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Certaines images paraissaient terriblementanodines. Des paysages proprement somptueux. Un horizon presque brumeux desommets enneigés. Ou bien le moutonnement de collines couvertes de vignes. Unsoupçon de Toscane. La trace d'une route, au loin. Un clocher entouré decyprès. Ou bien l'escarpement d'une falaise, noyée de lumière. Et puis, dessilhouettes dispersées, presque invisibles, à la verticale de la mer. Ou bienla solitude feutrée d'une prairie, étoilée de coquelicots et de fleurssauvages. Pas même un souffle de vent. La chaleur de l'été. Ou bien l'immensitéchahutée de la mer, solitude mugissante qu'aucun navire ne parvient à troubler,qu'aucune larme ne parvient à corrompre. Ou bien les tourbillons et le fracasd'un torrent, l'écho chatoyant du soleil dans le chaos des rochers, la menacelointaine d'un rapace. Mais jamais le moindre visage. Comme si l'humanité touteentière n'était plus que silhouettes, ombres et contours, numérotations,poussière. Statistiques. Reprise économique ou dépression des investissements.Fluctuation des cours. Emballement du marché. Ajustements conjoncturels.Rendements déficitaires. Règlements communautaires et brusque aggravation de ladette. Reconfigurations des fonds spéculatifs. Dévaluation. Oui... Comme sil'humanité, désormais, n'était qu'une variable excédentaire tout juste susceptiblede perturber les modèles économiques. Je veux dire, par là, qu'il y avait unmessage derrière ces photos... Un message certes un peu naïf. Approximatif etprofondément simpliste. Mais on ne pouvait nier que tout cela partait, comme ondit, d'un bon sentiment. Bref, nous étions tous enclins à le trouversympathique... Vous allez rire. J'ai même cru pouvoir être l'auteur de cesclichés. Incapable que je suis, de toujours me souvenir de mes faits et gestes.Le fait est que tout, ou presque, suggérait que je puisse être complice d'unetelle machination. Et je ne me sentais pas vraiment innocent ! Une fois surdeux les enveloppes étaient comme par hasard postées d'une commune improbablenichée quelque part dans la montagne ardéchoise. Le nom ne vous dirait rien jevous assure mais c'est précisément le lieu où je suis né. J'y ai encore unepartie de ma famille. Des cousins. Ma sœur y élève des chèvres et profite destouristes qui s'y perdent l'été pour vendre les quelques bijoux qu'elletravaille durant l'hiver. Sans même parler de cette écriture qui ressemblait,hélas, étrangement à la mienne avec cette insupportable appétence pour lesmajuscules... J'imagine que tout cela procédait d'une intention manifeste. Lepiège avait été subtilement tendu. Une toile invisible tissée autour de moi.Depuis, et non sans mal, je me suis laissé convaincre que je n'avais, alors,pas vraiment d'autre choix que celui qui s'est imposé à moi... Vous l'aurezcompris cette fois je voulais en avoir le cœur net. Je me suis enfin décidé àprendre la route pour aller y voir de plus près. Apporter d'autres preuves. Desdétails. Vous traversez la France au volant d'un carrosse. Une 2CV quis'essouffle quand l'horizon se cabre ! La suite était écrite, en un sens.Est-ce nécessaire alors d'en dévoiler la subtile mécanique ? Traduire en motsce qui n'était que mirages. C'est l'été d'autrefois. Des nuits entières àvouloir réveiller le monde. Les années Giscard ou Mitterrand quelque part parlà. Vous y êtes. Vous ne dormez presque jamais. Les étoiles qui s'attachent àvos rêves sont autant de soleils. Elles choisissent de s'appeler Claire. Marie.Jade ou Violaine. Disparaissent de votre vue dès que vous avez le dos tourné.Et ne se privent pas de vous le faire savoir. Ca vous étonne ?(la suite est ici, ou bien là, c'est à dire nulle part, ça va de soi)