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Transferts transfrontaliers de sièges sociaux : l’imposition immédiate des plus-values latentes est contraire à la liberté d’établissement

Publié le 30 janvier 2012 par Jblully

Transferts transfrontaliers de sièges sociaux © Dreidesign Fotolia.com

L’imposition des plus-values latentes des éléments de patrimoine d’une société transférant son siège d’un Etat membre vers un autre, telles qu’elles existaient au moment du transfert, est-elle contraire à la liberté d’établissement ? 

Dans une décision National Grid Indus BV, rendue le 29 novembre 2011, la CJUE répond par l’affirmative : l’imposition immédiate des plus-values latentes constitue bien une restriction disproportionnée à la liberté d’établissement garantie par le traité. En effet, une telle pratique créé une différence de traitement selon que les sociétés transfèrent leur siège de direction effective à l’intérieur du territoire d’un Etat membre ou à l’extérieur de celui-ci, en instaurant, dans ce dernier cas, une sorte d’exit tax. En revanche, la Cour laisse une porte ouverte aux Etats, puisqu’elle indique qu’un recouvrement différé de l’imposition était envisageable. Enfin, elle ajoute, à titre cette-fois plutôt pédagogique, que « la seule circonstance qu’une société transfère son siège dans un autre Etat membre ne saurait fonder une présomption générale de fraude fiscale et justifier une mesure portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité ».

A première vue, on pourrait croire que le droit français est conforme à cette jurisprudence : l’article 221-1 du Code général des impôts indique que le transfert de siège dans un autre Etat membre, qu’il s’accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n’emporte pas les conséquences de la cessation d’entreprise, que sont la taxation immédiate des bénéfices d’exploitation de l’exercice en cours, des bénéfices en sursis d’imposition, des plus-values latentes et du boni de liquidation. Cependant, cette neutralité, qui existe depuis 2005, est conditionnée au maintien d’un établissement stable en France et des actifs sociaux taxables qui y sont attachés. Dès lors, si le transfert de siège social au départ de la France se traduit par une délocalisation totale de la société, sans qu’il n’y ait plus aucun actif social taxable dans l’Hexagone, l’administration fiscale est susceptible de décider une imposition immédiate. On peut ainsi raisonnablement douter de la conformité de notre législation fiscale avec la jurisprudence de la CJUE.

Ce nouvel arrêt est l’occasion de rappeler qu’à défaut de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, tant d’un point de vue fiscal que juridique, il appartient au juge de pallier les lacunes du droit européen. Or, il est pour le moins regrettable que le droit de la mobilité des sociétés en Europe se réalise exclusivement à travers la jurisprudence. Cette vision du marché unique est-elle la bonne pour les entreprises ? Le juge européen (dans l’arrêt Cartesio de décembre 2008) semble en douter puisqu’il déclare que « les modalités d’un transfert du siège, statutaire ou réel, d’une société de droit national d’un Etat membre à l’autre [sont] une difficulté non résolue par les règles sur le droit d’établissement, mais qui doit l’être par des travaux législatifs ou conventionnels, lesquels n’ont pas encore abouti ».

Loin d’être une manière de les favoriser ou de leur offrir un moyen de fraude et de contournement de leurs droits nationaux, l’adoption d’une 14ème directive en droit des sociétés permettrait aux entreprises d’assurer la sécurité juridique qu’elles sont en droit d’exiger du marché unique. La CCIP et le Club des juristes n’ont cessé de défendre l’intérêt d’un tel texte. On ne peut toutefois pas dire que la Commission européenne y ait été très sensible, alors que la doctrine et les institutions européennes (le Parlement européen notamment prépare un troisième rapport d’initiative sur cette question) appellent aussi ce texte de leurs vœux. A peine esquisse-t-elle, dans un récent programme de travail, l’éventualité d’y réfléchir d’ici à l’horizon 2014 dans un livre vert sur le droit international privé. Relèvera-t-elle enfin à cette occasion le défi, fiscal et juridique, que lui lance la CJUE ?


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