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Primaires américaines : la longue marche des Démocrates

Publié le 06 mars 2008 par Lbouvet

Le « mini » Super Tuesday (primaires dans l’Ohio, le Texas, le Vermont et le Rhode Island) qui vient d’avoir lieu, le mardi 4 mars, n’a pas mis un terme à l’affrontement entre Hillary Clinton et Barack Obama dans la course à l’investiture démocrate. Bien au contraire puisqu’Hillary Clinton a réussi son pari de « revenir » dans la course en gagnant le combat dans ces deux gros pourvoyeurs de délégués que sont le Texas et l’Ohio en vue de la convention démocrate qui doit se tenir à Denver au mois d‘août –Clinton a aussi gagné dans le Rhode Island alors qu’Obama l’a emporté dans le Vermont. Mais plutôt que la victoire nominale d’Hillary Clinton (étroite au Texas, plus large dans l’Ohio) dans cette énième manche du match entre les deux candidats, ce sont les conséquences de celle-ci qui importent.

La première chose qui saute aux yeux à la lecture des résultats est qu’ils sont ambivalents. Si Hillary Clinton l’a incontestablement emporté, elle n’a pas pour autant réussi à rattraper son retard en nombre de délégués (pledged delegates). Ce qui a deux conséquences immédiates.

Les « super-délégués » (superdelegates) vont donc jouer un rôle majeur dans la désignation. Ces quelques 800 grands élus et officiels du Parti démocrate ont le droit de voter librement à la convention pour la désignation du candidat. La décision finale leur appartiendra pour la première fois depuis 1984, l’année où Walter Mondale l’avait emporté face à Gary Hart avant de se faire battre par Ronald Reagan lors de la présidentielle. Les super-délégués n’ont pourtant pas été créés, en 1982, pour départager les candidats lors de la convention mais plutôt pour tempérer l’ardeur populiste de la base démocrate et permettre, malgré les primaires, à l’appareil démocrate de garder un œil si ce n’est la main sur le processus de désignation. Cette année, le débat autour des super-délégués est particulièrement vif. Obama explique en effet que ceux-ci ne peuvent qu’aller dans le sens du « vote populaire » et donc conforter le gagnant des primaires – celui qui est en tête en nombre de délégués et de voix, c’est-à-dire lui-même pour le moment. Pour contrer cet argument, qui trouve un large écho dans le parti (les deux-tiers des votants lors des primaires du 4 mars déclarent que les super-délégués doivent suivre le vote populaire), Hillary Clinton insiste quant à elle sur le fait que tous les électeurs démocrates doivent avoir le droit de s’exprimer – dans les primaires qui restent à venir jusqu’en juin –, et qu’il serait donc paradoxal de voir les super-délégués se déclarer dès maintenant en faveur d’Obama sur la base de son avance électorale. Mais à paradoxe, paradoxe et demi, puisqu’Hillary Clinton aura besoin des voix de la majorité des super-délégués pour espérer l’emporter lors de la convention de Denver. Il lui faudrait en effet, pour rattraper Obama dans les urnes en nombre de délégués simples, gagner toutes les primaires restantes avec plus de 20 points d’avance ; ce qui est, sauf accident, impossible compte tenu de la méthode proportionnelle de répartition des voix dans les primaires démocrates.

Deuxième conséquence du succès relatif d’Hillary Clinton le 4 mars : la campagne interne sera longue, très longue. Bien plus que prévu par les deux camps en tout cas. Hillary Clinton espérait en avoir fini début février grâce au Super Tuesday, elle avait concentré l’essentiel de ses moyens financiers sur cet objectif, ce qui explique en partie qu’elle ait eu plus de mal à lever des fonds depuis, alors que Barack Obama n’espérait certainement pas quant à lui aller jusque-là, ce qui explique ses difficultés à préciser un programme qui n’avait pas été vraiment élaboré. Mais c’est bien Hillary Clinton qui a intérêt à ce que la campagne dure le plus longtemps possible puisqu’elle est devenue en quelques semaines le challenger d’Obama, celui-ci ayant inversé la situation initiale grâce à ses succès à répétition dans les primaires depuis le 5 février – il a remporté 11 primaires d’affilée au cours du mois de février. Ce temps additionnel redonne espoir au camp clintonien. La candidate va en effet pouvoir, malgré des chiffres et une dynamique jusqu’ici favorables à son adversaire, continuer de tenter de convaincre qu’Obama n’est pas le bon candidat démocrate à l’élection présidentielle contre le Républicain John McCain qui lui est désormais sûr d’être investi après ses ultimes victoires le 4 mars face à Mike Huckabee qui s’est désormais rangé à ses côtés. Hillary Clinton va donc pouvoir déployer ses arguments contre son adversaire dans les semaines qui viennent. Ils relèvent de deux catégories : Barack Obama n’est pas un bon candidat démocrate et il n’est pas non plus un bon candidat pour l’élection présidentielle en général.

Obama n’est pas un bon candidat démocrate pour une raison essentielle : il n’est pas capable de mobiliser la base électorale de son camp sur les enjeux essentiels de l’élection. L’argument de Clinton repose essentiellement sur sa capacité d’attirer le vote des « bread-and-butter blue-collar » ou des « working-class white men », ces hommes blancs des classes populaires, à faible niveau d’étude ou de qualification, occupant des emplois industriels. Ceux, précisément, qui se sont exprimés majoritairement en sa faveur lors des primaires, notamment dans les grands états industriels – sauf dans le Wisconsin et le Missouri où Obama l’a emporté auprès de ces catégories et malgré le fait que leur poids relatif dans la population totale diminue au point que cette année, pour la première fois dans l’histoire électorale américaine de l’ère industrielle les blue-collar whites ne seront plus majoritaires dans l’électorat (1). Et comme ce sont les questions économiques et sociales qui sont désormais au cœur de l’élection (pouvoir d’achat, emploi, assurance maladie…), cet électorat est primordial pour les Démocrates. Les trois-quarts des votants dans l’Ohio ont ainsi déclaré, dans les sondages de sortie des urnes, être préoccupés par la situation financière de leur famille. L’attaque lancée par Clinton contre Obama, il y a quelques jours, sur l’ALENA (l’accord de libre-échange nord-américain qui est accusé d’avoir encouragé les délocalisations et le déclin industriel américain) a d’ailleurs porté ses fruits. Le principal conseiller économique d’Obama, Austan Goolsbee, professeur à l’Université de Chicago, a en effet déclaré à des diplomates canadiens lors d’une rencontre qui aurait dû rester secrète que les positions hostiles à l’ALENA de son candidat n’étaient finalement qu’une posture électorale nécessaire dans le cadre de la campagne. Bref, Obama serait avant tout, comme il a été dit et répété ces dernières semaines par les clintoniens, le candidat des upper-middle-class « wine » Democrats (en clair des bobos diplômés du supérieur et amateurs de vin) alors que Clinton serait la représentante des working-class « beer » Democrats (des ouvriers et des employés modestes peu diplômés et buveurs de bière)… sous-entendu les « vrais » Démocrates !

Mais Barack Obama n’est pas seulement, aux yeux d’Hillary Clinton, un plus mauvais démocrate qu’elle, il est aussi un bien plus mauvais candidat pour l’élection présidentielle. D’abord parce qu’il n’est pas capable de gagner dans les grands états, ceux qui rapportent beaucoup de grands électeurs pour le scrutin final puisque c’est elle qui les a « remportés » lors des primaires (California, New-York, New Jersey, Texas, Ohio…). Hillary Clinton a même tenu à préciser dans son discours de victoire le 4 mars qu’aucun candidat à l’élection présidentielle, démocrate ou républicain, n’avait été élu depuis bien longtemps sans avoir remporté les primaires de l’Ohio. Même si Obama a su gagner des états stratégiques pour l’élection finale, tels que le Wisconsin ou le Colorado par exemple, et qu’il a été capable de gagner d’un bout à l’autre du pays : Nouvelle-Angleterre, Midwest, Sud, Ouest… Deuxième argument anti-Obama : il n’a jamais eu à se battre réellement dans l’adversité d’une campagne camp contre camp alors que Clinton se présente comme une spécialiste du combat politique depuis trente ans – elle joue d’ailleurs beaucoup de son aura de come back girl dans cette campagne puisque par trois fois elle a su revenir dans la course. Dans la perspective de la prochaine « grosse » primaire, le 22 avril, en Pennsylvanie, l’argument du combat au corps-à-corps, celui qui réclame le plus de qualités va être beaucoup utilisé par l’équipe d’Hillary Clinton puisque c’est dans ce combat-là que se révèlent les qualités de leur candidate ; notamment sa capacité à aller chercher la victoire par tous les moyens – y compris les plus triviaux – et pas seulement en faisant de « beaux discours » et en rassemblant dans grandes foules acquises d’avance. Enfin, ultime argument soulignant l’absence de stature présidentielle de Barack Obama : il n’a aucune expérience du pouvoir exécutif et n’a pas les qualités requises pour devenir le Commander-in-chief du pays. La publicité diffusée par Hillary Clinton au Texas (dite du « 3 a.m. phone call ») avant les primaires du 4 mars sur ce thème est éclairante : il est 3 heures du matin et le téléphone sonne à la Maison-Blanche pour annoncer qu’un événement grave vient d’arriver dans le monde, et sur fond d’image d’une enfant qui dort, la voix-off demande au téléspectateur : qui voudriez-vous qui décroche le téléphone ? Quelqu’un de compétent et d’expérimenté face aux défis du monde contemporain ou non ?

La campagne des primaires est donc loin d’être terminée. Mais malgré les préventions de beaucoup de Démocrates quant au risque qu’elle soit trop longue et trop dure, alors que le candidat républicain est d’ores et déjà désigné, il semble que les deux prétendants tout autant que l’organisation du Parti démocrate elle-même, par la voix de son président, Howard Dean, ne soient pas trop inquiets. L’intérêt médiatique ne va pas décroître, loin de là, les sympathisants vont rester mobilisés, les arguments vont continuer de s’affûter et la démocratie ne s’en portera finalement pas plus mal. Ca tombe bien car les Américains, après huit ans d’Administration Bush, n’attendent que ça.

(1) Voir l’article de Peter Beinart, ‘Courting Joe six-Pack’, Time, March 3, 2008, p. 17


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