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2012 vu d’ailleurs, Épisode 3 : Allemagne, « l’amour dure trente ans ? »

Publié le 07 février 2012 par Délis

Beaucoup se souviennent encore du cliché mythique réunissant, main dans la main, le Président François Mitterrand et le Chancelier Helmut Kohl rendant hommage aux morts de Verdun en 1984. Cette image forte illustrait le rapprochement progressif de la France et de l’Allemagne, et scellait le début d’une coopération privilégiée tous azimuts : jeunesse, culture, économie, éducation… et, bien entendu, construction européenne dans son ensemble.

Trente ans plus tard, le duo franco-allemand paraît toujours solide, au point que certains commentateurs ironisent sur le « couple » Sarkozy-Merkel, rebaptisé « Merkozy », comme en écho aux couples glamour et surmédiatisés d’Hollywood (« Brangelina… »). Pourtant, derrière les apparences et l’unité affichée pour sortir l’Europe et la zone Euro de la crise, les divergences ne manquent pas entre les deux pays et les deux personnalités – des divergences que l’imminence des élections présidentielles d’avril 2012 ne fait que raviver.

UN COUPLE EN APPARENCE ÉQUILIBRÉ ET SOLIDAIRE FACE À LA CRISE…

Longtemps présenté comme le « moteur de l’Europe », le couple franco-allemand semble être une réalité ancrée dans l’opinion. Selon L’observatoire politique CSA-Les Echos de décembre 2011 (1), les Français jugent cet attelage plutôt équilibré. Invités à répondre à la question « Qui profite le plus du couple franco-allemand ? », 50% des Français indiquent que les deux pays profitent « autant l’un que l’autre », 13% estiment qu’il s’agit plutôt de la France, et 31% plutôt de l’Allemagne – des jugements qui reflètent une préséance de l’Allemagne, mais qui restent équilibrés dans l’ensemble.

Il faut dire que les sujets de préoccupation communs ne manquent pas, et particulièrement en matière économique et sociale : endettement public, crise de la monnaie unique… Selon l’enquête « Regards croisés France /Allemagne » réalisée en décembre 2010 par l’IFOP pour les fondations Jean Jaurès et Friedrich Ebert (2), les opinions publiques française et allemandes partagent les mêmes craintes, dont l’inquiétude face aux déficits publics et à la dette de l’Etat (87% en France, 80% en Allemagne), mais aussi les mêmes espoirs, dont le bénéfice retiré de l’appartenance à l’Union Européenne (64% en France, 62% en Allemagne).

Fait révélateur, selon une enquête commandée en janvier 2012 à l’IFOP par l’ambassade d’Allemagne en France (3), les Français apprécient dans l’ensemble le rôle joué par l’Allemagne aux côtés de la France dans la crise. Pour 25% d’entre eux, l’image de l’Allemagne s’est « améliorée », contre 11% seulement qui estiment que cette image s’est « détériorée » (64% jugeant qu’elle n’a « pas changé »).

…MAIS EN PROIE À QUELQUES TIRAILLEMENTS

Les derniers développements de la crise contribuent cependant à enfoncer un coin dans l’unité franco-allemande. La dégradation par l’agence Standard & Poors de la note AAA de la France, en janvier 2012, a brutalement entériné une vérité que les efforts de convergence diplomatique et politique tendaient peut-être à masquer : l’Allemagne s’en sortirait mieux, en matière économique et financière, que la France – du moins sous la bannière de l’Euro.

Les opinions publiques semblent en tout cas de cet avis. Déjà, en décembre 2010, toujours selon l’enquête IFOP « Regards croisés » (2), 63% des Français craignaient pour leur pays une situation voisine de celle de la Grèce ou de l’Irlande, pour seulement 46% des Allemands. Des chiffres qui sont le reflet dans l’opinion de la solidité économique et financière de l’Allemagne, perçue comme supérieure à celle de la France.

A diagnostic différent, médecines différentes. 92% des Allemands approuvaient en décembre 2010 l’idée d’un plan d’austérité pour la Grèce et l’Irlande, pour seulement 75% des Français. Inversement, seuls 47% des Allemands soutenaient le principe d’une aide financière à ces pays, pour 69% des Français. Et les différences sont tout aussi éclairantes en ce qui concerne la politique monétaire à adopter pour l’Euro ou les missions assignées à la Banque Centrale Européenne, l’Allemagne se déclarant plus volontiers en faveur d’une certaine orthodoxie, voire d’une rigueur certaine.

On sera donc peu étonné d’apprendre, au terme de la même enquête, que la « love story » franco-allemande n’est pas de nature « fusionnelle ». En décembre 2010, une écrasante majorité des Français (83%) comme des Allemands (86%) souhaitaient que leur pays continue d’avoir son propre siège au sein des instances économiques internationales (FMI, G8 et G20), s’opposant ainsi à l’idée d’un siège commun.

LES CANDIDATS VUS D’OUTRE-RHIN

Les enjeux économiques et monétaires, comme on l’a vu majoritairement appréhendés selon le prisme de l’Europe, se compliquent également de considérations mettant en scène les fonctions de Président de la République et de Chancelier, ainsi que les personnes qui occupent ces postes.

Nicolas Sarkozy, probable candidat à sa propre réélection, se voit donc contraint ces derniers temps d’agir en conjonction avec l’Allemagne afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles face à la crise, tout en n’apparaissant pas comme celui qui sacrifiera l’indépendance et la liberté de ton de la France (un point sur lequel toute une frange de l’électorat de droite conservateur se montre particulièrement exigeant).

Les Français ne s’y trompent pas. Selon le volet qualitatif de l’enquête IFOP pour l’ambassade d’Allemagne (3), les Français jugent que le rapprochement franco-allemand est un rapprochement « de raison », voire « artificiel », qui met en scène deux personnalités que tout oppose, sinon la nécessité de devoir faire face à la crise et de tenter de sauver l’Euro par tous les moyens.

En Allemagne, le « cas » Sarkozy semble déjà réglé, si l’on en croit un article récemment paru sur la version anglophone du site web du magazine Der Spiegel (4). Citant des sources médiatiques et politiques françaises, Der Spiegel titre sans ambiguïté : « Atmosphère de fin de règne : Sarkozy ‘dans les cordes’ dans son combat pour sa réélection ». Un sondage réalisé par l’institut Infratest Dimap pour la chaine de télévision allemande ARD indiquait par ailleurs que seuls 15% des Allemands faisaient confiance à Nicolas Sarkozy pour lutter contre la crise économique et financière (5).

Dans un article publié un mois plus tôt (6), le site prenait pourtant acte de l’embellie autour du Président, et de l’occasion qui lui était donnée de profiter des faiblesses de François Hollande, candidat « en manque de message ». Pour conclure malgré tout qu’avec une avance dans les sondages de 14 points au second tour, le candidat Hollande restait le favori incontesté, « à moins de commettre beaucoup d’erreurs ». Une posture de vainqueur par défaut, en somme.

Quant à Marine Le Pen, Der Spiegel lui consacrait en juillet dernier rien de moins qu’un mini-dossier

de trois articles, rassemblés sous le titre « Madame Rage » (7). La raison de cet intérêt ? Avant tout, le rappel de la surprise historique de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002. Mais aussi, le personnage Marine en elle-même (une femme, issue de l’extrême droite traditionnelle, parvenant à donner à son parti un visage plus « humain »), et la façon dont les médias « se sont entichés d’elle », eux qui « détestaient » tant son père…

Marc-André Allard

Directeur Conseil

Brain Value – Études & planning stratégique

Chargé de cours au CELSA (Paris IV-Sorbonne)

(1) L’observatoire politique CSA-Les Echos, décembre 2011

 

(2) Enquête « Regards croisés France /Allemagne », réalisée en décembre 2010 par l’IFOP pour les fondations Jean Jaurès et Friedrich Ebert

 

(3) Enquête IFOP pour l’ambassade d’Allemagne en France, réalisée en janvier 2012, comprenant un volet qualitatif (réunions de groupe) et un volet quantitatif (sondage auprès d’un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus)

 

(4) Sarkozy ‘Against the Ropes’ in Re-Election Fight, Der Spiegel Online International, publié le 19 janvier 2012

 

(5) Sondage réalisé par l’institut Infratest Dimap les 16 et 17 août 2011, représentatif de la population allemande âgée de 18 ans et plus

 

(6) “Euro Rescue Efforts Boost French Leader”, Der Spiegel Online International, 12 décembre 2012

 

(7) “Madame Rage”, publié sur le site Der Spiegel Online le 7 juillet 2011


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