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Conte soufi : Le Serpent et le Paon

Publié le 29 janvier 2012 par Unpeudetao

   Adi, surnommé le Calculateur, parce qu’il avait appris les mathématiques, n’était encore qu’un jeune homme quand il décida de quitter Boukhara et de partir en quête de la connaissance supérieure. Son maître lui conseilla d’aller vers le sud et d’étudier la symbolique du paon et du serpent.
   Ce qui donna au jeune Adi matière à réfléchir.
   Il traversa le Khorassan et poursuivit son voyage jusqu’en Irak. Au hasard de ses pérégrinations, il tomba sur un paon et un serpent en grande conversation.
   « Nous débattons la question de nos mérites respectifs, lui dirent-ils.
   -- C’est précisément ce que je veux étudier ! s’exclama Adi, qui les pria de bien vouloir continuer.
   -- J’estime être le plus important, dit le Paon. Je représente l’aspiration, l’envol vers les cieux, la beauté du monde d’en-haut, et par là même la connaissance des choses supérieures. Ma mission est de rappeler à l’homme, en les mimant sous ses yeux, les aspects cachés de son être.
   -- Moi aussi, dit le Serpent avec un léger sifflement, je renvoie à l’homme sa propre image. Comme lui, je suis attaché à la terre. Ainsi, je lui rappelle ce qu’il est. Comme lui, je suis flexible, je progresse sur le sol en serpentant. Cela aussi, il l’oublie souvent. Enfin, par tradition, je suis le gardien des trésors cachés.
   -- Mais tu es détestable ! cria le Paon. Tu es sournois, dissimulé, dangereux.
   -- Tu dresses la liste de mes caractéristiques humaines, dit le Serpent, alors que je préfère énumérer mes autres fonctions, comme je viens de le faire. Et maintenant, regarde-toi ! Tu es vaniteux, trop gras ; tu pousses des cris discordants ; tu as de grosses pattes, des plumes trop voyantes… »
   C’est ici qu’Adi interrompit la conversation.
   « Votre désaccord m’a permis de voir qu’aucun de vous n’a tout à fait raison. Et pourtant, il est clair, si on laisse de côté vos préoccupations personnelles, qu’ensemble vous composez un message pour l’homme. »
   Adi expliqua alors aux deux adversaires, attentifs, quelles étaient leurs fonctions.
   « L’homme rampe sur le sol comme le Serpent. Il pourrait s’élever vers les sommets tel l’oiseau. Mais, avide comme le Serpent, il conserve son égoïsme quand il tente de s’élever, et devient comme le Paon : arrogant. Le Paon nous fait entrevoir ce qui est possible à l’homme, mais c’est un « possible » qui n’est pas correctement réalisé. Le chatoiement de la peau du Serpent nous fait entrevoir la beauté possible. Chez le Paon, elle prend un tour ostentatoire. »

Alors Adi entendit une Voix au dedans de lui : « Ce n’est pas tout, dit la Voix. Ces deux créatures sont dotées de vie : pour l’une et l’autre, c’est le facteur déterminant. Elles se disputent parce que chacune s’est accommodée de son mode d’existence, pensant qu’il constituait l’accomplissement de sa véritable condition. L’une garde des trésors mais ne peut s’en servir. L’autre reflète la beauté, qui est en elle-même un trésor, mais ne peut se transformer à travers elle. Bien qu’elles n’aient pas profité de ce qui leur était accessible, elles en sont malgré tout le symbole pour ceux qui savent voir et entendre. »

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