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Hollande, Guéant, Letchimy et l’inversion victimaire

Publié le 08 février 2012 par Variae

La droite jubile. Elle a trouvé en Serge Letchimy le parfait bouc émissaire pour hurler au scandale et réclamer à cors et à cris des excuses des socialistes. Dans un communiqué d’anthologie sur le site de l’UMP, Jean-François Copé ne trouve pas de mots assez durs pour fustiger la comparaison, certes hâtivement établie, par le député de la Martinique entre la dérive de Claude Guéant, et les idéologies extrêmes de la seconde guerre mondiale. « l’indécence et l’insulte […] une honte absolue […] jamais des injures d’une telle gravité n’avaient été proférées au cœur même de l’Assemblée nationale [...] amalgames odieux […] les frontières de l’inacceptable ont été définitivement franchies […] inadmissible faute morale qui le déshonore. » A croire que le rédacteur de cette missive enflammée a été payé au nombre de synonymes du mot indigne. Le plus beau restant la chute : « L’UMP demande solennellement des excuses de la part des dirigeants du Parti Socialiste ». En clair : il y a un tort, un fautif – le PS – et une victime – l’UMP.

 

Hollande, Guéant, Letchimy et l’inversion victimaire

Superbe retournement de situation, en partant d’un point de départ, il y a deux jours, où le Ministre de l’Intérieur était pris en flagrant délit de délire anthropologique, entre fardeau de l’homme blanc et « choc des civilisations ». L’embarras autour de la dureté de la sortie de Serge Letchimy, à gauche, suffit à masquer cet historique – pourtant récent – et à le faire oublier de tous. Vous venez, nous venons d’être victime de la stratégie désormais habituelle de l’UMP et de la droite : l’inversion victimaire.

Inversion victimaire ? Une ficelle rhétorique simple mais efficace, consistant à renverser la perspective et à présenter le coupable en victime, en ne lésinant pas sur le pathos et les énormités, bien au contraire. Les exemples pullulent. Marine Le Pen n’arrive pas à convaincre suffisamment d’élus pour avoir les signatures pour sa candidature ? C’est la faute à la loi qui en demande trop. Nadine Morano exaspère les internautes par ses agressions répétées sur Twitter ? Elle devient la pauvre Cosette harcelée par les bobos parisiens. Nicolas Sarkozy, candidat de toutes les puissances économiques de ce pays (souvenez-vous, le Premier Cercle, le Fouquet’s, Bettencourt, le yacht Bolloré …) fait face à la menace d’un François Hollande porté par la dynamique populaire des primaires ? Ce dernier est rebaptisé « candidat du système » par Brice Hortefeux ! Claude Guéant multiplie les dérapages plus ou moins contrôlés, ergotant sur les enfants d’immigrés moins bons à l’école ou sur la « croisade » en Libye, et désormais sur la supériorité de certaines « civilisations » ? C’est Serge Letchimy, descendant d’esclaves et donc plutôt bien placé pour témoigner des limites de la mission civilisatrice de la France, qui se fait agonir d’injures !

Cette stratégie particulière de victimisation est efficace quand elle parvient à faire fond sur l’émotion du moment. Un attendrissement chasse l’autre, une victime fait oublier la précédente : l’indignation n’a pas de mémoire. L’essentiel est donc de crier assez fort, et de crier le dernier. Les mêmes procédés vont toujours revenir. On va inventer un adversaire fictif et terrifiant (« l’antisarkozysme primaire » dont Sarkozy serait la victime). On va parer très vite et très bruyamment le coupable des qualités qu’il vient de fouler au pied (répéter en boucle sur tous les médias que Claude Guéant est un « vrai républicain », méthode aussi connue à l’extrême droite sous la forme de « mon meilleur ami est noir, je ne suis pas raciste »). On va lui trouver d’autres victimes pour l’accompagner (les femmes musulmanes opprimées que la gauche abandonnerait en attaquant Claude Guéant). Une seule règle : plus c’est gros, plus ça (peut) passe(r).

Face à ce piège, François Hollande a doublement bien réagi lors de son passage au journal de France 2. D’abord en rappelant l’ordre des torts. « Ce député [Serge Letchimy] a été sans doute blessé et humilié [par les propos de Guéant sur les civilisations] ». Ensuite en sortant du choc entre victimes, fussent-elles réelles ou fabriquées. « Moi ce que je réprouve, c’est cette polémique inutile, moi je promets de réunir les Français, de les rassembler, pas d’entretenir les haines recuites, nous avons besoin de nous réunir, la République doit donner de la fierté. ». Ou comme une façon de rappeler qu’il y a une bien une grande victime, pour le coup, des 5 années qui viennent de s’écouler : la France, et ses habitants. Mais peut-être viendra-t-on bientôt nous expliquer qu’ils sont tous coupables – d’ingratitude, envers le pauvre président sortant ?

Romain Pigenel


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