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Fable de Jean de LA FONTAINE : La Mouche et la Fourmi

Publié le 04 février 2012 par Unpeudetao

La Mouche et la Fourmi contestaient de leur prix.
   Ô Jupiter ! dit la première,
Faut-il que l’amour-propre aveugle les esprits
   D’une si terrible manière,
   Qu’un vil et rampant Animal
A la fille de l’air ose se dire égal !
Je hante les palais,  je m’assieds à ta table :
Si l’on t’immole un boeuf, j’en goûte devant toi ;
Pendant que celle-ci chétive et misérable
Vit trois jours d’un fétu qu’elle a traîné chez soi.
   Mais ma Mignonne, dites-moi,
Vous campez-vous jamais sur la tête d’un Roi,
   D’un Empereur ou d’une Belle ?
Je le fais ; et je baise un beau sein quand je veux :
   Je me joue entre des cheveux ;
Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle ;
Et la dernière main que met à sa beauté
   Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement des Mouches emprunté.
   Puis allez-moi rompre la tête
   De vos greniers. Avez-vous dit ?
   Lui répliqua la ménagère .
Vous hantez les palais ; mais on vous y maudit
   Et quant à goûter la première
   De ce qu’on sert devant les Dieux,
   Croyez-vous qu’il en vaille mieux ?
Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
Sur la tête des Rois et sur celle des Ânes
Vous allez vous planter ;  je n’en disconviens pas ;
   Et je sais que d’un prompt trépas
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie.
J’en conviens : il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu’il ait nom Mouche : est-ce un sujet pourquoi
   Vous fassiez sonner vos mérites?
Nomme-t-on pas aussi Mouches les parasites ?
Cessez donc de tenir un langage si vain :
   N’ayez plus ces hautes pensées.
   Les mouches de cour sont chassées ;
Les Mouchards sont pendus, et vous mourrez de faim,
   De froid, de langueur, de misère,
Quand Phébus régnera sur un autre hémisphère.
   Alors je jouirai du fruit de mes travaux :
   Je n’irai, par monts ni par vaux,
   M’exposer au vent, à la pluie ;
   Je vivrai sans mélancolie.
Le soin que j’aurai pris, de soin m’exemptera.
   Je vous enseignerai par là
Ce que c’est qu’une fausse ou véritable gloire.
Adieu, je perds le temps : laissez-moi travailler;
   Ni mon grenier, ni mon armoire,
   Ne se remplit à babiller. »

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

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