Elysée, 31 janvier 2012. Nicolas Sarkozy reçoit la presse pour lui présenter ses vœux. Et il utilise le ton mi-reproche, mi-séduction qu'il affectionne particulièrement. Ce ton en dit très long sur la conception qu'a le président de son rapport aux médias.
Son discours est certes habile puisque nombreux sont les journalistes qui applaudiront à la fin, mais il est aussi très piquant envers une profession. D'abord, le Président a parlé du "couple" qu'il formait avec les médias, puis, il a insisté sur cette relation complexe. "Je vois bien vos tentatives pour me remplacer". Mais vous savez, poursuit le candidat UMP à la présidentielle: "2012 sera une année 2012 où l'on ne s'ennuiera pas. Elle sera pleine de surprises" et conclut : "2012 ne nous décevra pas". Façon de mettre en garde les journalistes et façon aussi de se poser dans la position de Challenger contre le candidat des médias que serait à ses yeux François Hollande.
Mais entre l'ironie, et la malice, Nicolas Sarkozy a aussi glissé de la cajolerie et des reproches. Cajolerie d'abord : "Le journalisme n'est pas le 4e pouvoir comme on l'entend souvent, mais il est l'un des piliers de la démocratie", ou encore "Laissez passer les pulsions adolescentes suscitées par le tout info et l'émotion immédiate, pour reconquérir l'analyse, la capacité de synthèse et de mise en perspective", mais aussi "Tout le monde devient un média, mais je suis convaincu que cela redonne ses lettres de noblesse au journalisme. Nous n'avons jamais eu aussi besoin de vous". Voilà pour la brosse à reluire que le Président a passé aux journalistes - le plus souvent directeurs de rédaction et éditorialistes - présents. Puis il s'est fait taquin, distillant des reproches, sous les étonnants rires de la salle. Rires qui ne se limitaient pas à ceux des conseillers et personnels de l'Elysée...
Reproches ensuite. "Alors, évidemment, j'avais tout un tas de notes pour expliquer tout ce que le gouvernement a fait pour la presse, je ne le dirai pas parce que ça a un côté humiliant", a ironisé Nicolas Sarkozy en citant tout de même les "580 millions d'aides supplémentaires pour la presse écrite". Le Président ironisera ensuite sur les "progrès" qu'il a "fait grâce à la presse, car on ne progresse que dans la critique". Enfin, Le président ou plutôt le candidat tant il ne fait aucun doute à l'entendre qu'il l'est déjà, a taquiné en déclarant "c'est formidable de vivre dans un pays où il sort à peu près autant de livres hostiles au président de la Républiques que de premiers romans"...
Le show est terminé. Les journalistes dans leur grande majorité applaudissent. Etrange.
Nicolas Sarkozy quitte la scène, salue Serge Dassault, et revient au pupitre. "Il s'est passé quelque chose d'important aujourd'hui", dit-il, avant de féliciter Dassault d'être entré en négociations exclusives avec l'Inde pour vendre 120 rafales. Rideau.
De questions, il n'y aura pas. Par contre, de longs tête à tête avec Jean-Pierre Elkabbach ou Olivier Mazerolles entourés par une foule de journalistes cherchant à glaner un mot, dureront eux une bonne grosse demi-heure.
Sentiment mitigé d'un moment auquel il faut assister en tant que journaliste, mais sentiment de se faire avoir, de se laisser prendre dans un système présidentialiste dont les journalistes sont à la fois acteurs et victimes. Peut-être serait-il bon que le prochain président mette fin à ce genre de rapports.
Deux confrères ont partagé ce sentiment. Marine Turchi sur Mediapart et Sylvain Lapoix sur Owni.
Les photos publiées sur le site de l'Elysée en disent aussi très long : http://www.elysee.fr/president/mediatheque/photos/2012/janvier/voeux-a-la-presse.12913.html