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Jeanne d'Arc, Jeanne La Flamme, Jeanne de Penthièvre : à chacun sa Jeanne ?
Publié le 07 janvier 2012 par JyletouzeEn ces temps d'élections, revoilà sur le devant de la scène médiatique un personnage bien connu des manuels scolaires, Jeanne d'Arc, protectrice de la France éternelle, sainte par la grâce de l’Église de France, héroïne de la République, icône du patriotisme bleu-blanc-rouge, célébrée par la gauche, la droite, l'extrême-droite successivement ou parallèlement ou en même temps, bref un vrai symbole de la francitude, comme aurait dit Ségolène.
Et Nicolas Sarkozy d'aller célébrer ce vendredi en Lorraine son 600e anniversaire, la mettant au même rang que les résistants de la seconde guerre mondiale, la qualifiant d'héroïne respectée par le monde entier (sic). Et demain ce sera au tour de Marine Le Pen de s'emparer de l'aura de la petite bergère lorraine venant au secours du Roi de France pour bouter l'étranger hors de l'hexagone.
Que dire ? Adolescent, j'étais toujours surpris de voir dans de nombreuses églises bretonnes des statues de type sulpicien de cette célèbre Jeanne d'Arc sans parler des paroisses Sainte-Jeanne d'Arc de ci de là comme à Lorient. Mais qu'avait donc fait cette Jeanne pour être autant honorée ? Et de lire son épopée libératrice se terminant sur un bûcher allumé par ces perfides Anglais. Et la Bretagne dans tout ça ? Rien ou quasiment rien à part notamment un Gilles de Rais combattant aux côtés de la pucelle. En résumé, cette Jeanne d'Arc doit sa présence en Bretagne à la domination mémorielle, historique, culturelle et politique française. On est pour, on est contre, mais c'est un fait.
Car que dire alors de l'oubli quasi-total de nos Jeanne bretonnes qui ont bataillé pour sauvegarder la Bretagne des appétits anglais et le plus souvent français ? Pas de statues, pas de paroisses ou si peu, des vitraux, quelques rues, un quasi oubli, un trou noir dans la mémoire bretonne… J'exagère à peine vu la méconnaissance historique de nos compatriotes, l'absence d'enseignement de notre histoire.
Alors voilà Jeanne de Flandres (1295-1374), Duchesse de Bretagne, épouse de Jean de Montfort, qui lorsque son époux se retrouve emprisonné par les Français, reprend le flambeau de la lutte contre le parti français avec l'épisode longtemps célébré de la défense de la ville d'Hennebont face aux troupes de Charles de Blois en 1342. Exhortant les Hennebontais à défendre leur ville, Jeanne surnommée la Flamme détruira par le feu le camp français et reviendra d'Auray avec de nouvelles troupes pour conforter la défense d'Hennebont. L'arrivée par le Blavet d'une flotte anglaise avec 2.000 archers obligera les troupes de Charles de Blois à lever le camp. Voilà un épisode de notre histoire plein de fougue, de douleur, d'héroïsme, de souffrances tout à fait remarquable où notre Jeanne la Flamme a joué un rôle primordial. S'en souvient-on en dehors d'Hennebont (et encore…) ? Eh bien non, alors que le siège d'Orléans avec sa pucelle fait partie des classiques de nos écoles… Cherchez l'erreur !
On peut aussi parler d'une autre Jeanne, Jeanne de Penthièvre (1319-1384), épouse de Charles de Blois, qui, des années durant, s'opposa à Jeanne la Flamme dans cette guerre des deux Jeanne, forte de son droit au trône de Bretagne. Pourtant soutenue par les Français durant toutes ces années de guerre, Jeanne de Penthièvre fut au premier rang de la résistance aux tentatives d'annexion de la Bretagne par le roi français Charles V en 1379 et soutint le retour d'exil de Jean IV le Duc de Bretagne légitime, pour faire face aux manœuvres françaises. Se souvient-on d'elle ? Que nenni, là encore la mémoire bretonne s'est évanouie remplacée par le catéchisme historique français.
Alors, il me semblait important en ce jour de rappeler la mémoire de nos deux Jeanne alors que nos voisins d'outre-Couesnon (ou une partie d'entre eux) célèbrent leur Jeanne. Non pour faire de la surenchère politicienne ou pour rentrer dans une course malsaine du genre ma Jeanne est meilleure que la tienne ou pour reconstruire une histoire fantasmée plus ou moins xénophobe, mais tout simplement pour souligner l'importance de l'histoire et de son enseignement pour la pérennité et le développement de notre culture, de notre pays. Et il y a urgence.
Pour en savoir plus sur le siège d'Hennebont
illustration: miniature représentant Jeanne La Flamme accueillant la flotte anglaise à Hennebont.