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Epreuve pratique au bac : Michel FRECHET, ancien président de l'APEMP,demande un moratoire.

Publié le 07 mars 2008 par Guy Marion

Les nombreux messages passionnés sur le forum de l’APMEP concernant « Le projet d’épreuve pratique au bac » montrent que le sujet est brûlant. Les invectives, cachant parfois un manque d’arguments, mais aussi et surtout signalant un profond désarroi, fusent de tous côtés. Étant Président de l’APMEP lorsque le comité a voté, en novembre 2005, la première motion approuvant une épreuve de ce type, je me permets de donner, à mon tour, mon avis sur la question.

Ce texte est en aucun cas un texte officiel de l’APMEP.

Tout d’abord, il faut distinguer plusieurs choses : les TICE comme outils pédagogiques, l’expérimentation en Mathématiques et l’épreuve elle-même.

Les TICE comme outils pédagogiques.

La plupart des enseignant s’accordent pour dire que l’exposition démonstrative n’est pas la meilleure façon pour faire passer les connaissances mathématiques. Il existe de nombreuses recherches sur la manière d’enseigner notre matière. Par exemple, un récent article du Bulletin Vert signale que, dès 1912, parmi « les innovations qu’on tente d’introduire dans l’enseignement des mathématiques » figure le cinématographe qui permet d’« introduire plus de vie et de sens du réel dans notre enseignement. . . ». L’invention des frères LUMIÈRES permet, en effet, d’animer les figures géométriques et ainsi de montrer leurs propriétés, de deviner la réponse à un problème avant de démontrer. Plus tard, en suisse en 1940, Jean Louis NICOLET réalise de nombreux films d’animations mathématiques. Pour lui aussi, l’intuition [obtenue grâce aux animations notamment] persuade mais ne démontre pas. La logique démontre mais ne persuade pas ». « L’intuition et la logique constituent [donc] les deux étapes à parcourir pour arriver à la compréhension ».

Les logiciels de géométrie dynamique permettent cela, en quelques clics, et ce de manière rapide et efficace. Ainsi l’utilisation des TICE est un acte pédagogique. Cependant, ce n’est pas le seul. Ce n’est pas parce qu’un professeur n’utilise pas les TICE que son enseignement est nécessairement nul. Chaque enseignant doit être libre d’utiliser les méthodes pédagogiques qu’il domine et où il se sent le plus à l’aise. Ce principe ne devrait en aucun cas être remis en cause, la liberté pédagogique, actuellement mise à mal, doit être protégée.

Il serait beaucoup plus intelligent de convaincre les enseignants plutôt que de les persuader.

L’expérimentation en mathématiques

On nous dit que les maths sont en train de changer de nature. Mr MOISAN l’a d’ailleurs rappelé lors de son intervention aux journées de l’APMEP de Besançon. Une phrase de Claude Allègre me revient à l’esprit : « Les mathématiques sont en train de se dévaluer, de façon quasi inéluctable. Désormais, il y a des machines pour faire les calculs. Idem pour les constructions de courbes ». Les textes officiels vont même plus loin : Dans le numéro Hors série du BO no 2 du 30 août 2001, sont définis les objectifs de l’enseignement scientifique au lycée. On y lit ceci : « Les mathématiques sont aujourd’hui dans une situation particulière. Science des formes et des nombres, la mathématique est amenée à sortir de son style et de ses pratiques traditionnelles grâce au développement et à la généralisation de l’ordinateur. Elle se rapproche des sciences expérimentales, grâce à l’expérimentation numérique, à la simulation, et à ce que l’on peut appeler la démonstration empirique. . . ».

Que ceux qui savent ce qu’est une démonstration empirique me le disent.

Plus loin : « L’expérimentation est une démarche essentielle des sciences. Elle consiste à imaginer, à inventer des situations reproductibles permettant d’établir la réalité d’un phénomène ou d’en mesurer les paramètres. Cette démarche qui appartient à toutes les sciences envahit aujourd’hui du fait de l’ordinateur, les mathématiques ». Qu’est-ce sinon la définition de la méthode par induction ? Les mathématiques doivent-elles devenir une science inductive ? C’est une dérive qu’il nous faut contrer à tout prix.

La notion d’expérimentation en mathématiques est donc suspecte.

De plus le danger est grand, lorsqu’une expérimentation est bien faite que de nombreux élèves ne voient plus l’intérêt de démontrer les résultats obtenus, ce qu’ils voient leur suffit, même si les conclusions sont fausses. Lors de la leçon sur la fonction exponentielle, je démontre que l’exponentielle l’emporte toujours sur la fonction puissance lorsque x tend vers l’infini . La démonstration n’a pas convaincu. Habitué aux TICE, un élève, suivi aussitôt par d’autres, avait tracé les représentations graphiques des deux fonctions x puissance 10 et exp(x) sur sa calculatrice. Ces deux courbes se coupent très rapidement et celle de la fonction puissance se retrouve située au dessus de la fonction exp. Même en utilisant la fonction zoom, l’exponentielle se trouve toujours sur l’écran en dessous de la fonction puissance. Ce que j’affirmais à l’aide d’une démonstration était donc faux ! Et essayez de montrer, à l’aide des TICE que les deux courbes se recoupent en un autre point dont l’ordonnée est très grande ! On y arrive, mais au prix de savantes manipulations.

L’épreuve de TP

Alors épreuve de TP ou pas ? En juin 2005, Monsieur le doyen nous avait dit qu’il fallait contrer la puissance de plus en plus grande des calculatrices, leur capacité pouvant atteindre quelques Go. L’idée était alors de créer une épreuve de TP en mathématiques, épreuve évaluée et comptant pour le baccalauréat. Dans ce cas, l’utilisation des calculatrices pourrait être réglementée voire interdite lors de l’épreuve écrite.

Dans ces conditions, le comité de novembre 2005 de l’APMEP avait voté la motion suivante :

L’APMEP demande que l’épreuve de mathématiques au baccalauréat S comporte :

Une épreuve sur 4 points, qui se déroule dans le laboratoire de mathématiques de l’établissement. Cette épreuve évalue, comme en physique et en SVT, un TP pris dans une liste préétablie de sujets traités pendant l’année. L’élève dispose de divers outils, ordinateurs, calculatrices, instruments de géométrie, . . . qu’il utilise à sa guise.

Une épreuve de quatre heures, à sujet national, pour laquelle la calculatrice reste autorisée, sur des modèles réglementés.

Dans ce texte, on laissait le choix au candidat des outils utilisés : instruments de géométrie pouvaient signifier règles, compas, etc. . . De plus, c’était un appel à la création de laboratoire de mathématiques dans chaque lycée, l’une des principales revendications de l’APMEP.

L’objectif de cette épreuve a ensuite évolué : il s’agit maintenant d’initier les élèves aux TICE et, objectif moins avouable, le bac pilotant tout le système, forcer les professeurs à utiliser les TICE.

De trois choses l’une, ou le professeur de mathématiques doit, en plus du programme déjà très lourd, initier les élèves au maniement des outils informatiques, ou l’on veut imposer une méthode pédagogique aux enseignants, ou les mathématiques ont changé de nature, de science hypothético-déductive, elles deviendraient sciences expérimentales, les « ou » n’étant pas exclusifs.

Dans le premier cas, pourquoi est-ce au professeur de mathématiques à enseigner cela ? Et en admettant que la réponse soit positive, pourquoi ne pas augmenter l’emploi du temps des élèves de quelques heures consacrées uniquement à cet enseignement ?

Dans le deuxième cas, on fait fi de la liberté pédagogique des enseignants, ce qui est inadmissible.

J’espère vivement me tromper sur le troisième cas. Dans ce cas, que les lignes du BO citées plus haut disparaissent des programmes officiels afin d’éviter toutes dérives et toutes confusions.

Mes conclusions

En tout cas, les motivations de cette épreuve n’étant pas claires du tout, la plupart des enseignants de mathématiques n’étant pas convaincus, je serais partisan de demander un moratoire sur cette épreuve. Les objectifs doivent être clarifiés. Une évaluation sérieuse doit être menée sur l’expérience actuellement en cours. Et surtout, que l’on propose de nombreux stages de formations aux enseignants qui le désirent.

Le 7 mars 2008 , par Michel FRECHET


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