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67 jours - A la maison

Publié le 05 mars 2008 par Nitchioule
Si vous passez par Issy-les-Moulineaux, n'hésitez pas à faire un détour pour aller voir l'ancienne maison de Matisse. On la distingue encore derrière les arbres et le nouveau mur jaune qui l'entoure. Elle est blanche et massive, avec de grandes lucarnes sous les tuiles en ardoise. C'est là que j'ai vécu les premières années de ma vie. Ou plutôt, j'ai vécu dans la petite maison en béton, dissimulée par le lierre, tout au fond du jardin. Celle qui servait autrefois d'atelier au peintre.
Mes parents dormaient dans le salon : je revois le grand canapé marron qu'ils relevaient tous les matins. Je partageais ma chambre avec mon frère tandis que ma petite soeur dormait dans le dressing, en haut du placard que mes parents avaient aménagé en mezzanine. L'été, il faisait encore jour quand mes parents nous couchaient. Dans notre chambre, nous avions des rideaux jaunes clairs avec des motifs d'animaux. On faisait notre prière sagement agenouillés au pied du lit, un "Notre Père qui êtes aux cieux" et un "Je vous salue Marie". Et puis, on se glissait sous la couette.
Mes parents refermaient la porte de la chambre. On attendait quelques minutes et puis Gabriel se relevait et grimpait sur mon lit : on soulevait légèrement les rideaux pour regarder nos parents et leurs amis qui dînaient dehors. On tendait l'oreille pour comprendre leur conversation, et puis on s'en désintéressait.
On se mettait alors à rêver d'avenir : "On deviendra milliardaires en achetant des chips à bas prix et en les revendant dans notre voiture aux passants !" , "On se construira un voilier et on partira avec Fanny, Albane, Le Bandit et La Chipie. On fera le tour du monde, on mangera de la canne à sucre et on ne boira plus que du sirop d'érable...", "On vivra dans un ranch, on aura quatre chiens et on se promènera tous ensemble dans le bois, à cheval." Gab souriait sous sa tache de vin. Ses paupières s'alourdissaient, je le chassais.
Le samedi, ma mère travaillait. On passait la journée avec mon père. Il nous emmenait au marché. On déjeunait : des oeufs à la coque, de la purée mousseline et du fromage. Parfois, il tentait de nouvelles recettes. Sans grand succès. Gab alors se remplissait les coins des joues et attendait que mon père tourne le dos pour tout cracher par la fenêtre, dans les hortensias.
L'après-midi, mon père nous installait dans la serre pendant deux heures avec un livre : à 10 ans j'avais lu toute la comtesse de Ségur, une bonne partie de l'oeuvre d'Alexandre Dumas ( Le comte de Monte-Cristo, Les trois mousquetaires, Vingt ans après, La dame de Monsoreau...), Les Mots de Jean-Paul Sartre, Fermina Marquez de Valery Larbaud... Gab était plus indiscipliné, il lisait plus lentement et passait plus de temps à regarder par la fenêtre qu'à se concentrer sur ses pages.
Enfin, on pouvait sortir. Parfois mon père nous emmenait à la piscine municipale : il nous fallait alors le rendre fier en sautant du plongeoir de 3 mètres, puis du plongeoir de 5 mètres. Si nous osions, nous avions droit à une glace à une boule. Mais surtout, nous avions droit aux yeux brillants de mon père.
Vers 19 heures, ma mère rentrait. C'était le meilleur moment de la journée, celui qu'on attendait en trépignant. La maison se réchauffait brusquement. Elle amenait des sourires éclatants sur toutes les lèvres. On lui racontait notre journée. Comme la cuisine était petite, je m'installais sur la cinquième marche de l'escalier avec mon assiette, ma mère sur la troisième et Gab, Popette et mon père s'asseyaient autour de la minuscule table en bois peint. On parlait de la guerre du Golfe, de "Mittrand", de livres... Mon père insistait pour qu'on mange un fruit en dessert, ma mère disait que si on prenait un yaourt aux fruits, ça revenait au même. On écoutait toujours ma mère.
Et puis, peu après la naissance de mon plus jeune frère, nous avons déménagé dans un appartement en plein coeur de Paris. Je n'ai pas été triste : c'était l'adolescence. J'étais contente de pouvoir sortir dans les bars, les boîtes, d'aller au cinéma toute seule ou avec des amis. Sur le coup, je ne me suis pas aperçue qu'une page était tournée.

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