture en Europe.
Je suis foncièrement libéral, et je ne vais pas refaire ici l'exposé de ma façon de penser à ce sujet, mais le libéralisme économique n'est pas synonyme de comportement aveugle et d'absence de vision à long terme. J'ai envie de dire "au contraire"...


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