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Défense et illustration de l’accord compétitivité-emploi

Publié le 31 janvier 2012 par Jblully

Défense et illustration de l’accord compétitivité-emploiL’objectif est louable et l’idée plutôt bonne d’autant que déjà pratiquée : permettre aux entreprises, en accord avec les représentants des salariés, de moduler leurs « contraintes salariales » au sens large (temps de travail, salaire, avantages divers et variés) afin de préserver l’emploi. Pourtant, elle bute encore sur un obstacle juridique, celui du contrat de travail.

De quoi parle-t-on ?

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion, a plusieurs reprises, de se pencher sur ce que la doctrine appelle des accords donnant-donnant ou encore des engagements sur l’emploi. De quoi s’agit-il au juste ? L’employeur va, dans le cadre d’un accord collectif d’entreprise, s’engager à ne pas licencier, à limiter les licenciements ou à maintenir l’activité d’un site de production pour une période donnée en échange du renoncement des salariés à un avantage salarial, au sen large, ou d’une réorganisation du temps de travail.

Les juges du quai de l’horloge valide, dans leur principe, ces accords, distinguant les accords défensifs par lesquels l’employeur s’engage à ne pas licencier ou à ne pas fermer de sites en échange de concessions salariales des accords offensifs par lesquels l’employeur s’engage à embaucher en contrepartie des mêmes concessions.

Ces accords sur l’emploi n’entrent pas dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire et sont soumis au droit commun de la négociation collective dans l’entreprise : négociation avec les organisations syndicales représentatives, double condition de majorité (conclusion par des syndicats ayant recueilli 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise et absence d’opposition de syndicats non signataires ayant recueilli 50 % des suffrages exprimés aux mêmes élections).

Une fois conclu, ces accords revêtent un effet impératif erga omnes : ils s’imposent à l’employeur qui pourra, le cas échéant être sanctionné en cas de manquement à ses obligations découlant de l’accord ; ils s’imposent à tous les salariés de l’entreprise, adhérents ou non des syndicats signataires, dans la limite, toutefois, du contrat de travail.

L’irrésistible attraction du contrat de travail

Conformément à sa jurisprudence constante, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient, en effet, qu’un accord collectif de travail, quel que soit son objet, ne peut modifier les contrats de travail conclus antérieurement dans l’entreprise. Par conséquent, dès lors qu’il aura un impact direct ou indirect sur un élément essentiel du contrat de travail, notamment la rémunération, la mise en œuvre de l’accord compétitivité-emploi supposera l’acceptation par chaque salarié d’un avenant à son contrat de travail. Le refus de cette modification n’est pas fautif et ne peut donc faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Au total, le sort d’un accord compétitivité-emploi dépend donc de la seule volonté des salariés. Il en résulte une complexité et une absence de réactivité qui lui font perdre tout son intérêt. C’est sur ce point que le Gouvernement attend des propositions des partenaires sociaux.

Légitimer la volonté collective des salariés

Est-il logique que la volonté collective, exprimée dans le cadre de la négociation d’entreprise, cède le pas devant la volonté individuelle, exprimée dans le cadre de la discussion du contrat de travail ? Cela semble d’autant moins justifié que les réformes successives (lois des 4 mai 2004 et 20 août 2008) ont renforcé la légitimité des syndicats représentatifs par la suppression de la présomption irréfragable de représentativité. Désormais assise sur l’audience électorale, la représentativité des syndicats s’en trouve confortée. De facto, les accords conclus avec les organisations syndicales représentatives sont justement considérés comme l’expression d’une volonté collective d’autant plus difficilement discutable que l’accord, majoritaire, sera conclu par des syndicats ayant recueilli la majorité exigée de suffrages.

Dès lors, comment défendre un statu quo reposant sur l’interprétation que font les juges de l’article 1134 du Code civil (« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi entre les parties ») et de l’article L. 2254-1 du Code du travail (« Lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention ou d’un accord, ces clauses s’appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables ») selon une idée ancienne du principe dit de faveur ? On rappellera, en effet que le législateur a d’ores et déjà attribué un effet impératif à des dispositions pourtant moins favorables que certaines autres règles applicables au salarié. C’est le cas :

  • des accords dits dérogatoires qui, depuis 1982, peuvent prévoir des dispositions moins favorables que la loi et qui primeront sur celle-ci ;
  • de la mise en œuvre de la supplétivité des accords de branche à l’égard des accords d’entreprises depuis la loi du 4 mai 2004 ;
  • des accords d’entreprise en matière de temps de travail qui, depuis la loi démocratie sociale du 20 août 2008, priment sur toutes les autres dispositions conventionnelles.

Partant, autoriser la négociation d’accord-compétitivité emploi, en contrepartie d’engagements sur l’emploi de l’employeur, permettra de mener à bien, avec l’assentiment des syndicats, les réformes nécessaires à l’adaptation de l’entreprise à ses contraintes économiques et à la préservation de l’emploi. S’y opposer, au contraire, créera une discrimination entre les employeurs qui auront intégrés un ensemble de garanties dans les contrats individuels de travail et ceux qui, à l’opposé, auront renvoyé l’exécution de la relation de travail aux seules conditions conventionnelles. La seule solution est donc, comme cela avait d’ailleurs été fait à l’occasion des lois RTT, inscrire dans la loi que les accords compétitivité-emploi – et, plus généralement, tous les accords collectifs d’entreprise – s’imposent aux contrats de travail.

C’est clairement la position que défend la CCIP depuis près de deux ans (20 propositions pour dynamiser la politique de l’emploi – Pierre DESCHAMPS et Dominique RESTINO – mars 2010). Souhaitons que les partenaires sociaux s’engagent sur cette voie.


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