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Conte soufi : L’initiation de Malik Dinar

Publié le 06 février 2012 par Unpeudetao

   Après avoir passé de nombreuses années à étudier les questions philosophiques, Dinar pensa que le moment était venu de partir en quête de la connaissance.
   « J’irai, se dit-il, à la recherche du Maître caché, dont on dit aussi qu’il demeure au tréfonds de soi. »
   Il emporta quelques dattes pour toute provision.
   Sur le chemin poussiéreux, un derviche avançait avec peine. Dinar accorda son pas au sien. Les deux hommes marchèrent quelque temps en silence.
   Le derviche parla enfin :
   « Qui es-tu ? Où vas-tu ?
   -- Je suis Dinar, je vais à la recherche du Maître caché.
   -- Je suis El-Malik El-Fatih, je marcherai avec toi, dit le derviche.
   -- Peux-tu m’aider à trouver le Maître ? demanda Dinar.
   -- Est-ce que je peux t’aider ? Est-ce que tu peux m’aider ? répondit Fatih dans la manière irritante propre aux derviches. On dit que le Maître caché est au-dedans de l’homme. Selon qu’il sait tirer profit ou non des expériences de la vie, il le trouve ou ne le trouve pas. Je ne peux rien te dire de plus. »
   Ils passèrent près d’un arbre qui grinçait et oscillait. Le derviche s’arrêta, écouta puis se tourna vers Dinar :
   « L’arbre dit : « Quelque chose me fait mal, arrêtez-vous un instant, enlevez cette chose de mon côté, que je trouve le repos. »
   -- Je n’ai pas le temps, répliqua Dinar. Et puis, comment un arbre pourrait-il parler ! »
   Ils se remirent en chemin.
   Peu après, le derviche dit à Dinar :
   « Quand nous étions près de l’arbre, j’ai senti comme une odeur de miel : peut-être y a-t-il un essaim d’abeilles sauvages dans le tronc.
   -- Alors, retournons-y ! s’écria Dinar. Nous pourrons recueillir le miel. Ce que nous ne mangerons pas, nous le vendrons.
   -- Comme tu voudras », dit le derviche.
   Ils revinrent sur leurs pas. Arrivés près de l’arbre, ils virent un groupe de voyageurs occupés à recueillir une énorme quantité de miel.
   « Nous avons eu de la chance ! leur dirent ces gens. Il y a là assez de miel pour nourrir une ville entière. Nous sommes de pauvres pèlerins : nous allons devenir de riches marchands ! Notre avenir est assuré. »
   Dinar et Fatih se remirent en chemin.
   Ils allaient par un sentier de montagne quand ils perçurent un bourdonnement. Le derviche colla son oreille au sol, puis se releva.
   « Sous nos pieds, dit-il, des millions de fourmis s’activent à construire leur demeure. Ce bourdonnement est un appel à l’aide concerté. Dans le langage des fourmis, il signifie : « Aidez-nous, aidez-nous. Nous creusons, mais nous avons rencontré d’étranges pierres qui font obstacle à notre progression. Aidez-nous à les enlever de là. » Faut-il que nous nous arrêtions pour les aider, ou veux-tu poursuivre ton voyage sans tarder ?
   -- Frère, répondit Dinar, les fourmis, les pierres, ce n’est pas notre affaire. Pour ma part, une seule chose m’intéresse : la recherche du Maître.
   -- Comme tu voudras, frère, dit le derviche. On dit pourtant que tout est lié. Peut-être cela a-t-il un rapport avec nous ? »
   Dinar ne prêta pas attention à ce que marmonnait le vieil homme, et ils poursuivirent leur chemin.
   Ils firent halte, la nuit venue. Dinar s’aperçut alors qu’il avait perdu son couteau.
   « J’ai dû le laisser tomber près de la fourmilière », dit-il.
   Le lendemain matin, ils revinrent sur leurs pas. Ils n’arrivèrent pas à retrouver le couteau. Des gens se trouvaient là, couverts de boue : ils se reposaient près d’un tas de pièces d’or.
   « Ce trésor était caché là-dessous, expliquèrent-ils aux deux hommes, nous venons de le déterrer. Nous étions en chemin quand un vieux derviche, au corps frêle, nous a hélés : « Creusez à cet endroit, a-t-il crié, vous trouverez ce qui est pierre pour certains et or pour d’autres. »"
   Dinar maudit sa malchance.
   « Si seulement nous nous étions arrêtés, dit-il, nous aurions trouvé le trésor hier soir et serions riches toi et moi, ô derviche… »
   Les gens l’interrompirent :
   « Ce derviche qui est avec toi ressemble étrangement à celui qui nous a parlé.
   -- Les derviches se ressemblent tous », dit Fatih.
   Les deux hommes se remirent en chemin.
   Quelques jours plus tard, ils découvrirent une jolie rivière. Ils firent halte sur la berge et s’y reposèrent en attendant le passeur. Leur attention fut attirée soudain par un poisson. Il remonta plusieurs fois à la surface : il semblait vouloir leur dire quelque chose.
   « Ce poisson, dit le derviche, nous envoie le message que voici : « J’ai avalé un caillou. Attrapez-moi, donnez-moi telle herbe à manger, je pourrai vomir le caillou et je serai soulagé. Voyageurs, ayez pitié ! »"
   La barque accosta à ce moment-là. Dinar, impatient d’aller de l’avant, y poussa le derviche. Le passeur s’estima heureux de recevoir une petite pièce : c’est tout ce qu’ils pouvaient lui donner.
   Fatih et Dinar dormirent bien cette nuit-là sur l’autre rive : un homme charitable y avait fait édifier une auberge à l’intention des voyageurs.
   Le lendemain matin, ils buvaient leur thé à lentes gorgées, lorsque le passeur entra. La nuit dernière, la fortune lui avait souri, leur dit-il : les deux pèlerins lui avaient porté chance. Il baisa les mains du derviche, pour recevoir sa bénédiction.
   « Tu la mérites bien, mon fils », dit Fatih.
   Le passeur était riche désormais. Et voici comment c’était arrivé. La veille au soir, il s’apprêtait à rentrer chez lui, à l’heure habituelle, quand il avait aperçu les deux hommes sur l’autre rive. Malgré leur évidente pauvreté, il avait décidé de traverser de nouveau la rivière pour les amener à l’auberge : il avait fait cela pour la baraka, la bénédiction accordée à celui qui aide le voyageur. Ensuite, alors qu’il allait remiser sa barque, le batelier avait vu le poisson, échoué sur la rive : il essayait, semblait-il, d’avaler un brin d’une herbe sauvage. Le batelier le lui avait mis dans la bouche ; le poisson avait vomi un caillou et s’était glissé dans la rivière. Ce caillou était en fait un énorme diamant, sans défaut, d’un éclat incomparable, d’une valeur inestimable.
   « Tu es un démon ! cria Dinar, furieux, au derviche Fatih. Tu connaissais l’existence de ces trois trésors, sans doute grâce à tes pouvoirs de perception directe, pourtant tu ne m’as rien dit sur le moment ! Un vrai compagnon se comporte-t-il ainsi ? Ma malchance était déjà suffisamment tenace, maintenant, c’est pire, car sans toi je n’aurais jamais rien su de ce qui peut se cacher dans les arbres, les fourmilières et les poissons !… »
   À peine avait-il prononcé ces mots qu’il sentit comme un vent puissant se propager dans tout son être. Et il sut que la vérité était le contraire de ce qu’il avait dit.
   Le derviche, dont le nom signifie le Roi victorieux, lui toucha doucement l’épaule et sourit :
   « Maintenant, frère, tu sauras que l’on peut apprendre par l’expérience. Je suis celui qui est aux ordres du Maître caché. »
   Quand Dinar osa lever les yeux, il vit son maître descendre la rue avec un petit groupe de voyageurs qui discutaient des périls qu’ils devraient affronter en chemin.
   Aujourd’hui, Malik Dinar compte parmi les plus grands derviches. Malik Dinar, le compagnon, l’exemple, l’homme qui est arrivé.

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