Magazine Cinéma

Voler c’est mal, merci papa (Part 2)

Par Raoulvolfoni

Débute alors le quart d’heure des gardiens.

Ils nous font poser sur la table les disques. Pendant que l’un totalise les prix, l’autre se moque de nos choix. Je savais que ce serait dur mais s’entendre dire que Tarzan Boy c’est de la daube ça fait mal quand même. Le décompte et la moquerie terminés, arrive l’heure de la sentence. Le plus âgé des gardiens nous énumère alors les articles du code pénal ainsi que la peine encourue. S’en est fini de nous. Fernand et moi allons passer nos deux prochaines semaines nourris, logés et blanchis dans la pire des zones pénitentiaires jamais construite.

Laissant son discours produire son effet (et ça marche, j’en tremble encore), le gardien nous regarde sans rien dire pendant quelques minutes avant de nous proposer une alternative. « Si un de vos parents vient vous chercher et paie les disques, nous passons l’éponge et voue partez ». Aujourd’hui je dirais que le gardien était un mec humain, certainement père et aussi surement ancien apprenti voleur. Sur l’instant, je regarde avec insistance Fernand pour qu’il appelle sa mère. L’autre gardien nous demande alors où travaillent nos parents et c’est à ce moment là que j’ai su que mon sort était scellé. Mes parents travaillaient juste en face du Monoprix.

Il faute croire que ma réponse était drôle tant les deux gardiens ont ri fort. Même Fernand semblait satisfait. J’ai donc appelé mon père, lui ai brièvement expliqué l’affaire et demandé de venir nous chercher. Il est arrivé dix minutes plus tard (Fernand allait beaucoup mieux déjà), a serré la main des gardiens et a écouté les faits. J’aurais préféré lui expliquer moi même, avec des mots mieux choisis, avec des atmosphères, des couleurs, des images, des fautes écartées mais je n’en ai pas eu l’occasion.

Mon père nous regarde le visage fermé, règle sans discuter l’ardoise, sert à nouveau la main des gardiens et nous demande de le suivre. Fernand est déjà debout (il s’en sort bien le Fernand), je me lève et mon corps est lourd, incroyablement lourd. Après deux pas, je me retourne vers les gardiens et leur pose la question qui me taraude depuis le début : comment avez vous su ?

Les deux gars rient à nouveau de bon coeur, appuient sur un bouton et les six moniteurs s’allument. Tous diffusent la même chose, le rayon disques. Un autre bouton enfoncé et Fernand et moi sommes à l’écran, décontractés en pleine manoeuvre de chargement. Je trouve que j’ai le tain pâle sur l’image mais surement moins qu’au moment où je les regarde.

Le manège terminé, nous quittons l’établissement, en traversant le rayon parfumerie (qui pue à ce moment là). Mon père renvoie Fernand vers son arrêt de bus et m’emmène. Je m’attends à me retrouver bientôt dans son bureau et subir une réprimande comme jamais. Pas du tout, nous tournons à droite, faisons quelques mètres et nous asseyons à la terrasse d’un café.

Pour être sincère, je ne me souviens plus exactement du discours de mon père ce jour là si ce n’est qu’il a été compréhensif, moralisateur mais pas trop et magnifique, beaucoup. On a bu un coup, fini la conversation (le monologue surtout) et n’en avons jamais plus parlé. Il ne l’a d’ailleurs dit à ma mère que bien des années plus tard et aujourd’hui, ça reste la blague familiale dont je suis la victime consentante.

Depuis ce jour, je n’ai plus jamais rien volé.

De toute cette épineuse affaire, j’ai en mémoire le parfait déroulement des évènements mais plus en tête les détails du plus important. La réaction de mon père et sa gestion emplie de tempérance, de compréhension sans excuser et de pardon m’a marqué à tout jamais. Je l’ai trouvé grand et sa grandeur m’a fait grandir à mon tour. Le reste n’a finalement que l’importance qu’on veut bien lui donner.

Pour ça aussi, merci papa.


Retour à La Une de Logo Paperblog