« Il pèse plus qu’un mauvais mariage »,
disait ma grand-mère de cet énorme téléphone noir qui était chez une
voisine. Il avait un câble très court et après avoir fait un numéro mon
index était couvert de la poussière amassée sous le cadran de
numérotation. J’étais toujours dans l’attente anxieuse de la sonnerie
qui annonçait à ma mère qu’on l’appelait du travail ou de la province.
Nous montions les escaliers en courant pour coller l’oreille à
l’écouteur et entendre ce qu’une voix presque métallique disait à
l’autre bout de la ligne. Parmi la bonne dizaine de familles qui
habitaient cet immeuble, il n’y en avait que deux qui avaient le
téléphone. Aussi se brouiller avec les propriétaires d’un tel ustensile
revenait à être laissé-pour-compte et injoignable.
Si en mars 2008 Raoul Castro avait
imaginé le rôle qu’allait jouer le téléphone mobile dans la société
civile cubaine en train de naître, il n’aurait probablement jamais
libéré son utilisation. Avant cette date les cubains devaient chercher
un étranger qui ait un contrat mobile et qui leur permette ensuite de
s’en servir. Seuls pouvaient acquérir la carte SIM tant désirée ceux qui
avaient une chambre d’hôtel ou une voiture de location, bref des gens
qui n’étaient pas nés sur cette île. Heureusement il a été mis fin à
cette discrimination depuis bientôt quatre ans et à ce jour plus de 1,2
million d’usagers ont souscrit au service de prépaiement de Cubacel. Ce
chiffre ne devrait pas nous réjouir car nous sommes encore très en
retard par rapport aux autres pays d’Amérique Latine.
Malgré les limites liées au coût élevé, à
la mauvaise couverture dans beaucoup de zones du pays et à la
suspension temporaire du service pour les usagers « gênants », le
téléphone cellulaire a changé nos vies. Actuellement la possibilité
d’envoyer et de recevoir des « textos » a renforcé les contacts entre
citoyens, l’échange de nouvelles et la possibilité inestimable de
publier sur « Twitter » sans accès à internet. Depuis quelques jours une
réduction de 44% s’applique aux SMS nationaux, même si nous restons à
des années lumière des prix en vigueur dans le reste du monde. Si
l’objectif de l’unique société de téléphone du pays est d’attirer à elle
davantage de clients pour augmenter ses profits, il lui faudra aussi
accepter les effets collatéraux de la libération de l’information et de
la communication que cela va entraîner. Cubacel sait calculer le
bénéfice économique mais est incapable de mesurer le véritable potentiel
de ce puissant outil social qui est maintenant dans notre poche.
Traduit par Jean-Claude MAROUBY