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L’aversion au risque

Publié le 01 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Par Georges Kaplan

L’aversion au risque
Je vous propose un jeu. Vous avez le choix entre deux possibilités : soit je vous donne 100 euros et nous en restons là, soit nous jouons à pile ou face ; pile, vous gagnez 300 euros ; face, c’est vous qui me devez 100 euros. Que choisissez-vous ?

La plupart d’entre nous préfèrerons prendre les 100 euros. Interrogez les membres de votre famille, vos voisins, vos amis et vos collègues du bureau et vous constaterez comme moi que l’écrasante majorité de celles et ceux que vous aurez soumis à ce test préfèrent, comme vous, prendre mes 100 euros et en rester là.

Réfléchissons comme des scientifiques voulez-vous ? Dans ma seconde proposition, vous avez une chance sur deux de gagner 300 euros et une chance sur deux d’en perdre 100 : ce qui nous fait, sauf erreur de ma part, une espérance de gain de 100 euros [1]. En d’autres termes, si vous pensez comme des scientifiques, vous n’avez aucune raison de préférer systématiquement ma première proposition. L’une et l’autre sont équivalentes.

Et pourtant, à l’épreuve des faits, vous avez bien pris mes 100 euros.

La différence entre un scientifique qui résout un problème de probabilités sur un tableau noir et vous c’est que vous avez perçu un risque. Bien sûr, vous préférez gagner 300 euros plutôt que 100 mais lorsque je vous ai proposé ce jeu, vous avez immédiatement imaginé comment vous vous sentiriez si, par malchance, la pièce retombait sur la mauvaise face. Vous aviez l’opportunité d’empocher 100 euros sans aucun risque et voilà que vous en avez perdu 100. Votre esprit s’est tellement focalisé sur cette éventualité que vous avez pratiquement oublié que vous pouviez aussi gagner 300 euros. Rassurez-vous, c’est tout à fait normal. Dans notre inconscient, le risque n’a qu’une seule face : la mauvaise.

« Sois prudent » dit cette petite voix. L’appel à la prudence, c’est le sage conseil que nos parents, nos professeurs, nos amis et pratiquement tous ceux et celles qui nous aiment nous répètent depuis notre plus tendre enfance. Cette même recommandation, vous l’avez faite à vos enfants et soyez certains qu’ils la transmettront à leur tour. C’est une composante incontournable de notre nature d’êtres humains : nous sommes adverses au risque.

Si mon objectif est de vous amener à jouer à pile ou face, je dois augmenter votre espérance de gains. Je peux y parvenir en augmentant votre récompense si la pièce tombe côté pile, en réduisant votre risque de pertes dans le cas contraire ou en vous proposant une combinaison des deux. C’est-à-dire que, pour que vous acceptiez de prendre le risque, je vais devoir rémunérer votre prise de risque.

Par exemple, si je vous promets non plus 300 euros mais 400 euros quand la pièce tombe coté pile, votre espérance de gain est désormais de 150 euros. Certains d’entre nous trouverons que le jeu en vaut désormais la chandelle ; d’autres pas – nous sommes tous différents et, en tant que tels, nous n’évaluons pas le risque de la même manière. Si je réduis maintenant le risque de pertes si la pièce tombe côté face – mettons 50 euros au lieu de 100 – l’espérance de gain du jeu passe à 175 euros et de nouveaux joueurs accepterons de m’accompagner dans la partie. Ce petit processus itératif n’est rien d’autre que la recherche d’un prix de marché. Plus j’augmente votre espérance de gain, votre « prime », plus vous acceptez de jouer et plus – bien sûr – ce petit jeu me coûte cher. Le risque a un prix.

C’est pour cette même raison que les assurances existent. Lorsque vous signez votre contrat, vous cherchez à échanger un risque contre la certitude de payer une prime à votre assureur. Si ce dernier accepte de couvrir votre risque, ce n’est évidemment pas par altruisme : c’est parce que la prime qu’il vous réclame et que vous avez accepté de payer [2] lui permet de faire face à la réalisation des risques dans le futur mais aussi de gagner sa vie. Au café de la gare, on accuse les assureurs d’être des voleurs jusqu’au jour où on devient soi-même assureur.

Et maintenant, imaginez que vous soyez de ceux qui ont prêté leurs économies à l’État grec pour lui permettre de financer ses politiques clientélistes. Un beau matin, vous apprenez que les comptes étaient truqués, que les caisses sont vides, que la fraude fiscale et la chasse aux subsides publics ont remplacé le lancer de javelot et la lutte aux jeux olympiques ; bref, qu’il est très probable que votre retraite soit à deux doigts de voler en fumée. Que ressentez-vous ?

Vous avez peur. Vous voulez vendre ces obligations pourries et mettre vos économies à l’abri. Mais voilà : tous le monde est au courant des difficultés d’Athènes. Alors, pour trouver quelqu’un qui accepte de vous racheter vos obligations, vous baissez votre prix et donc les proposez à un taux plus élevé. Vous voilà un de ses spéculateurs anonymes qui, à ce qu’on dit, attaquent les peuples européens.

Vous pensez que c’est immoral ? Dîtes-moi : n’est-ce pas vous qui avez préféré prendre mes 100 euros ?

L’aversion au risque

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Sur le web

Notes :

[1] (0,5 x 300) + (0,5 x -100) pour ceux qui étaient au fond de la classe à côté de la fenêtre.

[2] Sauf, bien sûr, quand c’est l’État qui vous assure de force en vous imposant ses prix ou quand il vous oblige à vous assurer auprès d’un tiers.


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