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Ciper, l’œil critique du Chili

Publié le 08 février 2012 par Anthony Quindroit @chilietcarnets

Mónica González Chili Ciper photo Anthony Quindroit

Mónica González, directrice de la rédaction et présidente de la fondation Ciper, l'un des plus grands sites d'information et d'investigation du Chili (photo Anthony Quindroit)

Au Chili, la pluralité de la presse laisse à désirer. Les principaux journaux que sont El Mercurio et Las Ultimas Noticias appartiennent au même groupe, Tercera, Cuarta et Secunda diluent les mêmes informations, les journaux locaux recyclent les informations des “grands”. Tout n’est pas si noir. Des titres papiers tirent leur épingle du jeu. Le journal satirique The Clinic – dont le nom s’inspire de la clinique où Pinochet est mort – joue le rôle de poil à gratter irrévérencieux. Le Monde Diplomatique édition Chili tire les lecteurs vers le haut au travers de ses dossiers fouillés. Quant au net, il a permis à quelques titres de sortir du lot. El Mostrador en est un. Ciper en est un autre. Et pas des moindres.
A sa tête, Mónica González.  A 62 ans, elle est une figure emblématique du journalisme d’investigation. De sa vie passée, elle a décidé de ne plus “ouvrir la porte”, glisse-t-elle. D’elle, on ne sait donc que les détails que quelques portraits anciens ont évoqués. La dictature, la prison, la torture, l’exil, la séparation de sa famille. Un résumé rapide mais suffisant pour comprendre la passion qui l’anime. Jamais, durant les heures les plus sombres de la dictature, elle n’a cessé d’enquêter, d’écrire de vrais reportages d’investigation. Même quand les pinochetistes lui ont coupé toute possibilité d’exercer, elle n’a pas baissé les bras. Oui, Mónica González est une grande femme du journalisme. Une grande femme tout court.
Dans son bureau de Santiago, elle dirige Ciper, le Centro de Información e Investigación Periodística. Sur les murs, des prix par dizaines, récoltés partout dans le monde. Partout sauf au Chili. Son site d’informations gratuit est né il y a cinq ans. Le journal qu’elle dirigeait alors, Diario Siete, vient de fermer faute de rentrée publicitaire.

  • “Nous n’avions aucun soutien, même le gouvernement, qui prend de la publicité dans les autres journaux, ne prenait rien chez nous. On n’était pas de droite. On n’était pas de la Concertatión non plus. Nous avons dû fermer.”

Masi très vite un  grand entrepreneur chilien contacte Mónica González. Il accepte de la soutenir financièrement. Cet homme d’affaires, c’est Álvaro Saieh, l’un des responsables de la Corpbanca, une énorme banque chilienne. Pour Mónica González, le deal est clair :

  • “OK pour se lancer, mais je ne voulais faire aucune compromission. Et Álvaro Saieh est sur la même longueur d’ondes. Tout ce qu’il veut, c’est que les articles soient fouillés et irréprochables. Peu importe qui ils visent. Il m’a laissé toute liberté.”
    La page d'accueil de Ciper Chili

    La page d'accueil de Ciper

Une fois l’accord signé, la petite rédaction se lance. Sur le web uniquement. Pas pour être en avance sur son temps : “C’est juste que ça coûtait moins cher”, note Mónica González. Ils sont cinq journalistes d’investigation à travailler chez elle. Trois mois plus tard, ils déménagent dans les locaux actuels, avenue José Miguel de la Barra à Santiago. L’effectif passe à neuf journalistes. “J’ai toujours su choisir mon équipe”, se targue la professionnelle du journalisme.
Le fonds de commerce de Ciper, c’est l’enquête. Le site internet tourne avec deux ou trois sujets mis en ligne – gratuitement – chaque semaine. Chaque reportage est le fruit d’un travail d’équipe, d’un, de deux, voire même de trois mois. Le genre de sujets qui fait trembler les gouvernants et marquent les Chiliens. Le premier fait d’armes ? Avoir réussi à prouver l’irrégularité d’un appel d’offres d’Etat pour la gestion des registres civils et entraîné la démission et l’inculpation de sommités. Plus récemment, une vaste enquête sur les minutes qui ont suivi le tremblement de terre de février 2010 a mis en cause les organismes de surveillance (Onemi et Shoa) dans la gestion de la crise et le manque de réactivité quant au tsunami qui a suivi. Des fautes lourdes qui auraient pu être évitées et ainsi sauver des centaines de vies humaines.

  • “On ne veut pas être dans la dénonciation. Ce qui nous importe ce n’est pas de dire “Ils ont fait ça” ou “Ils ont violé la loi” mais d’expliquer comment ils ont fait, de trouver le système. On ne fait la chasse à personne, on limite les qualificatifs. Des faits, c’est tout.”

Le modèle fonctionne. Chaque semaine, 20000 lecteurs viennent découvrir les sujets de Ciper. Les livres publiés par le petit organe de presse s’arrachent. Le dernier, sur Karadima, un prêtre pédophile, vient d’être réédité. Pour Mónica González, c’est une satisfaction. Mais elle ne court pas après la gloire. “Ici, même si les papiers sont signés, on ne fait pas de bataille d’ego.”
S’arrêter, elle n’y pense pas. Ralentir, peut-être un peu quand même. En marge de son activité à Ciper, elle forme aussi des journalistes sud-américains au travail d’enquête. “Finalement, je dois à la dictature d’être journaliste”, sourit-elle en allumant une nouvelle cigarette.
Elle jette un coup d’œil sur une cage à oiseau posé sur son bureau. A l’intérieur, une figurine représentant Pinochet est enfermée. La cage est verrouillée par un cadenas. “C’est un cadeau que l’on m’a fait pour que je puisse, moi, l’enfermer.” Le bonhomme en tenue militaire fait face au mur. Il a tout de même était bougé en 2011 : à chaque manifestation étudiante, Mónica González mettait la cage prêt de la fenêtre : “Pour que Pinochet voit que, malgré tout ce qu’il a fait, ça ne s’arrête pas.” Elle le prouve au quotidien.


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