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Dhât et la censure des jupes : entre démocratie et démagogie

Publié le 13 février 2012 par Gonzo
Dhât et la censure des jupes : entre démocratie et démagogie

Affiche du feuilleton "Dhât"

Il y a quelques jours, l’industrie égyptienne des dramas a connu un petit drame lorsque l’équipe venue tourner un épisode de Dhât, un feuilleton télévisé tiré de l’œuvre du romancier égyptien Sonallah Ibrahim, a été priée de quitter le campus de la faculté de génie de l’Université de Ayns Shams, au nord du Caire. La production avait pourtant négocié toutes les autorisations nécessaires avec les responsables, mais ceux-ci ont déclaré ne pas pouvoir garantir la sécurité des techniciens et des comédiennes.Celles-ci portaient en effet des jupes relativement courtes, comme celles qui étaient à la mode au début des années 1970 pour les étudiantes dont elles jouaient le rôle. Mais aux yeux des étudiants d’aujourd’hui, et même de quelques enseignants, pour peu qu’ils soient proches des Frères musulmans, une telle tenue était tout bonnement inacceptable !… Comme l’explique la scénariste (article en arabe) qui a travaillé sur le roman de Sonallah Ibrahim, leur réaction est d’autant plus désolante que la localisation du tournage correspond à un épisode historique bien précis, celui des mouvements estudiantins de cette époque avec notamment, en 1972, la marche vers la désormais mondialement célèbre place Tahrir des étudiants de la faculté de génie de ladite Université de Ayn Shams !!!…

L’affaire n’est pas dramatique pour ce feuilleton qui a de toute manière déjà une bonne année de retard. Il faut dire que le scénario a dû être repris en bonne partie : prévu au printemps dernier, la séquence d’ouverture devait montrer (comme dans le livre) l’héroïne, Dhât, en train de « craquer » : furieuse de s’être fait refiler une boîte de conserve périmée, elle descendait dans la rue pour protester contre le pouvoir, désormais incarné par Gamal Moubarak qui venait de succéder à son père !

Bien entendu, la production trouvera un autre lieu pour le tournage, et « la censure des jupes », selon le nom donné par la presse à cette affaire, a soulevé l’indignation du « front de la création égyptienne » (حبهة الإبداع المصري), un rassemblement d’artistes et d’intellectuels créé il y a quelques semaines, précisément pour s’opposer à toute forme de « terrorisme intellectuel ». Dans le même temps ou presque, l’institution religieuse avait d’ailleurs rappelé de son côté, dans ce qu’on appelle désormais « le document d’Al-Azhar » (وثيقة الأزهر), son engagement pour « la liberté de croyance, la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de la recherche scientifique, la liberté de l’art et de la création littéraire, fondamentales pour la Constitution en préparation ». Des réactions jugées nécessaires, et un peu rassurantes, après la visite du président du Syndicat des comédiens auprès du Guide suprême des Frères musulmans, juste après leur victoire aux élections. Dans les milieux concernés (article en arabe), beaucoup ont pris cela comme une manière d’annoncer à l’avance la soumission des acteurs aux dictats des promoteurs d’une nouvelle forme “d’art engagé”, au service du rétablissement des vraies valeurs musulmanes…

Dhât et la censure des jupes : entre démocratie et démagogie

"Les années de Zeth", un roman à lire absolument, même si la couverture n'est pas très engageante...

Il n’est pas impossible qu’on y revienne dans ces chroniques car on peut parier que ce type d’affaire va se multiplier dans les mois ou même les semaines à venir. D’ailleurs, d’autres « scandales » ont déjà éclaté, avec la condamnation par exemple du comédien Adel Imam (article en anglais) pour «insulte à la religion » en raison des rôles qu’il a incarnés dans diverses charges contre l’islam politique. (L’acteur, pourtant considéré comme un suppôt du régime Moubarak, qu’il aura défendu jusqu’au dernier moment, n’en a pas moins reçu le soutien de toute la profession.) A un moment où l’Egypte et bien d’autres pays dans la région traversent une zone de tempêtes, on sait bien que la question de l’art servira de point de fixation – ou de révélateur – à d’autres conflits. Tout comme la question de la place de la femme dans la société, il s’agit en effet d’une scène facilement mobilisable par ceux qui ont l’oreille du démos, le « peuple », comme dans démocratie mais aussi comme dans… démagogie.


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