Il ne reste plus que 69 représentations avant la fermeture du Theater-am-Gärtnerplatz qui entrera bientôt en travaux de rénovation complète pour de longs mois et jouera dans d'autres salles, notamment au Prinzregententheater. Le chamboulement sera complet, puisqu'à la fermeture du théâtre le plus populaire de Munich correspond la fin des mandats de l'Intendant (le directeur général) du théâtre et du Maître de ballet. La plupart des contrats des chanteurs et des danseurs arrivent aussi à leur terme.
Hier soir, Hans Henning Paar présentait sa nouvelle création chorégraphique, Augenblick, verweile, qui sera aussi la dernière, avant son départ pour Münster où il prendra la direction artistique et chorégraphique du Théâtre de la Ville.
Le maître de ballet a placé sa nouvelle production sous le signe de l'impermanence. Augenblick, verweile doch , Du bist so schön, ce sont les mots du Faust de Goethe qui demande à l'instant de s'attarder pour qu'il puisse en jouir un moment encore. Ce que Lamartine reprendra dans Le lac:
Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices. Des plus beaux de nos jours ! (...) Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule, et nous passons !
Mais c'est sur un autre lac que la production navigue, celui des cygnes, celui de la musique de Tchaïkovsky qui a inspiré tant de chorégraphes et à laquelle Hans Henning Paar a lui aussi consacré plusieurs ballets: en 1998 il monte le Casse-noisettes et en 2007 Le lac des cygnes. Pour le chorégraphe, grâce à la musique de Tchaïkovsky, nos corps peuvent faire l'expérience des mondes de nos sensations. Cela va de l'euphorie à l'épuisement, de la mélancolie et de l'extase jusqu'à la nostalgie et au désespoir.
Tchaïkovsky fut un compositeur itinérant, toujours sur le départ: un homme du voyage, de la quête et de la fuite, avec ce que cela entraîne de mal du pays et de solitude. Il trouva le salut dans sa passion pour la composition, une passion couplée à une discipline de travail stricte qui compensaient ses doutes constants et un sentiment profond d'insatisfaction.
La métaphore est évidente: la troupe de danseurs du Theater-am-Gärtnerplatz connaît aujourd'hui des incertitudes similaires à celles que le compositeur a connues. Toute une troupe sur le départ, des danseurs et des danseuses qui ont réjoui le public bavarois pendant des années et qui va être disséminée, des liens tissés pendant des années qui vont se défaire. Reste l'amour de la danse, et l'envie de partager cette passion.
La dernière production d'Hans Henning Paar est celle du départ. Il produit un spectacle en douze tableaux qu'il a chorégraphés et mis en scène en association et en parfaite complicité avec ses danseurs. Il a veillé à ce que chaque tableau mette en valeur les extraodinaires talents de chacun des danseurs, de chacune des danseuses. Le premier tableau est statique. Les danseurs figurent le départ, chacun porte une valise sur le plateau qui tourne lentement, et longuement le message est distillé: un message de fin, d'adieu, de dispersion. En fond de scène, un grand lustre de théâtre a été descendu sur le sol, le théâtre va fermer, les artistes s'en vont. Le fil rouge des différents tableaux et des décors est le voyage: les videos défilent la gare qui s'éloigne, les paysages plats des plaines allemandes qui s'étendent vers le Nord du pays, les cables électriques que le voyageur voit de sa banquette lorsqu'il y est vautré et regarde le ciel qui se déroule. Les artistes sont les gens du voyage, des gens de passage. Avec des numéros extraordinaires: une valise, seule sur le plateau tournant, se met à bouger, en sort une main, puis un bras qui tâtent le monde extérieur, en sort une danseuse contorsionniste qui finira par retourner à sa valise pour s'y enfermer à nouveau; un danseur porte une valise qui s'ouvre et laisse voir un écran qui donne l'image du paysage qui n'en finit pas de défiler; et l'exploit de cette danseuse qui sort son chien en laisse mais se fait en fait promener par lui, la danseuse est si habile qu'on finit par croire que le petit chien de peluche est vivant, un exemple typique de l'humour du chorégraphe qui aime à en émailler ses créations.
Et les spectateurs charmés par la magie du spectacle ont à la fois le coeur brisé. On revit des instants des créations antérieures de Hans Henning Paar, comme cette danse des cygnes avec des hommes en tutu, qui rappelent les fameux ballets du Trocadéro. Et ce moment extraodinaire où sur le torse sculpté d'un danseur, sur la plaque parfaite de ses abdominaux vient se projeter la video miniaturisée d'une danseuse en tutu qui semble reposer sur les mains ouvertes et protectrices du danseur, qui la soutiennent, comme la petite fée Clochette du monde de Peter Pan. C'est cette féérie qu'il va falloir quitter.
Mais si le spectacle dramatise le départ, les danseurs se surpassent dans la perfection de leur art, et Hans Henning Paar crée des enchaînements chorégraphiques avec un art consommé et unique. Son art est plus fluide que jamais et, malgré la détresse du départ et de la séparation, toute cette troupe fait éclater la joie de la Danse.
Cette dernière oeuvre du grand chorégraphe est parfaite d'un bout à l'autre du spectacle. Les spectateurs n'en pourront plus d'applaudir et de crier leurs vivats dans un hommage à ces hommes et à ces femmes qui les ont enchanté pendant de belles années.
Très applaudis aussi les musiciens de l'orchestre remarquablement dirigés par Andreas Kowalewitz ainsi que la contribution d' Elaine Ortiz Arandes qui a interprété avec brio et chaleur les quatre lieder du programme. Le pur esprit du Theater-am-Gärtnerplatz a de nouveau imprégné cette soirée, un esprit de corps fait d'une collaboration à l'unisson profondément partagée avec des spectateurs ravis d'avoir été conviés à cette Première, qui est aussi, hélas, une dernière.
A ne pas manquer!
Les 11 et 14 février 2012
Les 2, 8, 29 et 31 mars 2012
Les 15 et 18 avril
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