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Le Turquetto

Publié le 01 février 2012 par Urobepi

Le TurquettoUne très légère anomalie aurait été décelée récemment dans la signature d’un tableau attribué jusqu’ici à Titien. Selon les experts, il y aurait en effet une différence chromatique entre le “T” initial et le reste de la signature composée par les lettres “icianus” apposée au bas de la toile L’Homme au gant. (Remarquez, en vérifiant sur une image haute résolution, j’ai eu du mal à localiser la position exacte de la signature sur cette toile, incidemment voisine de la Joconde au Louvre, alors, vous imaginez, les légères variations chromatiques…). Quoiqu’il en soit, l’analyse spectrométrique effectuée en 2001 semble confirmer cette observation:

(…) Tout porte à penser que la signature a été apposée en deux temps, par deux mains différentes, et dans deux ateliers distincts.
Du fait de la chronologie (le ‘T’ a selon toute logique été peint en premier, dans l’atelier de l’auteur), on peut émettre l’hypothèse que le tableau n’est pas de la main de Titien. (p. 12)

Fin de l’histoire? Non, ce n’est que le début. Metin Adriti, s’appuyant sur ce prétexte, nous propose une interprétation romanesque selon laquelle ce tableau serait le seul survivant de la production d’un maître inconnu: Élie, fils d’un marchand d’esclave juif, alias “Petit Rat”, ou Ilias Troyanos, dit “le Turquetto”. Ce faisant, il a utilisé toute la liberté dont un écrivain peut se réclamer. D’abord, en fixant le décor. Pourquoi pas Constantinople? Carrefour bouillonnant de toutes les civilisations, l’ancienne Cité permettra en effet au jeune peintre de cotoyer les cultures musulmanes et chrétiennes. Si, de la première il apprendra à maîtriser l’art du trait décoratif, c’est vers la seconde qu’il se sentira appelé dans la mesure où il pourra y satisfaire sa passion pour la représentation de sujets, ce que n’admettent ni la religion juive, ni la musulmane.

À la mort de son père, Élie mettra le cap au Nord-Ouest et s’établira à Venise, cachant ses origines juives sous l’identité du peintre grec Ilias Troianos. Il y demeurera plus de quarante ans, d’abord à titre d’apprenti du Titien, puis à son propre compte, engageant lui-même plusieurs assistants pour réaliser ses tableaux de plus grands formats. Son projet le plus ambitieux lui sera commandé par Filippo Cuneo, maître de la confrérie de Sant’Antonio. Il s’agit d’une cène de 70 mètres carrés destinée à accroître la notoriété de son commanditaire. Le Turquetto mettra près de deux ans à la peindre mais le dévoilement public de l’œuvre créera un tel scandale qu’il lui vaudra la prison. L’art était décidément un sport extrême au temps de la Sainte inquisition.

Ses origines juives une fois établies, les toiles du maître ne seront plus bonnes que pour l’autodafé. Une seule échappera ainsi au carnage puisqu’elle sera endossée en quelque sorte par un autre artiste. D’où la supercherie dont il était question plus haut.

Avec ce roman, Metin Arditi brosse (c’est le cas de le dire) un tableau convainquant d’une période marquée par l’intolérance et le fanatisme.

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ARDITI, Metin. Le Turquetto. Paris: Actes Sud, 2011, 280 p. ISBN 9782742799190

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Ces Blogs ont également commenté le roman: Le Blog de Bernard Lefebvre; Sola Sub Nocte (n’a pas aimé…); Le Blog de Mimi; Cherry Livres; Arts et littérature; Minou a lu; Reading in the rain; Livrogne (j’aime ce titre de blog); Croqueur de livres; Lecturissime; Un lapin dans la bibliothèque; Le présent défini;

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